AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Brigitte Pérol (Traducteur)
EAN : 9782070710553
400 pages
Gallimard (21/10/2004)
4.41/5   11 notes
Résumé :
Lancé sur les traces d'Ulysse, " l'homme à la pensée chatoyante ", Pietro Citati nous invite à redécouvrir le héros le plus célèbre de la poésie épique occidentale.
Semblable à Hermès, son archétype divin, Ulysse aime le voyage, l'aventure, la magie, la ruse, les frontières. Nul héros n'est plus mobile que lui, même ses cheveux changent de couleur, tantôt blonds, tantôt pareils à la fleur de jacinthe. Figure complexe, peut-être faut-il, pour comprendre Ulysse... >Voir plus
Que lire après La pensée chatoyante : Ulysse et l'OdysséeVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Le voyage est la vraie passion : irrépressible et labyrinthique comme le récit...
Le récit est la vraie passion : irrépressible et labyrinthique comme le voyage...

Il est des auteurs dont vous faites la rencontre de manière fortuite, en feuilletant les pages d'un de ses livres, en laissant vos yeux errer sur le papier et marquer votre inconscient...
il est des auteurs dont vous faites la rencontre de manière indirecte car une personne vous y a amené, et dans la confiance aveugle vous vous dites : j'y vais !!!

Et une fois le premier livre en mains et les premières lignes lues, c'est une révélation, une explosion de mots, un tsunami de sensations. Et une fois que vous vous êtes délecté de ces premières pages, c'est votre esprit cartésien qui reprend le dessus et vous vous dites : j'ai rarement lu une écriture aussi riche, à bien des égards, une culture aussi abyssale, mais jamais ennuyeuse, une érudition monumentale, mais jamais pédante,
Et ensuite viennent les émotions, ce merci que vous pourriez écrire en lettres majuscules, à qui vous a parlé de cet auteur (Enjie77), cette sensation inouïe d'un bonheur de lecture, comme rarement il a était donné d'en rencontrer, cette envie irrésistible et irrépressible de vouloir continuer encore et encore à vous abreuver de ces connaissances, ou plutôt de ses connaissances car Pietro Citati, car c'est de lui qu'il s'agit est impressionnant de connaissances et de de plaisir de transmission.

Deux mots quand même sur cet auteur, critique littéraire et historien de la littérature transalpin, décédé à 92 ans en 2022.
Caractère premier et fondateur de son travail, Pietro Citati est d'abord un très grand lecteur qui fait magistralement part, ensuite, de ses découvertes. Il explique lui-même, en mots très simples, ce qui fait la nature et la singularité de son travail: «Quand j'ai fini d'analyser les oeuvres, j'éprouve le besoin de raconter.»
La plupart de ses livres – Brève Vie de Katherine Mansfield, tolstoï, Kafka, Alexandre le Grand, Goethe, La Colombe poignardée (sur Proust), Portraits de femmes (de sainte Thérèse d'Avila à Lou Andréas Salomé) – sont des biographies merveilleusement relatées, rédigées après des investigations approfondies et subtiles.
Il a obtenu parmi de nombreuses récompenses le Prix de la latinité de l'Académie française et voici ce que disait sur lui, lors de la remise de son prix, Hector Bianciotti le jeudi 29 juin 2000 :
"Pietro Citati sait — le moindre de ses textes suffit à en témoigner — que les vrais livres, ceux qui passent à la postérité, vont au-delà de l'intention de l'auteur. Et c'est ce qui l'intéresse, ainsi que les échos et les affinités qu'entretiennent les oeuvres éloignées par des années, des siècles, au sein d'une culture ; et davantage quand des grandes cultures qui se sont développées en s'ignorant, découvrent les liens qui les unissent.[...] En fait, lorsqu'on lit Citati, on comprend que ce qui en lui dépasse de loin l'esprit purement critique, c'est le désir impossible de lire tous les livres, d'épuiser toutes les bibliothèques — et peut-être même de cueillir leur substance, déposée, endormie dans une vague mémoire collective, pour les condenser dans un ouvrage qui serait l'inconcevable « livre des livres »."

Mais revenons à " La pensée chatoyante - Ulysse et l'Odyssée (La mente colorata - Ulisse e l'Odissea) ", Pietro Citati nous emmène à la découverte d'Ulysse.

