Citations sur L'Auteur et Moi (28)
Mon imagination est une source de colle, confiait Léon Bloy, et l'auteur des pages qui suivent pourrait bien faire sien cet aveu. Pour conduire et endiablées ses récits, il compte sur les accélérations délirantes que favorise son goût du discours logique poussé jusqu'à ses ultimes conséquences et conclusions, bien au-delà de celles auxquelles, avec sagesse, avec prudence, avec sa sagesse ennuyeuse et sa mesquinerie prudence, s'arrête là raison. Mais il lui faut un prétexte pour commencer ; n'importe lequel ; la qualité première d'un prétexte est d'être indifférent.
Le gratin s'est accroché, ayant cette propriété d'adhérer à tout ce qu'il touche jusqu'à la confusion moléculaire. On ne sait pas s'il ronge les surfaces ou s'il s'y enracine ; il s'y trame plutôt, comme le lichen, il y infuse, comme la feuille morte – ce qui vole n'est jamais hors d'atteinte pour lui ; la mouette s'y englue pathétiquement.
Ce n'est pas sans raison que les lecteurs épris des sentiments les plus nobles – dont le siège se trouve, comme chacun sait, dans le coeur des chirurgiens propriétaires de leur clinique et dans la chaussure à crampons qui distribue de bonnes balles au centre – se détournent avec épouvante de ces froids morceaux de cynisme formel qui ne s'attirent en somme que des ricanements complices de célibataires misanthropes, morbides et répugnants dont la vie est une succession d'échecs, de fiascos sexuels, de contre-performances et de déroutes.
Quand d'aventure le lecteur est un jeune homme, soyez certain que son profil psychologique présente des particularités pitoyables : ce garçon n'a pas d'amis, sa virginité dolente et sans perspective éprouve son corps noué de la pointe du cheveu jusqu'à l'ongle jaune qui s'incarne douloureusement dans son gros orteil, il ne sait pas s'habiller, il se meut sans grâce ni aisance, ses gestes et sa démarche sont stéréotypés, sa parole rare ou précipitée, le plus souvent confuse à l'extrême, sa culture livresque fabuleuse, délirante, accouche d'un monstre insane, inadapté, asocial et possiblement pervers.
L’impression sera toujours confuse, mêlée, impure. L’expression seule peut être juste (mais l’auteur la livre ingénument à l’impression, et c’est pourquoi tout est toujours à recommencer, à réécrire).
"Ainsi, même les contes finissent mal dans le clair de la conscience lucide."
"Toute généralisation est abusive [...]."
"Ce n'est pas parce que l'on ne voit rien que l'on ne conçoit pas précisément et dans le détail l'absence de chaque chose."
Or il n'est pire douleur que celle que l'on vous dénie. Elle augmente de ce désaveu. Puis il est encore ceux que réjouissent les conditions de votre malheur, qui y trouvent quant à eux celles de leur bonheur et de leur volupté, tant il est vrai que le ver de terre et le renard ne se font pas la même idée de la poule.
Je m'en pourléchais toute la matinée en abattant la besogne, vous pensez bien, et, dès midi, je me suis attablé avec un appétit décuplé, guettant la truite aux amandes dont je suis friand, quand, enfin, tenez-vous bien, on est sorti de la cuisine pour déposer devant moi un gratin de chou-fleur dont les bouffées fades instantanément m'ont tourné le cœur.