L'échec : Comment échouer mieux

L'apprentissage de la lecture, on le sait, est semée d'embûches. Enfant, nous butons. Nous ânonnons. En nous un bégaiement s’éveille mantra. Tout n'est que plis et noeuds. On se coince l'œil entre deux lettres comme le doigt dans une porte claquée par le vent, quel vent ?

Faillir, c'est aussi bien faire et ne pas faire ; se planter et ne rien semer. Échouer, c'est aussi, notons-le, arriver, certes mal en point, mais arriver néanmoins, tant qu'à faire sur la plage abandonnée, coquillages et crustacés. Celui qui faut (troisième personne de l'indicatif présent du verbe faillir, j'ai vérifié, merci) rate en conséquence sa cible, qu'il ait ou non décoché sa flèche.

J'ôte, donc je crée. Je soustrais pour produire. Je racle la peau, ce qui fait de moi, sémantiquement parlant, un rastaquouère - de rastracuero: celui qui racle le cuir. Tanner sa phrase : déjà ça. Je défais pour faire. J'habite la
défaite, ouvre dans le défaire. C'est parce que j'échoue en écrivant, ou plutôt parce que je sais que j'échoue en écrivant, qu'il m'est possible de recommencer, de raturer et de récrire. Je dois devenir non seulement écrivain, mais récrivain. Accepter d'être l'implacable récidiviste de mes propres écrits, l'horrible travailleur appelé par
Rimbaud, corriger, tancer. Quand je me relis, c'est gomme à la main, gomme dans les yeux, gomme au souffle. Écrire me gomme .. ce pourrait être une devise pour l'écrivain délivré des tentations pavillonnaires.
p. 65

J'arme le silence. J'absente. Je rogne le centre. J'omets des plis. J'immisce. Je trop, je pas assez, je gruge et luxe. p.63

Rien de plus sournois que ce qu'on appelle la parole libératrice : les choses ne sont pas prisonnières en moi, c'est tout le contraire, c'est moi qui suis prisonnier de ces choses, des choses du langage, du langage-chose. p.62

[l'écrivain] Pour lui, l'échec n'est pas une clôture, mais une étape, qu'il doit repousser sans cesse, c'est en quelque sorte son rocher de Sisyphe, sauf qu'au lieu de simplement le pousser il s'y cramponne, il est la mousse qui s'y amasse tandis que ce monstre roule. p.58

[traduction] Un recto accouchant d'une tribu de versos. p.41