Quel dieu, quel héros, quel animal divin, quel homme se cache sous le nom encore mystérieux d'Ulysse ? A peine s'approche-t-on de lui, pour le suivre d'un chant à l'autre de l'Odyssée, comme le suit aussi son destin aventureux, qu'Ulysse vacille, pivote sur lui-même et révèle un visage baigné dans une lumière toujours changeante. Tantôt il apparaît devant nous comme un noble héros, resplendissant de grâce et de beauté, enveloppé dans un moelleux manteau de pourpre ; et tantôt, au contraire, comme un vieux mendiant aux yeux chassieux, à la peau flétrie, affublé de haillons noircis par la fumée et d'une besace repoussante.
Tantôt l'on dirait un lion, traversant le vent et la pluie avec des yeux de braise, et tantôt une pieuvre, avec sa tête visqueuse et ses tentacules insidieux, agrippés au rocher ; parfois c'est un grand aigle à la parole humaine, et parfois un vautour, circonspect et rapace...
Nous ne savons quel visage choisir, quel animal préférer ; et à la fin il nous semble entrevoir, dans les lumières et les brumes de la Méditerranée, une sorte de griffon marin, qui a la tête du lion et les tentacules de la pieuvre, les ailes de l'aigle et le bec du vautour.
L'auteur et sa plume alerte nous invite à nous approcher cette figure extraordinaire, Ulysse ressemblait aux deux divinités qui le protégeaient: Hermès, dont il descendait, et Athéna, qui le suivit avec l'amour exclusif d'une complice. Sa nature était multiple et versatile, comme la leur : il savait revêtir toutes les formes, il s'engageait dans toutes les voies et tendait, toujours sinueux et ondoyant, vers toutes les directions à la fois. Son esprit, coloré et bariolé comme celui d'Hermès, ressemblait lui aussi à un tableau ou un tapis ; mais il était également artificieux comme un discours ; énigmatique et compliqué comme les labyrinthes et les constellations célestes, et secret comme l'esprit des voleurs, des marchands et des amants clandestins de la nuit.

Le destin le fit errer, dix ans durant, loin de chez lui ; il lui révéla les violences des Cyclopes, la tristesse désolée de l'Hadès, les tempêtes et les naufragés ; un long emprisonnement, baigné de larmes, au coeur de la Méditerranée ; et il le poussa jusqu'au point où les directions se perdent, où l'orient se confond avec l'occident.

Comme pour tous les hommes, c'était là sans doute Son destin : le seul qu'il pût connaitre, car les vagabondages, les retards et les labyrinthes dans lesquels il faillit se perdre incarnaient l'impulsion à la fuite qu'il portait en lui. Mais, par ailleurs, quelqu'un lui avait imposé ce destin. Alors qu'il errait de rivage en rivage, son seul désir était de retourner dans l'ile où il avait laissé sa maison, ses richesses, son lit patriarcal, et son épouse qui lui ressemblait comme une soeur. Nulle flatterie ne put le fléchir: il triompha, lune après l'autre, des forces qui pouvaient l'inciter à l'oubli et pré serva, intacte, sa mémoire, traversant sans céder au sommeil les flots et les mystères de la Méditerranée.
En même temps, il souffrait de cruelles douleurs. Il connut toutes les inquiétudes, les angoisses, les tourments de l'esprit et du corps, les terreurs les plus nobles et les plus viles ; il but le calice de son existence jusqu'à la dernière, la plus atroce humiliation, mendiant dans sa propre demeure. Ce flot de souffrances, qui se répandit en lui comme en un vase toujours prêt à le recevoir, constitua la réalité essentielle de sa vie. A travers dix années de guerre, puis dix autres années de vagabondage, il apprit l'art de supporter, d'un coeur patient et tenace, toutes les souffrances du monde; et aussi le plus grand et le plus difficile de tous les arts : celui de respecter pieusement, quoi qu'il arrive, la volonté des dieux.

