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Critique de Michel69004


Les mangeurs de nuit sont, dans la mythologie des Issei (ces japonais nés au Japon mais ayant émigré à l'étranger, mais c'est aussi le prénom du célèbre couturier et du cannibale qui n'ont rien à faire dans notre histoire), de grosses lucioles un peu féériques.
Elles sont, en quelque sorte, au centre du récit de Marie Charrel.
La chronologie de celui-ci s'étend de 1926 à 1956 mais, comme se serait trop facile, alors on commence "in ultima res" puis on analepse puis "in médias res" puis on analepse et ainsi de suite...mais le récit est particulièrement fluide, on se perd juste comme il faut...
Nous allons donc suivre les destins croisés de deux individus singuliers, atypiques, solitaires et parfois solaires quelque part entre Vancouver et la Grande forêt pluviale.
Sans trop rentrer dans les détails, ce serait trop dommage:
- Il y a Hannah, fille d'AÏka qui a traversé le pacifique pour rejoindre un époux dont elle n'a vu que la photo. C'est le sort de milliers de japonaises précaires(les "picture brides") qui se marient par correspondance à des immigrés japonais de Colombie britannique, supposément riches.
-Il y a Jack dont la belle-mère Ellen (qui l'a élevé) est une Gitga'at, une autochtone.
Hannah et Jack, pour des raisons différentes vont être ostracisés, stigmatisés.
Hannah connaitra la vindicte, l'exil, les camps de réfugiés : il y a eu Pearl Harbour bien sur, mais le racisme anti-"jaune" pré-existait.
Jack, orphelin de mère a un demi-frère (qui a du sang indien donc, j'espère que je ne vous ai pas perdus!) Mark. Ce dernier sera, comme beaucoup de natifs, christianisé de force dans les internats de l'horreur.
Jack est un creekwalker, un patrouilleur qui recense le nombre de saumons de sa zone de responsabilité.A la fois névrosé, autiste et timide, Il évoluera vers une symbiose sylvestre pour devenir une sorte d'anachorète de la forêt.
Evidemment Jack et Hannah vont se rencontrer, se percuter de plein fouet, et changer le tracé de leurs vies:
"Guérir serait revenir à l'état initial. On n'efface pas de telles blessures ; on plonge dedans, on s'immerge dans la douleur et l'obscurité jusqu'à les traverser. Lorsque l'on est passé de l'autre coté, seulement alors, on peut recommencer à marcher"
Marie Charrel nous livre un texte très inspiré, qui relève du "Nature writing" et de l'épopée chamanique. Il y a une sorte d'hybridation de Pete Fromm et de Nastassjia Martin.
On s'indigne bien sur de toutes ces haines xénophobes mais on s'émerveille devant ces résiliences déroutantes, semi-magiques qui tiennent beaucoup des contes et légendes indiennes et japonaises (Tsimshian et Issei donc) .
L'autrice raconte les mythes fondateurs de peuples que tout éloignent mais que tout rassemblent à l'intérieur des récits fondateurs.
C'est beau, troublant, exotique, rythmé mais il m'a manqué un poil d'émotion pour m'attacher vraiment aux protagonistes. Ce n'était d'ailleurs peut-être pas l'intention de Marie Charrel...
Hannah et Jack deviennent des personnages d'anthologie qui s'éloignent inexorablement du lecteur.
Restera le Moksgm'ol, l'ours esprit, qui prend parfois la forme d'un gros nounours blanc, fantomatique et omniscient.
Une lecture déroutante, étrangement rayonnante.
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