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Citations sur Noir canicule (12)

Ils savaient tous les deux qu’un répit est ce qu’il est, une pause pour souffler avant de reprendre l’outil. Il n’y avait aucun mystère là-dessous, les hommes se crevaient dans la poussière des champs ou la manducation des machines, précipitaient la course avec le vin et le tabac, et les femmes, assises dès l’alliance au chevet des hommes, restaient pour faire un tour le dimanche, désherber les tombes, discuter avec les autres veuves à la sortie de la messe. (p. 25)
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On ne l'aimait pas plus que lui ne s'aimait, ses bêtes avaient pour lui les attendrissements dont l'esclave rétribue le maître, les femmes le fréquentaient le temps de s'en repaître. Ensuite, elles s'éloignaient pour médire. Ou partaient satisfaites, rassasiées, repues, nourries, comblées, débordantes, gavées, bouffies, obèses de lui, soûles d'amour. Et méprisantes. Les autres avant Carine, puis Carine elle-même, fuyantes, assouvies, cannibales ; elles avaient tout eu de lui, avaient aspiré sa force et sa joie. La sanction du mépris lui sembla légitime, puisqu'il la partageait en somme.
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Lily espérait que ses lectures lui apprendraient au moins une certaine dignité dans la conduite amoureuse. Car, n'ayant jamais lu d'autre livre qu'un roman d'Alexandre Jardin, au grand désespoir de Nicolas, Lily imaginait la fréquentation des "vrais" livres comme la clé d'un pouvoir supérieur, inaccessible aux gens comme elle. Elle était persuadée qu'au fil des pages s'y révélait une explication du monde, révélation qui lui serait à jamais refusée, étant trop peu instruite pour cela.
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L’amollissement causé par le voyage du petit garçon blond et l’engourdissement médicalisé du vieux corps. La fatigue les traversait tous les deux et les unissait. Et cette sorte de transmission silencieuse imposa à Henri de s’y arrêter. Parmi l’écheveau de pensées qui se formaient en lui s’exhaussait ce qu’il vit comme une révélation : il existait un creux dans chaque regard, dont la fonction était que s’y loge la compréhension des autres. Il s’émerveilla de sa découverte et de l’évidence avec laquelle elle lui était apparue. (p. 47-48)
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Désormais, les spectres parfumés s’évanouissaient vite, leur trace ténue n’était perceptible qu’avec l’effort conjugué des images et de la pensée. Une certaine forme d’amour lui semblait perdue et interdite à jamais.
page 173
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Le monde s’était réduit, l’existence était confinée à la lisière de leur peau.
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Henri s’était senti trahi. Bien sûr, la mort entrait en contact, signé à la naissance, mais pas l’agonie douloureuse, indélicate, impolie, juchée sur les genoux, qui caresse et poignarde.
page 52
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Bien sûr, la mort entrait dans le contrat signé à la naissance, mais pas l’agonie douloureuse, indélicate, impolie, juchée sur les genoux, qui caresse et poignarde. Pas cette lente, patiente rébellion du corps qui se sabote sans rien dire et vous met par terre, d’un coup, en plein milieu de journée et vous ricane à l’oreille : « Je t’ai bien eu ! » On apprend soudain que votre vieux véhicule de chair, celui qui a besoin de vous bon Dieu, vous a concocté pendant des années une méchante façon d’en finir avec la lumière des champs et l’hymne des rivières. (p. 152)
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Je vais vivre de cette façon, prendre mon plaisir de sa présence et c’est tout. Comme elle, chacun sa part, échange équitable. Un amant, une femme qui a un amant. Nous sommes tellement communs. Elle n’est pas si exceptionnelle, ma superbe citadine ; on la trouve en mille exemplaires dans les romans, les films et les magazines, ma rebelle artiste, ma jubilation. Et moi, je suis l’amant qui donne du plaisir, comme tous ceux qui m’ont précédé, innombrables. Deux utilités qui s’encombrent de mots d’amour. Quelle éternelle litanie d’égoïsmes et de générosités, quel équilibre ! (p. 171)
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Le taxi réduisit son régime. Lily aborda un chemin de terre en pente brutale et les cailloux fusaient sous les roues avec un bruit de torrent. Il était cinq heures, la forêt buvait la lumière des phares et les grands douglas asphyxiaient la route entre leurs falaises noires.