Mais Pietro Citati nous rappelle finalement que le royaume sur lequel Ulysse régnait en souverain tout-puissant était celui du récit, aussi compliqué et infini que le tracé de ses voyages sur la carte de la Méditerranée.
Dans I'Odyssée, où tous feignent, mentent et racontent, nul ne possède ses incomparables talents de narrateur. Nul ne connaît, comme lui, l'art de s'approprier et d'adapter les expériences les plus diverses ; personne n'a une mémoire aussi constante ni un esprit aussi ambigu que le sien, inextricable comme les noeuds de Circé, coloré comme ses tapisseries, aussi changeant que Protée, aussi mensonger que celui des charlatans de foire. C'est ainsi qu'Ulysse devint le symbole même de l'art de raconter. Tous les grands auteurs de romans allèrent à son école et s'efforcèrent de posséder cet extraordinaire faisceau de dons.

Comme il le souligne dans un autre ouvrage "Lorsqu'il écrivait le Second Faust, Goethe aimait plus que tout les lieux secrets des Mille et une nuits les tombes, les puits, les escaliers qui s'enfoncent à l'infini. les cavernes habitées, les pièces cachées, les palais souterrains où règnent les princesses des djinns. Là, dans les profondeurs où vivent aussi les Mères, gisent les mystères et les trésors.[...] Les continuateurs de Shéhérazade nous répètent que la tâche du narrateur est double. D'un côté, il sait bien que descendre dans les cavernes habitées par les mystères est d'une immense difficulté : pas de route, pas de guide, pas de maitre. Rien n'est plus dangereux que de chercher à connaitre les secrets: une loi l'interdit, et il ne peut l'enfreindre qu'au prix de sa vie. Mais de l'autre, il ne manquer d'affronter ce risque. Avec toute sa ruse et sa force, il doit descendre dans les tombes, les
puits, les cavernes, les palais souterrains ; interroger les énigmes, les porter à la lumière et les raconter à ses lecteurs, de cette parole joyeuse et voilée qui les cache et les révèle à la fois."

Et c'est ce pari lumineux qu'accomplit Pietro Citati, et son livre est comme celui sur lequel il se plonge, dans lequel il nous emmène et nous guide :

" Les poèmes homériques n'ont pas de véritable conclusion. La fin reste au-dehors du texte : en un point, ou plusieurs points, auxquels font allusion événements, paroles, sentiments, sensations des deux livres. La fin de l'Iliade n'est pas « la sépulture d'Hector dompteur de cavales », comme le dit le dernier vers, mais la mort d'Achille, annoncée de plus en plus douloureusement par les paroles d'Hector, de Thétis, des chevaux d'Achille ; et puis la destruction de Troie, dont parlent, dans les mêmes termes (merveilleuse coïncidence), aussi bien Agamemnon qu'Hector. La fin de l'Odyssée est elle aussi hors du texte : dans la prophétie que Tirésias fait à Ulysse au livre XI, et qu'Ulysse répète à Pénélope au livre XXIII. Selon une loi de la pensée épique, la conclusion peut être annoncée, mais non représentée. Au début de l'Occident, quand rien n'avait été écrit, le « premier Homère » et le « second Homère » avaient prévu une forme de littérature moderne : le roman sans fin. Les deux plus grands romans du XIXE et du XXe n'ont pas non plus de conclusion. Guerre et Paix semble exalter le principe de la vie familiale, limitée et concentrée dans le présent ; et pourtant, son dernier héros est Nicolenka, le fils du prince André, qui rêve de marcher plus tard à la tête d'une immense armée – lignes obliques, blanchissantes, qui emplissent l'air comme des toiles d'araignées – et de retrouver son père. La Recherche elle aussi semble culminer avec la matinée chez la princesse de Guermantes, où Marcel a la révélation de la mémoire : mais il y a des événements postérieurs, que nous ne parvenons pas à dater ; et le livre, qui devrait représenter le passé, pénètre rapidement dans le futur, au-delà de la mort de celui qui l'a écrit."

Une fois le livre refermé de l'homme aux mille ruses, et finalement aux milles couleurs, il n'en reste qu'une : l'or et le sentiment d'avoir lu une pépite...
Pépite que j'emmène sur mon île déserte, qu'elle soit Ithaque, à moins que je choisisse Kato ou Kéros qui, elles, ne sont pas habitées....
Commenter  J’apprécie          2613
J'ai lu La Pensée chatoyante lentement, avec délectation, revenant sur certains paragraphes, retournant en arrière, rien que pour le plaisir. J'ai fait durer la lecture et je referme le livre à regrets. J'y reviendrai!

