AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Terre natale (62)

I L'INTRUS


Extrait 19

Un livre déplacé devient  introuvable. Je me sens in-
trouvable. Qui m’a déplacé, de sorte que je ne pourrai
plus me lire ?
La coïncidence est le début de l’effroi, Narcisse et son
double. Un corps fantôme ? Dans un miroir, le corps
devient spectral. Pourquoi voile-t‑on les miroirs lorsque
la mort frappe un foyer ? Pourquoi aussi voile-t‑on le
corps des femmes pour les rendre désirables, les soies, les
voilettes, les guipures, les jarretelles, les bas ? Comme s’il
fallait les endeuiller avant de pénétrer. La perte : Marie,
mère, et toujours vierge. Et pourquoi pas le gain de la
virilité ? Le don de l’autre. De quelle absence le désir de
l’autre prétend-il apporter le salut ? Désirer l’autre voilé
de noir, comme on voile de noir le miroir des maisons
endeuillées. Il me faut être absent à moi-même pour désirer
me recomposer dans un corps qui n’est pas le mien.
...

p.24-25
Commenter  J’apprécie          10
I L'INTRUS


Extrait 18

Après le dentiste, la moitié de mon visage avait disparu.
Elle n’était pas insensible, elle n’existait plus. Un
trou. Il me faudrait aller vérifier dans un miroir que la
partie est toujours là, alors même que ma main rencontre
une absence.
La première frayeur, la plus forte, à découvrir le fauteuil
hérissé de canules, de tuyaux, de fraiseuses, et le miroir
par-dessus, aveuglant, les sons aigus dans les oreilles, les
chuintements, les crissements, les souffles : une machine
de science-fiction. Tout cela pour une pauvre dent ? La
première dent sous l’oreiller, pour la souris, qui déposerait
à sa place un sou, un chocolat, un bonbon… Cette
fable, ces contes autour des dents, la dent de lait, la dent
de sagesse, la vie pavée de petites dents, la dent contre
ceux qu’on n’aime pas… La dent, à l’évidence, pour un
enfant, avait à faire a de grandes choses. Pour les gens
simples, une dent qui tombe en rêve annonce la mort
d’un proche. La Chute de la maison Usher… Le dentiste,
cet homme étrange, habillé de blanc, sous les apparences
d’un sculpteur sur ivoire, d’un graveur sur émail, ou d’un
simple modeleur, avait en vérité à traiter avec les fins
dernières, qui décidait du destin et prolongeait la dent qui
aurait du tomber ou qui précipitait sa chute.
Les trente-deux petites choses blanches, semblables
à de l’ivoire, qui brillent dans l’obscurité, et qui s’épar-
pillent sur le plancher, dont parle Poe dans Bérénice…
Les dents sont les seules choses qui se laissent voir de
notre squelette, et même elles s’exhibent, elles éclatent,
quand on rit, de tout leur éclat.
Entre-temps, l’anesthésique avait perdu de son pouvoir
et peu a peu repoussait la moitié de la mâchoire que
je croyais perdue.
...

p.23-24
Commenter  J’apprécie          10
II L'HOMME DE VERRE


Extrait 9

§§ c

  Dans la vieille Europe, on resterait fidèle au vase glissé
dans la table de nuit, dont on refermerait la porte pour
chasser les odeurs, et pour ne pas avoir dans l'ombre à
se heurter aux choses, avant de prendre pour dormir un
livre sur son plateau.
  Ce pendant, demandait Macbeth à son médecin : « Si
vous pouviez analyser l'urine du monde… »

p.45
Commenter  J’apprécie          00
II L'HOMME DE VERRE


Extrait 9

§§ b

  La faïence de l’urinoir, blanche et inodore, serait
après lui, dans les salons new-yorkais, le triomphe de
la technique appliquée au confort, le modèle de l’œuvre
d'avant-garde, comme les biscuits rococo représentant
des bergères et des divinités l'avaient été au temps des
courtisans.
..

