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Citations sur La Lumière de la nuit (25)

Devant Moctezuma, par-delà les côtes et les montagnes inconnues du Mexique, se tenait Hernán Cortés, l'élégant et ironique gentilhomme vêtu de noir, fils de la très vieille et toute jeune Europe. Bien qu'il fot pauvre, il s'était sans attendre coulé dans le personnage théâtral du grand guerrier. Il s'était fait prêter quatre mille pesos pour acheter un uniforme de « capitaine » — un panache de plumes, un collier à chaîne d'or avec sa médaille, un habit de velours brodé d'or — et des bannières et des oriflammes ornées des armes royales et d'une croix.
Nul ne possédait autant que lui le talent d'Ulysse. Il avait l'oeil rapide, l'esprit sinueux, la capacité de s'adapter à n'importe quelle situation, l'art de se sentir à son aise dans un monde totalement étranger : il parvenait à improviser à chaque fois la décision voulue, alors que les Aztèques étaient, eux, paralysés par la conscience de lutter avec les dieux. Excellent causeur et fin diplomate, il connaissait l'art du mensonge, de la parole masquée, évasive et trompeuse, et vainquit d'abord par ses paroles ce seigneur de la parole qu'aurait dû être l'empereur aztèque.
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La fascination qui avait enveloppé les viracochas venus d'orient se dissipa comme une nuée. Le halo sacré, la révérence, la vénération s'évanouirent dans l'esprit des Incas, qui ne virent plus dans les Espagnols que des hommes comme eux — pires qu'eux. Alors qu'eux-mêmes avaient tant cherché à exorciser la violence, les Espagnols étaient l'incarnation de la violence déchaînée, qui triomphe et s'enivre d'elle-même. IIs étaient la force pure, inexorable: celle que le feu du soleil ne peut brûler, que le froid ne transperce pas, que la montagne n'écrase pas sous ses éboulis, que les abimes des océans n'engloutissent pas; la force sauvage et chaotique de l'Histoire, qui était parvenue à bouleverser les géométries délicates des esprits indiens, les connexions entre les choses innombrables et les extases du temps sacré. Si leurs artisans décoraient d'or les façades et les murs des temples, les Espagnols voulaient posséder cet or que personne, en réalité, ne peut posséder car il n'est qu'une étincelle pétrifiée du soleil.
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Quand les voyageurs du XVe et du XVIIe siècle traversaient, au printemps, l'immense steppe qui d'Ukraine menait jusqu'en Sibérie, ils apercevaient près de la route des tumulus, tantôt isolés tantôt par groupes, parfois petits ou hauts de plus de vingt mètres. Leur voyage s'interrompait pour quelques minutes ou quelques heures. Autour d'eux s'étendait un tapis de fleurs: tulipes sauvages, iris jaunes et violets, coquelicots, renoncules, jacinthes de couleur pourpre, noyés dans une herbe blanche et duveteuse comme une mer d'ar gent ; tandis qu'au fond, dans l'air transparent et bleuté, passaient les rapides silhouettes des cerfs, des loups gris et bleus, des aigles et des outardes. Les voyageurs ignoraient que sous ces tumulus gisaient les corps de ces princes scythes dont ils avaient lu avec passion, chez Hérodote, les coutumes et les entreprises.

Quelle ne fut la surprise des premiers explorateurs qui franchirent les portes des grands tumulus ! Là, au fond des chambres funéraires souvent bâties d'énormes blocs de pierre et tapissées de feutre, gisaient ces Scythes dont ils avaient tant rêvé à travers les livres. ll y avait là les princes, leurs épouses, leurs cuisiniers, leurs palefreniers, leurs serviteurs, leurs courriers ; dix ou douze chevaux, le mufle couvert d'un masque ; des vases d'or, des boucles d'oreilles et des bagues en or des bracelets d'or et de perles, des ceintures décorées de plaques d'or, des amphores, des colliers de bronze des carquois pleins de pointes de flèches, des miroirs de bronze, des épées, des tapis persans, des coupes grecques, des soies chinoises, des chars de combat, des fourrures; et les jouets des enfants. Certains avaient disposé, au fond, des amas de terre noire, humide et grasse, apportée de loin : car chaque tombe était, symboliquement, un pâturage céleste, où le mort menait ses troupeaux, ainsi que ses chevaux et les êtres qu'il aimait. Quelle surprise, surtout, quand un explorateur découvrit une tombe emplie de glace !
Pendant quelques minutes, il contempla les princes et les chevaux, comme en vie, préservés par la glace; tout semblait vivant, immobile, fixé à jamais : les tapis persans, les soieries chinoises, les cygnes de feutre étaient miraculeusement conservés ; puis la glace fondit, les choses se défirent et ce bref instant d'immortalité s'évanouit comme un songe.