Il fait suite à la lecture de Mendelsohn sur le même thème : Une Odyssée:  un père, un fils, une épopée, que j'ai également beaucoup aimé. Deux commentaires d'une même oeuvre, et sans un moment d'ennui ou de redondance. Une même impression de découverte (re-découverte?). Et pourtant ma dernière relecture de l'Odyssée en voyage à Ithaque  ne date que de quelques années.

Mendelsohn livre une interprétation personnelle très humaine, un père, le sien, un fils, lui même en parallèle avec la (re)connaissance d'Ulysse par Télémaque.

En revanche, Pietro Citati met en scène les dieux. le Prologue raconte la naissance d'Apollon et celle d'Hermès puis présente les Muses, " filles de Mnémosyne, la Mémoire". Apollon contradictoire,avec sa cithare-arc "entre terreur et harmonie, entre force et faiblesse, entre nuit et lumière, entre l'arc et la lyre....." . C'est à Hermès qu'il attribue la Lyre, et aussi "un esprit au mille couleurs, chatoyant". La Pensée Chatoyante, titre de l'oeuvre, est elle dédiée à Hermes ou à Ulysse, lui aussi sinueux, changeant, menteur, voyageur... en un mot hermétique. Ce dernier adjectif, est un mot-clé du livre. Très prosaïque, moi-même, je ne connaissais que le sens "se dit de tout objet étanche ", à la rigueur "difficile à comprendre" ; je n'avais jamais fait la liaison avec Hermès. 

Les Quatre parties de "l'Odyssée" font aussi la part belle aux dieux de l'Iliade et de l'Odyssée. Les premiers chapitres reviennent sur l'Iliade particulièrement sur le personnage d'Achille. Achille est à l'opposé d'Ulysse " Achille est droit ; si Ulysse trompe il dit vrai ; si Achille est coloré il est blanc." . Citati distingue alors un "premier Homère" qui a touché au sommet du sublime dans l'Iliade tandis qu'un "second Homère" aurait rédigé l'Odyssée.

Cette référence au  "Premier Homère" et au  "Second Homère" se poursuit jusqu'à la fin du livre. Tout au long de la lecture, je me suis interrogée sur ce "second Homère". J'ai trouvé sur Internet des articles savants sur une controverse entre hellénistes datant du temps des Romains portant sur l'existence-même d'Homère, sur la possibilité que l'Iliade et l'Odyssée ne soient pas du même auteur; le premier Homère aurait rédigé l'Iliade et le second, l'Odyssée.  Querelle de spécialistes, je n'y connais rien. Une hypothèse qui m'a poursuivie durant ma lecture était celle que, Ulysse lui-même, dans ses récits et ses mensonges, soit le "second Homère" . J'ai attendu jusqu'au dernier chapitre une explication définitive que je n'ai pas trouvée....

Comme dans l'Odyssée, et comme me l'a appris Mendelsohn, après le Prologue, la Télémachie conduit à la suite de Télémaque et d'Athéna à Sparte à la cour de Ménélas et d'Hélène. Nous retrouvons les héros de Troie et ce qui est advenu à leur retour. le récit mystérieux d'Hélène m'a surprise. J'avais aussi oublié Protée

La suite de la Pensée chatoyante nous promène avec Ulysse dans l'Île de Calypso qui s'appelle ici "Ogygie, l'ombilic du monde" et que le tourisme moderne identifie à Gozo. Justement nous en revenons! La grotte de Calypso avait été une déception, une fissure plutôt qu'une grotte perchée loin du rivage. Mais si on pense qu'Ogygie était la prison d'Ulysse, la fente sinistre dans la roche suspendue au dessus de la plage devient beaucoup plus crédible. Il me plait que Gozo qui possède un des plus vieux temples de l'humanité, bien plus vieux que la Guerre de Troie, soit "l'ombilic du monde"

J'ai lu l'Odyssée à Ithaque et à Corfou, j'ai donc été plus attentive au récit d'Ulysse aux Phéaciens, cependant Citati, démêle les mondes doubles, celui proche de l'âge d'or où les dieux se montraient aux hommes, du monde des hommes, des contemporains d'Ulysse où ils apparaissent déguisés, du monde actuel ....Avec Calypso et Circée, le récit baigne dans la magie.