p.44-45
Commenter  J’apprécie          00
II L'HOMME DE VERRE


Extrait 9

§§ a

  Duchamp découvre au même moment, en Amérique
aussi, une civilisation ou l’art a perdu son importance,
son rôle et sa puissance. L’argent est une marchandise,
un papier-monnaie, un assignat, sans valeur ni pouvoir,
et parmi elle, au tout premier rang, marchandises elles
aussi, les productions de l’art. L’Amérique est la pre-
mière civilisation utilitariste du monde. La seule réali-
sation nouvelle qu’elle a produite, dans l’excellence de
sa qualité, conclut Duchamp, c’est la plomberie et ses
instruments qui permettent un parfait échange, une par-
faite liquidation, au sens bancaire, des humeurs corpo-
relles. L’urine n’est plus l’origine, elle n’est plus qu’un
déchet, qu’il faut éliminer, à l’inverse de l’or dont elle
avait été le symbole. Sa Fontaine devient les fons et origo
de la modernité.
..

p.44
Commenter  J’apprécie          00
II L'HOMME DE VERRE


Extrait 8

§§ c

  Uriner, c’est marquer son territoire, comme le font
les animaux, qui marquent le lieu qui leur est « propre ».
Mais aussi chez les humains, les enfants incontinents,
comme Gargantua qu’on voit pisser entre les tours de
Notre-Dame.


p.44
Commenter  J’apprécie          00
II L'HOMME DE VERRE


Extrait 8

§§ b

  L’uroscopie cédera la place à l’uromancie. Ce fut un
siècle d’or de la peinture, la gloire, sous un prétexte mytho-
logique, d’un liquide qui, sous le nom plus tard de Gol-
den Showers, se répandrait, grâce aux pouvoirs d’un Dieu
antique, sur des corps féminins, sous forme de pluie d’or.


p.43
Commenter  J’apprécie          00
II L'HOMME DE VERRE


Extrait 7

  Les théologiens ou les philosophes auraient appelé ce
mal une reductio ad imaginem. Ou bien une Imago mor-
tis, comme dans les représentations de la Pietà, à la fin
du Moyen Âge ?
  Au fond, j’ai simplement cessé de m’aimer, comme le
héros de Thomas Mann recule devant celle qu’il aime
radiographiée. Mais c’est de moi qu’il s’agit, non d’un
être aimé. Et d’un corps de chair, et non d’un cliché.

p.43
Commenter  J’apprécie          00
II L'HOMME DE VERRE


Extrait 6

§§ b

  Transparent et sans odeur, préservé de toute pour-
riture, mon corps est invisible, une ombre parmi les
ombres.
  Je n’ose plus toucher mon corps, exercer la palpa-
tion que le médecin ne s’autorise pas : on ne porte pas
la main sur les fantômes. J’éprouve à regarder ce vide
l’horreur de Hans Castorp à découvrir les poumons de
Clawdia réduits a une plaque de verre.

p.42
Commenter  J’apprécie          00
II L'HOMME DE VERRE


Extrait 6

§§ a

  Il est possible aujourd’hui d’obtenir du corps des mil-
lions d’images, les coupes infinitésimales d’une anatomie,
les vaisseaux, les muscles, les tendons, les os et les organes,
les cellules du cerveau. Si l’on ajoute les fantasmagories
de l’imagerie magnétique, résurgence inattendue du mes-
mérisme, tous ces micro-organismes se mettent à vibrer,
à scintiller, et se parer de mille couleurs.
  Pourtant, le médecin ne se lève plus de son fauteuil
pour venir m’ausculter comme son ancêtre, me palper,
examiner ma peau, sonder mes entrailles, moins encore,
au premier coup d’œil, voir au teint, à la couleur des
yeux, à la lourdeur de l’haleine, au trouble des urines,
de quel mal je souffre. Il ne sentira rien, alors que ses
confrères, dit-on, sentaient la mort chez le malheureux
qui pénétrait dans leur officine.


p.42
Commenter  J’apprécie          00






    Lecteurs (19) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Les écrivains et le suicide

    En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

    Virginia Woolf
    Marguerite Duras
    Sylvia Plath
    Victoria Ocampo

    8 questions
    1739 lecteurs ont répondu
    Thèmes : suicide , biographie , littératureCréer un quiz sur ce livre

    {* *}