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Je sais, le mot est galvaudé, mais là que dire d'autre? «ÉNORME !» Et pas seulement parce que c'est un sacré challenge pour le metteur en scène: jouée, la pièce dure facilement une bonne dizaine d'heures. Comme le dit Olivier Py, on a l'impression que «C'est une oeuvre cosmogonique qui tente d'embrasser le monde». Dans le Soulier de satin, Claudel rompt les digues, laisse les flots tourbillonnants de son imaginaire, de sa créativité, nous emporter, brassant lieux et personnages multiples, des plus poétiques, comme l'Ombre double, aux plus farcesques, comme les pédants; les registres les plus divers se mêlent, du drame mystique à l'humour distancié de l'exhibition des artifices théâtraux, voire à un comique burlesque. La composition, immense, foisonnante, entrelace de façon complexe plusieurs fils narratifs: les amours de Prouhèze et Rodrigue, que Claudel rapproche des amants stellaires de la légende chinoise qui «chaque année après de longues pérégrinations arrivent à s'affronter, sans jamais pouvoir se rejoindre, d'un côté et de l'autre de la Voie lactée»; le merveilleux chant, la mélodie joyeuse des amours de Doña Musique; l'énergie bouillonnante de la lumineuse fille de Prouhèze, Doña Sept-Épées, aussi déterminée à combattre qu'à aimer; l'histoire des conquêtes espagnoles qui entraînent les personnages aux quatre coins du monde...

Mais c'est surtout l'originalité de la pièce, sa capacité à nous faire écarquiller les yeux et à nous plonger dans un étonnement rêveur qui impressionne. On se laisse porter par la beauté poétique du style, l'étrangeté envoûtante de son rythme, son côté mystérieux, par l'ampleur, la profondeur de l'univers si singulier, extrême, du Soulier de satin.
Et on se dit qu'on y reviendra encore, parce que, comme le déclare l'annoncier au début de la pièce, «c'est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau», et ce mélange d'éblouissements et d'obscurité a un sacré goût de revenez-y.
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C'est au Danemark en 1919 que Claudel a eu la première idée de ce qu'allait devenir le soulier de satin. Au départ, il devait s'agir d'un « petit drame espagnol », qui devait même servir de prologue à Protée. Mais petit à petit, le petit drame s'étoffe progressivement, jusqu'à devenir lors de son achèvement en 1924 la pièce que l'on connaît à la longueur exceptionnelle. La pièce ne sera publiée en entier qu'en 1928, et ne connaîtra la scène qu'en 1943, dans une version abrégée, à la Comédie Française, dans la mise en scène de Jean-Louis Barrault. Ce dernier aura pendant de nombreuses années une sorte d'exclusivité sur la pièce, dont il donnera des versions différentes, sur différentes scènes. Mais c'est Antoine Vitez qui donnera ce qui ressemble à la première véritable intégrale de l'oeuvre en 1987, au festival d'Avignon. le spectacle durait plus de 10 heures...Un grand voyage et une grande aventure. On s'est un peu plus habitué maintenant à des pièces très longues, mais à l'époque c'était complètement hors normes. Depuis, d'autres metteurs en scène se sont attaqué à l'oeuvre, dont Olivier Py. Manoel de Oliveira en a fait une adaptation cinématographique, condensée en 7 heures.

Oeuvre de toutes les démesures, oeuvre somme, le soulier de satin compte des adeptes convaincus, comme des détracteurs acharnés. Sacha Guitry aurait ironisé à la sortie de la première représentation « Heureusement qu'il n'y avait pas la paire ».

La pièce est composée de quatre journées, et se déroule sur des dizaines d'années, entre l'Espagne, l'Afrique, l'Amérique...L'auteur situe l'action « à la fin du XVIe siècle, à moins que ce ne soit le commencement du XVIIe siècle ». Certains événements historiques sont évoqués (l'invincible Armada, la bataille de Lépante…) mais plutôt comme une sorte d'arrière fond, des situations archétypales, qui font sens pour le spectateur, plus qu'ils ne renvoient à un contexte historique précis, certains d'ailleurs sont trop éloignés dans le temps pour avoir pu se dérouler pendant la pièce. Les deux rois d'Espagne qui se succèdent dans la pièce ne sont même pas nommés, ce sont des rois, tout simplement. Claudel ne vise aucune exactitude ni vraisemblance historique, nous sommes dans un espace-temps où tout est possible, où tout est à la disposition de l'imaginaire de l'auteur et du spectateur.