France Info ressassait les flashes de la nuit. L’urgentiste Patrick Pelloux en appelait à l’armée et à la Croix-Rouge maintenant, les effets de la canicule s’étaient mués en catastrophe nationale. Tous ces morts… Lily coupa le son. Les suspensions de son taxi tout neuf travaillaient pour compenser les cahots. Surgit dans les phares un nouveau carrefour, marqué d’une croix rouillée sur son socle de grisaille. Et un panneau enfin, éclaboussé par les phares : La Conche, lettres gercées par la dislocation des planches sur quoi on les avait tracées.
La pente s’accentua, obligeant à une reprise sévère jusqu’en haut de la côte. Enfin, un point de lumière électrique perça la nuit. Encore quelques crachotements de graviers et la ferme apparut. Une de ces bâtisses des monts de la Madeleine, à la frontière entre le Roannais et l’Auvergne, plantées comme des tiques dans le flanc des coteaux, basses de corps, large chef de tuiles, cours fermées où macéraient purin et chiures de volailles. La nature du point de lumière se révéla : une ampoule pendue devant l’étable, encroûtée de fientes d’hirondelles. La ferme n’avait pas connu d’amélioration visible depuis sa création. Murs gangrenés, balcons délabrés, tout y avait plus de cent ans. C’était une relique, un objet archéologique, presque un souvenir déjà. Lily coupa le moteur. Des ombres rôdaient autour de la voiture, mouvements furtifs ponctués de grognements. Lily n’aimait pas les chiens de ferme, qui vous contournent, queue basse regard sournois, pour mieux vous choper les mollets. Une fenêtre éclairée tout près promettait une réaction rapide, mais le secours ne vint pas du bâtiment d’habitation : l’étable s’entrouvrit et la carrure d’un homme se découpa dans un trait de néon. Il s’avança vers la voiture, gueulant pour que se taisent les chiens, balançant ses pieds bottés dans la pénombre. Les gardes s’éloignèrent et Lily put sortir. Elle lança un bonjour que le paysan lui retourna. Il poussa devant elle la petite porte et Lily pénétra dans la cuisine.
Ses deux clients se trouvaient là, levés à son entrée dans un bruit de carrelage raclé. C’était un couple de vieux paysans. La vieille était, des joues brûlées aux chevilles débordant des chaussures, une succession de rondeurs pliées par étages, comprimées dans une robe des dimanches noire, discrètement rehaussée de fleurs au col et aux manches, qui convient à toutes les cérémonies. Elle vint serrer la main de Lily. « Bonjour, madame. Vous avez trouvé facilement ? – Oui, oui, je connais bien le coin. » Elle eut à peine conscience d’avoir menti. Lily ne connaissait qu’une route, ici, qu’elle prenait pour se rendre chez Antoinette. Dans l’idée d’établir une connivence, elle ajouta : « Ma grand-mère habite à cinq kilomètres de là. » La vieille ne réagit pas. Dure d’oreille, conclut Lily. Le petit vieux s’approchait maintenant au milieu de ses raideurs. Hors le mimétisme de sa tenue des grands jours, il était l’opposé de sa femme ; une peau fripée agencée sur un squelette, et la peine dans chaque geste. Lily s’avança pour lui épargner d’autres pas et empoigna sa main décharnée. Contact glacé, rêche. Le regard transparent du vieux émergea de l’ombre de sa casquette, enfoncée jusqu’aux oreilles. « Vous êtes bien à l’heure, c’est bien. On va pouvoir y aller. » Sa voix avait arpenté la gorge depuis le fond, grasseyait entre les dents disjointes. Lily reconnut une voix de cancéreux. La même que celle de son père, fumeur indécrottable, vers la fin. Elle analysa instantanément la course de ce jour comme un dernier voyage.
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