Magie ou astuce? d'Ulysse à qui la vanité joue des tours? Ulysse ne donne pas son nom, et ne se dévoile qu'au dernier moment, aussi bien  aux Phéaciens qu'à Ithaque. Citati donne de l'importance à cet anonymat qu'il cultive. Personne, se nomme-t-il auprès de Polyphème, le Cyclope, ce qui le sauve. Ulysse fils de Laërte crie-t-il au Cyclope ce qui déclenche le courroux de Poséidon. Personne, reste-t-il caché dans la prison de Calypso.

En lisant La pensée chatoyante, je redécouvre de nouveaux épisodes, sur lesquels l'auteur a braqué le projecteur et qui m'avaient échappé; il dévoile aussi les intentions des dieux, leurs déguisements, le brouillard qui leur sert à masquer la réalité, les métamorphoses...Il établit aussi des concordances étonnantes avec des oeuvres de la littérature. La comparaison la plus osée et une des plus réjouissante est celle d'Ulysse et du Docteur Freud dans l'Interprétation des rêves :

"Le "second Homère" pense qu'il est un bon interprète des songes. Il procède comme un psychanalyste moderne qui sépare les éléments les uns des autres et traduit les figures superficielles en figures profondes.

Je ne voudrais pas identifier la figure du mystificateur chatoyant, sur le point de reconquérir son trône avec celle de son austère élève de Vienne. Antre la psychanalyse du roi d'Ithaque et celle de Freud il y a deux différences. Les rêves freudiens sont issus de l'immense dépôt du passé, plein de sens et d'apparences indéchiffrables[....]Freud veut comprendre l'âme du patient et si possible le guérir. le songe qu'Ulysse étudie ne renferme pas seulement le passé : l'avenir surtout s'y cache : c'est une prédiction, une prophétie qu'il entend révéler à Pénélope ; c'est ainsi seulement qu'il peut la guérir....."

Je reviendrai à La Pensée chatoyante, pour y trouver encore d'autres relations avec la culture moderne, des raccourcis surprenants qui nous mènent à la madeleine de Proust ou à la chaise de van Gogh que Citati compare au lit mythique qu'Ulysse a construit avec un olivier ancré dans le sol. On y découvre aussi les fondements du récit, de toute la littérature.

Le mot de la fin :

"Le livre contient des récits mythologiques que certains, ou la plupart connaîtront ; mais mon livre avait envie de les raconter : et je crois qu'il faut obéir aux désirs des livres."
Lien : http://miriampanigel.blog.le..
Commenter  J’apprécie          30
En avril 2020, la chaîne Arte a diffusé les différents épisodes du reportage de Christophe Raylat et Sylvain Tesson, « Dans le sillage d'Ulysse » (je vous recommande ce documentaire, que vous pouvez visionner en replay). Cela m'a rappelé la présence dans ma PAL du livre de Pietro Citati, que j'avais trouvé il y a quelques mois dans une boîte à livres, et qui attendait bien sagement son tour…
C'est donc tout naturellement que j'ai entamé ce livre, et j'ai découvert un trésor. Pietro Citati a entrepris l'analyse de l'oeuvre d'Homère sous un jour entièrement nouveau pour moi. Il ne s'agit pas d'une étude historique, qui replacerait le voyage d'Ulysse dans son contexte antique et chercherait à identifier les lieux visités (ce que fait très bien le documentaire d'Arte). Mais l'auteur installe au départ deux figures, celles des dieux Apollon, et surtout Hermès, ce dernier apportant un angle de vue aussi inattendu que fécond. le mythe d'Hermès vient en permanence éclairer la figure d'Ulysse, faisant ressortir tantôt des analogies, tantôt des contrastes donnant un relief particulier à tel ou tel épisode.
En réalité, il faudrait avoir en main le livre de Pietro Citati en même temps qu'on lit l'Odyssée, et suivre épisode par épisode le commentaire qu'il en délivre. Ainsi apparaît un personnage plus complexe que je ne le ressentais, qui côtoie les hommes et les dieux, qui doute et cherche. Il est prudent, il met à l'épreuve ceux qu'il rencontre, y compris sa femme Pénélope, prêche le faux pour savoir le vrai.
Dans son excellent commentaire, que je vous invite à lire, notre collègue Babelionaute Miriam a très bien montré comment, grâce à cet ouvrage, la lecture de l'Odyssée est approfondie et enrichie.
Pour Pietro Citati, la trace des poèmes homériques est si profonde dans la culture humaine qu'elle est parvenue jusqu'aux romanciers du XIXème siècle : l'Odyssée a façonné l'art des écrivains et l'esprit des lecteurs jusqu'à nos jours.
Que vais-je faire maintenant ? J'ai déjà repris avec plaisir l'Odyssée en bande dessinée publiée dans la collection du Monde « Les grands classiques de la littérature en bande dessinée ». Vais-je, comme Ronsard, « lire en trois jours l'Iliade d'Homère » ? (ça paraît facile, mais d'après mon professeur de lettres au lycée, Ronsard lisait le texte original en grec…). Vais-je me replonger dans l'Odyssée, avec la merveilleuse traduction de Victor Bérard éditée par la Pléîade ? Ou vais-je affronter, tel le monstre Scylla, les quelques 1600 pages d'Ulysse de James Joyce, qui m'attendent depuis quelques mois, tapies dans ma liseuse ?
Amis Babelionautes, que feriez-vous à ma place ?
Commenter  J’apprécie          40

Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
La guerre ne connaît ni limite, ni répit, ni frein, ni rivaux. Quand Grecs et Troyens s’affrontent, leur clameur domine le tumulte de la mer, qui soulève ses flots très haut sur le rivage, sous le souffle de Borée ; elle domine le grondement du feu qui brûle dans les gorges d’une montagne ; et le hurlement du vent dans le feuillage luxuriant des chênes. La guerre triomphe des phénomènes naturels : mais dans la nature – dans la mer, dans le feu, dans le vent, dans la rosée même – réside la même force destructrice, la même nécessité qui se déchaîne dans la plaine de Troie. Cette force blesse les êtres plus délicats : le coquelicot alourdi de rosée penche la tête d’un côté ; le peuplier, la cime chargée d’une frondaison touffue, tombe à terre dans la poussière et se dessèche près de la rive du fleuve ; l’olivier, constellé de fleurs blanches, est arraché par le soudain tourbillon des vents. Les jeunes guerriers qui tombent devant la mer sont eux aussi des coquelicots et des peupliers abattus par le vent ; et leurs vies antérieures, leurs parents, leurs femmes et leurs enfants s’effacent aussi. Ainsi, il n’y a pas de différence entre la nature et l’homme : tous deux sont fragiles et peuvent être blessés ou anéantis par la guerre et la violence des choses.
Commenter  J’apprécie          150
Dans l’Iliade, Hélène habite la demeure que Pâris avait construite au sommet de la citadelle de Troie. Elle se tient dans le mégaron, entourée de ses esclaves, et tisse une tapisserie de couleur pourpre. Elle ne brode pas la terre, le ciel et la mer, le soleil et la pleine lune, les signes célestes ; ni non plus les noces et les festins, les fleurs, les travaux des champs, les vignes chargées de grappes, les danses et les courses des jeunes gens ; ou la gloire des dieux et des héros du passé. Sur sa toile, Hélène tisse les combats et les souffrances qu’endurent les Grecs et les Troyens, ou qu’ils ont naguère endurés à cause d’elle : des événements dont elle est le centre. Elle sait très bien qu’elle en est le centre. Elle n’en tire aucune vanité, aucune arrogance – rien n’est plus terrible que d’habiter dans ce centre – mais plutôt la conscience tragique d’occuper le lieu immobile que les dieux lui ont attribué.
Commenter  J’apprécie          140
Avant même sa naissance, Apollon fut redouté des Grecs. Léto, dans les douleurs de l’enfantement, errait par les terres et les îles de la mer Égée ; c’était la plus aimable des déesses, parée de toutes les qualités que son fils devait farouchement ignorer. Elle demanda l’hospitalité. Mais les terres et les îles connaissaient Apollon avant même qu’il ne fût né, et tremblaient à la pensée de le voir fouler leur sol. Elles refusèrent, et le dieu connut ainsi la douleur et la difficulté de venir au monde, comme les êtres humains. Enfin Léto s’adressa à Délos, la plus petite, la plus obscure des îles de la mer Égée. Elle lui offrit un temple. Délos aussi tremblait. Elle craignait de voir le jeune dieu la mépriser et, la foulant de son pied, l’enfoncer dans les eaux : alors les flots la recouvriraient, les poulpes feraient leurs nids sur elle, les phoques viendraient habiter sa surface désertée. Léto jura : « Ici toujours s’élèvera l’autel odorant de Phébos, et son sanctuaire, et il t’honorera entre toutes les terres. » Alors seulement, Délos accepta d’accueillir la mère et le fils.