L'intrigue principale de la pièce concerne l'amour impossible de Dona Prouhèze et Don Rodrigue. Elle est mariée au vieux Don Pélage qui l'envoie en Afrique, lui est nommé vice-roi des Indes par le roi, et doit partir aux Amériques. Une lettre arrivée avec dix ans de retard rendra leur union définitivement impossible. Elle mourra sans qu'il la sauve, il finira mutilé, misérable. Mais l'essentiel est l'union spirituelle, que la séparation ici-bas magnifie. En dehors de ce couple, nous ferons connaissance avec des dizaines de personnages, rois, pêcheurs, bandits, européens, africains, asiatiques...Qui chacun auront leur scène, avant de disparaître.

Foisonnante, chatoyante, jouant sur tous les registres, la pièce est un immense patchwork dans lequel chaque pièce a sa place, la seule possible. Les commentaires évoquent les influences de Shakespeare et du théâtre espagnol du siècle d'or, pour le côté baroque, la façon de mélanger le sérieux et le rire, le lyrique et le comique, la mort et la farce. Sans oublier le découpage en journées, pratiqué en Espagne. J'aurais envie d'y enjoindre la tragi-comédie, pratiquée dans le théâtre français du début du XVIIe siècle, même si je ne sais pas à quel point Claudel pouvait la connaître, mais dans le théâtre français, c'est ce qui s'en rapproche un peu. Comme un certain théâtre romantique, dont celui de Victor Hugo. Cromwell, dans sa démesure n'est pas sans évoquer la démesure du Soulier de satin. La représentation n'est au fond qu'une façon possible de l'existence du texte, même par réellement nécessaire. La phrase claudélienne se déroule, coule, et engloutit le lecteur-spectateur-auditeur, comme la phrase proustienne se déroule, coule et engloutit...Le mot, l'image, la réalité intime de l'auteur emporte le spectateur dans un monde de sensations, de ressentis, d'affects, subjectif et de ce fait irrévocable.

C'est une expérience inoubliable.
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Pourquoi faire simple quand on peut faire compliquer ???
"Le soulier de satin" est une pièce de théâtre de Paul Claudel assez connue car sa particularité est de durée onze heures mais c'est aussi pour cela qu'elle est rarement jouée.
Je dois dire que malgré mes efforts j'ai eu du mal à suivre.
Il s'agit d'une sorte de fable qui repose sur la séparation de deux amants, Prouhèze et Rodrigue, en Espagne dans un temps ancien, vers le la fin du 16e siècle sans que cela soit certain. L'idée est que l'absence, le manque de l'être aimé augmente la passion. Pour autant, l'intrigue est constituée d'une multitude d'événements et rebondissements avec un nombre très élevé de personnages (je crois qu'il y en a plus de 70 au total).
L'histoire est en permanence entrecoupée d'autres histoires avec des points de vue différents, c'est comme un puzzle dont il manque des morceaux et donc difficile à reconstituer.
Il semblerait que ce soit volontaire car dès le début de la pièce Paul Claudel déclare "L'ordre est le plaisir de la raison : mais le désordre est le délice de l'imagination."
Je comprends bien la proposition expérimentale et l'originalité de ce dispositif avec cette pièce présentée en quatre journées qui s'étale sur vingt ans, mais le mélange des genres est vraiment déroutant. J'ai eu l'impression que cette pièce ne pouvait être appréciée que par les professionnels de la profession.
Et puis je n'ai pas été sensible au côté Cendrillon de Prouhèze qui remet à la Vierge Mère son soulier. D'ailleurs, je n'ai pas vraiment compris pourquoi. C'est peut-être parce que j'ai décroché avant la fin.


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Polyphonie et drame intime : quand le silence est chargé de sons.

