LES PUITS
J'ai détruit les grains d'encens sur l'enclume
Pour écouter la voix des puits
La voix qui porte les ravages
L'enfance d'un ruisseau
La terreur des éclipses
L'ivresse des migrations
Je suis le souvenir
Et je suis la menace
À chaque pierre j'ai jeté
Le nom d'un soleil.
Les guets-apens de l'évènement et du temps, qui tentent d'enserrer chacun entre les parois de l'âge, des frontières, du milieu social; de limiter l'être, la personne, l'identité première, sont très vite balayés par les souffles de la Poésie.
Insoumise, celle-ci décape les apparences, culbute les vérités du moment. Clairvoyante, elle nous rappelle que nous ne sommes que "de passage". Ardente, elle nous garde justement émerveillés par le mystère très naturel de l'univers. Cet univers qui nous enclôt nous dépasse et nous unit les uns aux autres.
L'homme périt de son propre venin
Tant de corps et tant d'âme
Jeunesse qui t’élances
dans le fatras des mondes
Ne te défais pas à chaque ombre
Ne te courbe pas sous chaque fardeau
Que tes larmes irriguent
Plutôt qu’elles ne te rongent
Garde-toi des mots qui se dégradent
Garde-toi du feu qui pâlit
Ne laisse pas découdre tes songes
Ni réduire ton regard
Jeunesse entends-moi
Tu ne rêves pas en vain.
Le feu du dedans
(Parenté de l’Homme et de la Terre)
Interroge
Pénètre la Terre
Écorce Glacis sur l’écran nocturne
Magma percé d’ondes
Battements Fureur Métal
Corps en travail
Veines à nu
Interroge
Traduis
Traduis en langage intime
Traduis à mots ouverts
Ce fond des fonds qui sécrète la pierre d’angle
Ce noyau où persiste la cible
Ce grain sans résidu
Interroge
Relie
L’homme à ses montagnes
fleurs géantes aux troncs solaires
s’étreignant dans la fournaise abrupte
L’Homme à ses continents
radeaux doublés d’espace
greffés sur la simple racine
L’Homme aux hommes
annexés tant qu’ils sont
à la mort
Interroge la Terre
Interroge-toi
Les sursauts de la braise
Le mouvement qui nous attelle
aux flammes
à l’onde
à nulle part
à partout
Interroge l’Image
écho intarissable
L’incision des sols
Les cadences qui mobilisent
Le souffle qui surprend
distance ou bouscule le jour
Ce souffle à gorge d’oiseau
à ventre de lumière
qui transperce nos écrans
Interromps Fais silence
Apaise en toi ce toi
Avec ses dehors
ses allées ses venues
Tissant
on ne sait quel sommeil
Égarant
en reflets en replis
en façades
Ton chiffre
Traduis
Pénètre toujours
Gagne le centre
Affronte ces cratères ces crevasses
ces morsures de la lave
Sonde traverse
ces violences démantelées
Vis l’éclat
qui consume qui renaît
Vis ce qui a nom de feu
de sables et d’étincelle
qui a nom d’insomnie
d’absence et d’avenirs
Écoute
En deçà des mots en chaîne
des paroles empaillées
des brindilles de l’heure
du cirque de nos ombres
des larmes bues à pleine bouche
des refuges qui séparent
Écoute la turbulence
de l’arbre bâillonné
En chacun Partout
Reconnais
le grain
la pierre première
le cri de l’être
l’inflexible lueur
Et chante !
Chante :
Longue vie à l’Homme !
Homme-forêt
Homme-cité
charriant l’astre et l’outil
Oeil de la terre
Tête sonore
Alphabet sur l’infini
Longue vie et salut !
À l’Homme debout en lui-même
À l’Homme veillant aux carrefours.
(pp. 376-380)
Le sommeil se dérobe
laissant le sang à vif
Le jour est sans appel
Un démenti du jour
Gravée dans l'âme:
Cette soif.
il n'y a pas d'épilogue
Nos mains sont légères
Comme aile sur un pré
Le grain est dans mon sang
Nos regards sont fertiles
Je traverse le miroir déchirant
Mais je n'ai rien trouvé
Que je ne cherche encore.
LE COMBAT DELIVRE
J'ai racheté la nuit
avec une cigale
avec un coq
à la crête foudroyée.
J'ai ramené la nuit
au surplis de l'aube
par un essaim de rêves
Je l'inquiétais.
J'ai escorté la nuit
pour me faire à ses plages
J'ai tailladé l'ardoise
avec le cri.
Mais la nuit est la nuit
et la nuit demeure
Sa part de jour
encore en sa nuit.
Destination arbre
Parcourir l’Arbre
Se lier aux jardins
Se mêler aux forêts
Plonger au fond des terres
Pour renaître de l’argile
Peu à peu
S’affranchir des sols et des racines
Gravir lentement le fût
Envahir la charpente
Se greffer aux branchages
Puis dans un éclat de feuilles
Embrasser l’espace
Résister aux orages
Déchiffrer les soleils
Affronter jour et nuit
Évoquer ensuite
Au cœur d’une métropole
Un arbre un seul
Enclos dans l’asphalte
Éloigné des jardins
Orphelin des forêts
Un arbre
Au tronc rêche
Aux branches taries
Aux feuilles longuement éteintes
S’unir à cette soif
Rejoindre cette retraite
Écouter ces appels
Sentir sous l’écorce
Captives mais invisibles
La montée des sèves
La pression des bourgeons
Semblables aux rêves tenaces
Qui fortifient nos vies
Cheminer d’arbre en arbre
Explorant l’éphémère
Aller d’arbre en arbre
Dépister la durée
Chaque poème achevé devrait apparaître comme un caillou dans la forêt insondable de la vie ; comme un anneau dans la chaîne qui nous relie à tous les vivants.
Le Je de la poésie est à tous
Le Moi de la poésie est plusieurs
Le Tu de la poésie est au pluriel.