(INCIPIT)
Commenter  J’apprécie          112
Imaginer un paysage tout de mort est presque impossible : l’imagination humaine est obligée d’y infiltrer un soupçon de lumière ; mais Homère y est parvenu avec une cohérence effrayante.

Les âmes qui volettent sont asséchées, desséchées, après le bûcher funèbre. Elles ne possèdent ni humeurs ni liquide – cette eau si abondante dans l’Océan ou sur notre terre, comme source primordiale ou comme pluie. Les âmes sont comme des images reflétées dans le miroir : identiques aux personnes qu’elles ont été dans la vie, mais affaiblies, vides, insaisissables ; elles s’enfuient dès que nous voulons les étreindre. Ou elles sont comme des fantômes, des spectres, des ombres, elles aussi inconsistantes. Ou comme des songes, comme de la fumée. Toutes les analogies possibles reviennent et s’entrelacent pour rappeler la spectralité sans remède qui imprègne d’elle-même tout l’Hadès et, chez Pindare, jusqu’à l’existence. Les âmes n’ont plus d’énergie, ni de conscience vitale, ni d’intelligence, ni de passion, ni de sang, ni de mémoire : pures enveloppes vides emplies de la substance vide du brouillard. Il ne leur reste qu’une voix, résidu de la voix humaine : une stridence sinistre, un piaillement comme celui des chauves-souris ; et elles volettent dans la nuit.
Commenter  J’apprécie          92
Ménélas se souvient d’Ulysse. Tous pleurent. Télémaque pleure son père, qu’il cherche vainement ; Pisistrate pleure son frère, Antiloque, mort à Troie et qu’il n’a pas connu ; Ménélas pleure son rêve impossible de passer la fin de sa vie aux côtés d’Ulysse, à évoquer le passé ; et Hélène elle-même, qui pourtant ne devrait pas pleurer, parce qu’elle est au-dessus de toute faute et de toute destinée, pleure parce que, peut-être, elle connaît la souffrance comme ses victimes. Pisistrate déclare qu’il faut pleurer nos morts : c’est notre privilège, notre don d’honneur, notre mission, notre devoir. L’espace d’un instant, la civilisation grecque semble atteindre là son point culminant, dans le culte des morts et la déploration.
Commenter  J’apprécie          162

Video de Pietro Citati (1) Voir plusAjouter une vidéo

Pietro Citati : Portraits de femmes
Entre Paris et Venise, à bord du Venice Simplon Orient Express, Olivier BARROT présente le livre de Pietro CITATI "Portraits de femmes" publié dans la collection Folio. L'écrivain italien y fait le portrait de femmes célèbres comme Jane Austen, Lou Andréa Salomé, Virginia Woolf ou Katherine Mansfield.Ce sujet est illustré par des photographies de Pietro CITATI et de ses héroïnes.
Dans la catégorie : Poésie épiqueVoir plus
>Littérature (Belles-lettres)>Littérature hellénique. Littérature grecque>Poésie épique (38)
autres livres classés : mythologieVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (43) Voir plus



Quiz Voir plus

Pietro Citati (1930-2022)

Que signifie ce ciel si haut et si serein qui soudain emplit l'esprit du prince André ? Que veut dire ce calme profond qui brusquement interrompt le tumulte de l'histoire et la marche du roman ? Que nous confie cette vision extatique d'un mystérieux au-delà ? Nous sommes en face de la plus grande des révélations religieuses qui illumine l'esprit du prince André : la seule à laquelle il puisse atteindre à travers son rationalisme mathématique exacerbé.

Zelda et Francis Scott Fitzgerald
Marcel Proust
Franz Kafka
Katherine Mansfield
Léon Tolstoï

10 questions
30 lecteurs ont répondu
Thème : Pietro CitatiCréer un quiz sur ce livre

{* *}