Cette pièce est un formidable opéra tout en mouvement, couleurs et sensations, sur lequel l'angoisse et la souffrance de la séparation n'apparaissent qu'en ombre portée, dans des dialogues d'un lyrisme et d'une beauté inégalables. Par ces voix tissées d'où s'élève un chant fiévreux vers le créateur, c'est l'univers entier, dans toute sa diversité, qui est invoqué tout au long de ces quatre journées comme autant de moments et d'aspects de la vie, pour tourner autour de cette histoire très personnelle, qui est également un long apprentissage du silence et de l'acceptation. Une grande oeuvre.
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Je n'avais pas pu, malgré mes tentatives, lire "Le soulier de satin" avant de l'avoir vu au préalable au théâtre. D'autres, plus imaginatifs que moi, sauront le lire sans l'avoir vu. La scène est l'univers, avec en bas la planète Terre, élargie depuis peu à l'Amérique et au Japon, en haut le Ciel, Dieu et ses anges. Les amants, à grand effort, car l'amour est rebelle, parviennent à s'aimer au-delà d'eux-mêmes, dans le sacrifice qui est, chez Claudel et selon le christianisme, l'amour suprême. Leur parole est magnifique, d'une rhétorique noble, jamais lourde ni déclamatoire, toujours passionnée et poétique; héritier du Romantisme, Claudel trouve le secret de cette fusion shakespearienne du sublime et du grotesque : pendant les onze heures de spectacle du "Soulier de Satin", on rit aussi. C'est un mystère médiéval, une pièce contemporaine par sa scénographie et selon les dernières mises en scène, un "auto sacramental" du Siècle d'Or (la marque de Calderon est très forte) et bien d'autres formes d'art, kabuki en particulier, mêlés en un ensemble cohérent. Bref, une pièce fondamentale du théâtre moderne, qu'il faut aller voir au théâtre. Après onze heures de représentation, le retour chez soi,, une bonne nuit de sommeil, ouvrir le livre et une semaine durant, revoir la pièce page à page dans son esprit, à mesure qu'on lit les mots et les versets de Claudel. La poésie, qui réclame, dit-on, de la lenteur et de la rumination, s'harmonise parfaitement avec le jeu scénique qui exige du rythme et une certaine rapidité ; l'enchantement de la langue et du style est constant. Claudel, après tout, n'a fait que retrouver les habitudes de ces auteurs d'opéras baroques vénitiens, dont les représentations duraient une journée entière : il instaure dans sa pièce, ou plutôt il restaure, une relation autre entre le lecteur et l'oeuvre d'art.
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Comment ressort-on d'une telle lecture après une telle vision (Olivier Pi en 2009) :
Re-vivifié
Ré-enchanté
Ré-généré
La pièce puis sa lecture m'a fait le même effet généreusement dévastateur du film de Clint Eastwood, sur la Route de Madison.
Des larmes qui abondante coulent juste à l'évocation du sacrifice intime, aimant et totale de Dona Prouhèze ! Une histoire d'amour rare !

Certains politiques devraient boire à cette source pour comprendre ce qu'est la "bienveillance" !
Espérer le bonheur de l'autre comme l'autre souhaite l'atteindre !

Écrire de mots, les poser les un a côté des autres pour en faire des phrases, enchaîner ces phrases pour en faire une histoire, Claudel le fait !
… Mais il se produit quelque chose, autre chose de plus qui va au-delà de nos 4 dimensions, tout à coup je me sens nettoyer au plus profond de mon âme !

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Le Soulier de Satin est une pièce de théâtre remarquable, réputée injouable – pensez, 500 pages en collection Folio et plus de 11 heures pour une exécution “complète”! Mise en scène difficile en raison de sa longueur donc, mais aussi de par la multiplicité, la variété et l'incongruité des personnages, et enfin par les indications scéniques parfois fort déroutantes voire farfelues. Foin des sacro-saintes règles du théâtre, des unités de temps et de lieu!

Résumons. L'action se passe a cheval entre le XVIème et le XVIIème siècle au temps de l'Invincible Armada et des conquistadores. le thème principal et l'amour impossible et contrarié entre Dona Prouhèze et le capitaine Don Rodrigue et pour localiser l'intrigue nous reprendrons les parole de Paul Claudel : « La scène de ce drame est le monde ».

Cette pièce m'est apparu mémorable de par l'originalité et l'audace dans sa conception, par sa relative complexité et son humour diffus et par le souffle poétique qui transparait dans ses pages.
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C'est un univers en soi. Avant d'entamer la lecture: ouvrir le livre et lire au hasard. le ton est partout, constitutif de l'oeuvre, homogène. Je ne suis pas fan, mais le choix des mots ou le rythme des répliques vaut le détour.
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Une pièce de théâtre injouable mais tellement belle, c'est ce que l'on pourrait dire à première vue.
Quand j'étais au lycée, nous avons joué des extraits, c'est-à-dire la pièce en mode "jouable". J'avais le petit rôle de l'ange gardien machiavélique de Dona Prouhèze. Je me souviens que je me suis beaucoup amusée à en faire une marionnette et que dès que j'ai pu, j'ai lu la pièce en entier.
On se laisse très vite prendre par l'histoire et on comprends mieux au fil des scènes le second titre "le pire n'est pas toujours sûr". le destn qui s'abat sur les personnage est troublant et empreinte des idées religieuses de Paul Claudel.
Son écriture est très bel, les versets sont déstabilisants au début mais donne toute la tonaité poétique de l'oeuvre ainsi que son originalité.
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La pièce est la découverte du Nouveau Monde par Claudel. L'esthétique baroque, riche et foisonnante sied au sujet mais ce n'est pas de tout repos, vu la longueur de la pièce. On a tout de même un fil conducteur, l'amour sublimé par le divin. Je retiendrai les indications scéniques donnant corps au texte, posant le problème de la représentation d'une pièce mouvante, entre les continents, sur l'Océan. La Cour du Roi d'Espagne tanguant sur la scène, gesticulant quelques courbettes grotesques ou l'Actrice, personnage préparant son rôle de Reine dans une loge improvisée sur scène, rappellent que le Monde n'est que Représentation.
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