Je l'ai lu en V.O.;_italien_et je devais être attentive.Il y a plus de 12ans
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Vers la fin de juillet, La flûte enchantée était presque achevée. Malgré sa solitude et sa neurasthénie, Mozart n'avait jamais cessé, pendant qu'il composait son opéra, de cultiver cet esprit bouffon qui l'aidait à relâcher la trop forte tension de ses esprits vitaux. Lorsqu'il était au piano, il s'abandonnait volontiers à son extraordinaire naire talent parodique. Il traitait un thème tantôt de façon grave, tantôt de façon burlesque; tantôt il courait à perdre haleine sur le clavier, tantôt il traînait, suppliant et misérable, parmi la foule mendiante des sons. Si le champagne excitait encore davantage son ardeur, Mozart commençait à exécuter une scène d'opéra à l'italienne.
Il me semble que le seul lieu où l'on puisse lire Montaigne est une bibliothèque : si possible l'une de ces grandes bibliothèques du XVIe ou du XVIIe siècle, qui ornent les palais aristocratiques et les abbayes de toute I'Europe. Les rayonnages montent jusqu'au plafond vertigineux ; tout autour, des galeries serpentent, s'élèvent, se faufilent, menant aux différents rayons ; et le bois, poli et attendri par le temps, conserve la clarté et l'obscurité, la matière compacte et noueuse des arbres - noyer, olivier, chêne ou orme, de sorte que le lecteur, assis, son livre à la main, se croit entouré d'une forêt luxuriante, dont les livres aussi feraient partie.
Montaigne avait sa bibliothèque au troisième étage d'une tour. Assis à sa table, il embrassait d'un regard les livres, rangés sur cinq files, prêts à être feuilletés si un caprice ou une inquiétude le prenaient. Il en avait presque mille, dont soixante-dix-sept nous sont parvenus, avec son nom et parfois ses annotations.
La fascination qui avait enveloppé les viracochas venus d'orient se dissipa comme une nuée. Le halo sacré, la révérence, la vénération s'évanouirent dans l'esprit des Incas, qui ne virent plus dans les Espagnols que des hommes comme eux — pires qu'eux. Alors qu'eux-mêmes avaient tant cherché à exorciser la violence, les Espagnols étaient l'incarnation de la violence déchaînée, qui triomphe et s'enivre d'elle-même. IIs étaient la force pure, inexorable: celle que le feu du soleil ne peut brûler, que le froid ne transperce pas, que la montagne n'écrase pas sous ses éboulis, que les abimes des océans n'engloutissent pas; la force sauvage et chaotique de l'Histoire, qui était parvenue à bouleverser les géométries délicates des esprits indiens, les connexions entre les choses innombrables et les extases du temps sacré. Si leurs artisans décoraient d'or les façades et les murs des temples, les Espagnols voulaient posséder cet or que personne, en réalité, ne peut posséder car il n'est qu'une étincelle pétrifiée du soleil.
Puis vint la fin, précédée, comme celle de Ctésiphon, de Constantinople et de Mexico, par de sinistres présages. Iis remontaient aux temps de Huayna Capac, où quelqu'un avait prophétisé que bientôt des peuples étrangers abattraient le royaume et la religion de Cuzco. Tandis que l'ombre du crépuscule se répandait sur le jardin d'or et d'argent, sur les légers ponts d'osier, sur les rues ombragées d'arbres, sur les morts de la grande place, les présages se multiplièrent. Il y eu des tremblements de terre, des flux et des reflux, des comètes vertes qui répandaient la terreur. Durant la fête du soleil, un condor apparut, messager du soleil suivi de faucons qui tentaient de le tuer à coup de bec. Comme s'il demandait secours à son dieu, le condor se laissa tomber sur la place. Il était malade, couvert d'écailles lépreuses, presque tout déplumé ; et il mourut quelques jours plus tard. Le dernier présage fut le plus terrible. Aux heures sereines d'une nuit limpide, la lune apparut entourée de trois immenses halos : le premier couleur de sang, le second d'un vert sombre et le troisième, semblait-il, de fumée.
Devant Moctezuma, par-delà les côtes et les montagnes inconnues du Mexique, se tenait Hernán Cortés, l'élégant et ironique gentilhomme vêtu de noir, fils de la très vieille et toute jeune Europe. Bien qu'il fot pauvre, il s'était sans attendre coulé dans le personnage théâtral du grand guerrier. Il s'était fait prêter quatre mille pesos pour acheter un uniforme de « capitaine » — un panache de plumes, un collier à chaîne d'or avec sa médaille, un habit de velours brodé d'or — et des bannières et des oriflammes ornées des armes royales et d'une croix.
Nul ne possédait autant que lui le talent d'Ulysse. Il avait l'oeil rapide, l'esprit sinueux, la capacité de s'adapter à n'importe quelle situation, l'art de se sentir à son aise dans un monde totalement étranger : il parvenait à improviser à chaque fois la décision voulue, alors que les Aztèques étaient, eux, paralysés par la conscience de lutter avec les dieux. Excellent causeur et fin diplomate, il connaissait l'art du mensonge, de la parole masquée, évasive et trompeuse, et vainquit d'abord par ses paroles ce seigneur de la parole qu'aurait dû être l'empereur aztèque.
Pietro Citati :
Portraits de femmesEntre Paris et Venise, à bord du Venice Simplon Orient Express,
Olivier BARROT présente le livre de
Pietro CITATI "
Portraits de femmes" publié dans la collection Folio. L'
écrivain italien y fait le
portrait de femmes célèbres comme
Jane Austen, Lou Andréa Salomé,
Virginia Woolf ou
Katherine Mansfield.Ce sujet est illustré par des
photographies de
Pietro CITATI et de ses héroïnes.