(INCIPIT)
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Avant la naissance d'Apollon, Délos était une petite ile rocheuse, qui errait sur les mers comme une herbe abandonnée dans le courant. Poulpes et phoques s'y multipliaient. Quand Léto arriva, quatre colonnes d'or surgies soudain des racines de la terre arrimèrent l'îlot aux cavités de la mer Egée. Tournant sept fois autour de Delphes, les cygnes —«les plus harmonieux des oiseaux » — chantèrent sept fois pour la parturiente ; enfin, après neuf jours et neuf nuits de douleurs, Léto entoura de ses bras un palmier, pressant la prairie de ses genoux. Au-dessous d'elle, la terre sourit. Dans la splendeur du jour, Apollon bondit à la lumière, tandis que Rhéa, Dioné, Thémis et Amphitrite poussaient un ce moment, la petite ile des phoques et des poulpes se couvrit d'or — cette lumière solidifiée que Pindare aimait. La terre se fit or, le petit lac rond contempla ses mouvants flots d'or, le palmier se couvrit de frondaisons et de dattes d'or, les eaux transparentes du fleuve Inopos resplendirent d'or.
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Lorsqu'il franchissait la porte des Lions, le voyageur découvrait à nouveau, avec les yeux de l'imagination, le tapis de pourpre sur lequel Agamemnon s'avança, à son retour de Troie, et entendait le cri de la sentinelle, allongée comme un chien pour guetter les flambeaux allumés dans la nuit. Une sorte de rêve ou de cauchemar, dont il ne parvenait pas à se défaire, l'entraînait dans ses volutes. Appelés par toutes sortes de ressemblances et d'affinités, les vers d'Eschyle se pressaient dans sa mémoire; et il comprenait pourquoi l'imagination des hommes avait situé en ces lieux, comme en leur berceau naturel, les grands mythes et les héros de la tragédie.
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La vie du mélancolique est faite de contrastes : abattement et exaltation, dépression et excitation, désolation ou extase et entre ces extrêmes passe une affinité secrète.
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Puis vint la fin, précédée, comme celle de Ctésiphon, de Constantinople et de Mexico, par de sinistres présages. Iis remontaient aux temps de Huayna Capac, où quelqu'un avait prophétisé que bientôt des peuples étrangers abattraient le royaume et la religion de Cuzco. Tandis que l'ombre du crépuscule se répandait sur le jardin d'or et d'argent, sur les légers ponts d'osier, sur les rues ombragées d'arbres, sur les morts de la grande place, les présages se multiplièrent. Il y eu des tremblements de terre, des flux et des reflux, des comètes vertes qui répandaient la terreur. Durant la fête du soleil, un condor apparut, messager du soleil suivi de faucons qui tentaient de le tuer à coup de bec. Comme s'il demandait secours à son dieu, le condor se laissa tomber sur la place. Il était malade, couvert d'écailles lépreuses, presque tout déplumé ; et il mourut quelques jours plus tard. Le dernier présage fut le plus terrible. Aux heures sereines d'une nuit limpide, la lune apparut entourée de trois immenses halos : le premier couleur de sang, le second d'un vert sombre et le troisième, semblait-il, de fumée.
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Que ne donnerais-je pour converser avec Apulée, chez lui, à Tripoli ou à Carthage ! Certes, la conversation tournerait rapidement au monologue. Je ne pourrais lui apporter que ma connaissance incertaine de la littérature occidentale, quelques informations sur le Moyen Age, qui le prit pour un mage, et le souvenir de la peinture vénitienne ou hollandaise, qu'il aurait passionnément aimée.
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Entouré d'une cour d'architectes, d'hommes de lettres, de peintres et de scénographes, Néron commença à transformer la vie de Rome en un spectacle ininterrompu, qui utilisait la lumière radieuse du jour, les ombres du soir et les flambeaux allumés pour violer l'obscurité et l'intimité de la nuit.
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Les astres des Anciens ne traversaient pas le ciel sans se soucier de notre sort, comme ceux qu'aujourd'hui nous contemplons au firmament. Toute une chaîne d'influences, d'analogies, d'échos, de ressemblances descendait des étoiles vers nos membres, Vers les arbres, les pierres; elle déterminait nos passions ; et des coeurs et des membres humains, des pierres et des arbres, elle remontait jusqu'aux étoiles, édifiant une science unique des relations, qui était également une cosmologie.
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