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Critique de Antyryia



Ce sera une chronique un peu particulière que celle-ci.

On le répète assez souvent : La réalité rejoint parfois les fictions les plus improbables. Mais cette réalité s'arrête le plus souvent à ce qu'on peut découvrir de loin dans les médias avec un frisson d'horreur avant de passer à autre chose.
Cette fois, la lecture de ce roman noir et machiavélique a été interrompue par un fait divers automnal qui m'a directement et profondément impacté.
Il y a déjà quasiment un mois, un de mes collègues a été assassiné, une autre séquestrée, et l'impact de cette tragédie a encore été amplifié par un déferlement de haine anonyme sur internet.

Je ne m'en suis jamais caché, je n'en n'ai absolument pas honte de toute façon, je suis contrôleur principal des finances publiques à Arras. Sans connaître énormément la victime, je croisais régulièrement ce chef de la brigade de vérification qui travaillait à l'étage du dessus, un homme souriant, compétent, très apprécié. Qui a préféré être présent lors d'un contrôle fiscal un peu houleux mené par une de ses vérificatrices.
En raison de ce choix altruiste et responsable, je ne prendrai plus jamais l'ascenseur avec lui.
Ça a dû être la goutte d'eau pour le brocanteur de la commune de Bullencourt qui malgré un rappel précédent avait persisté à ne pas reverser à l'Etat la TVA payée par ses clients. Et qui avait prémédité semble-t-il les deux enlèvements. Probablement son suicide également. Ainsi que le meurtre de mon collègue à coups de couteau dans le dos.
J'ignore combien de temps il faudra à la seule survivante pour se remettre de cette tragédie qu'on n'imagine que dans les livres.

C'était déjà arrivé il y a dix ans, un inspecteur abattu près de chez lui par le contribuable qu'il vérifiait. Un de mes anciens collègues avait fait une vérification de caisse dans une boîte de nuit et le gérant l'avait emmené dans une salle éloignée où il s'était retrouvé rapidement enfermé face à face avec un molosse déchaîné en guise de trésorerie liquide. Cette fois l'histoire s'était bien terminée.

En même temps quand on voit la folie des hommes qui en viennent aux mains pour un peu d'essence, qui profitent de manifestations pour tout casser dans un contexte économique on ne peut plus délétère, ne fallait-il pas réagir avant ? Parce que les beaux discours des grands chefs qui assurent que tout sera mis en oeuvre pour que jamais ça ne se reproduise, la visite d'Olivier Véran dans nos locaux, la légion d'honneur attribuée à titre posthume parce que mon collègue s'est retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment face à la mauvaise personne, c'est beaucoup de poudre aux yeux de la part d'hommes politiques qui font mine de s'intéresser à nos conditions de travail alors qu'ils les ont rendues déplorables en quelques années.
Personnel réduit à son plus simple appareil, difficultés à nous joindre, horaires d'ouverture réduits de moitié, centres fermés nécessitant des déplacements pouvant aller jusqu'à cinquante kilomètres, le tout vendu avec beaucoup d'hypocrisie des deux côtés de la barrière même si personne n'est dupe.

Je sais que notre profession n'a pas bonne réputation, personne ne paie d'impôts de bon coeur et certainement pas moi. Et pourtant les échanges avec les usagers se passent majoritairement bien. J'ai toujours mis un point d'honneur à être souriant, aimable, avenant, rassurant. Ces sept dernières années je n'ai dû élever qu'une fois la voix.
Je ne me rends pas dans les entreprises, mon travail consiste à renseigner par écrit ou oralement les comptables ou les entrepreneurs qui ont des questions, à rembourser les excédents versés, à réparer les erreurs commises d'une part ou de l'autre. On essaie de faire vite et bien, mais à contrario je suis également là pour pénaliser les sociétés qui ne déposent pas leurs déclarations ou repérer celles qui fraudent.
L'équité fiscale n'est peut-être qu'une vaste illusion mais c'est notre rôle que de tenter de loger tout le monde à la même enseigne. L'être humain n'est jamais à court d'idées pour conserver voire détourner l'argent public, et tout comme il y a des abus inadmissibles autour des brèches de la sécurité sociale, il existe des schémas multiples de contournements fiscaux qui demandent de l'attention et de la réactivité. Durant la période la plus dure du coronavirus un fonds de solidarité avait été mis en place pour les entreprises relevant des secteurs économiques les plus touchés, et il y a eu un tel flot d'abus et de triche pour profiter de cette mesure que des contrôles bien plus poussés ont dû être effectués par la suite. Et c'est un exemple parmi tant d'autres.

Et au-delà du meurtre, du suicide d'un assassin dont je condamne l'acte sans connaître ni l'homme, ni le père de famille, ni le probable dépressif qui n'a pas voulu mourir seul, le plus difficile à vivre a été la virulence de certains internautes qui s'en sont donné à coeur joie suite aux différents articles sur la toile. Pas la majorité mais assez pour blesser toute notre profession de nouveaux coups de poignard, heureusement virtuels cette fois.
"Ca devait arriver à force de s'acharner sur les petites entreprises", "C'est bien mérité", "C'est plus facile que d'aller taper sur les sociétés qui gagnent des milliards". Et bien pire encore.
Renversement des rôles, la vilaine administration fiscale s'en est prise à un honnête brocanteur qui, dos au mur, s'est vengé de ce qu'on lui faisait subir, en martyre de l'injustice et du préjudice subi.

Alors je ne vais pas nier l'existence de niches fiscales profitant aux plus grosses fortunes, à ces salaires révoltants de quelques grands P.D.G. Mais tout le monde est contrôlé. Je le suis tous les cinq ans comme chacun de mes collègues. Les gros groupes font l'objet de demandes de justificatifs encore plus poussés que la moyenne au vu des enjeux financiers. Les multinationales sont gérées par un service à part à Pantin, la direction de vérification nationale et internationale. Et oui, certaines anomalies détectées demandent parfois une intervention sur place, que l'erreur apparente soit liée à un oubli ( volontaire ou non ) ou à la mauvaise interprétation d'un texte de loi complexe. La seule différence c'est que ces contrôles, en fonction de l'interlocuteur, se dérouleront chez lui ou au sein de son cabinet comptable.

Petits, moyens ou gros, tout le monde n'a certes pas le même arsenal d'avocats pour se défendre, mais on fait le maximum, chacun à notre niveau, pour assurer une équité devant les textes de loi. Et on avertit les usagers qui ont fait une erreur en leur défaveur, on est là pour les renseigner, pour expliquer, pour trouver des arrangements de paiement quand il y a lieu. Nous ne somme pas juste un bâton pour punir, loin de là. Et quand on doit assurer ce rôle qui fait malgré tout parfois partie de nos attributions, se faire assassiner n'est pas envisageable.

* * *

Il est presque facile de trouver des points communs entre Sans un bruit, le roman de Paul Cleave, et le drame bien réel auquel j'ai été confronté. Je pense que tout roman noir aurait de près ou de loin fait écho à cette tragédie.

Ici, il sera question de meurtres, de séquestrations, et de commentaires haineux sur la toile. Mais les circonstances seront totalement différentes, même s'il m'est difficile d'en faire totalement abstraction.

Pour les meurtres, il serait criminel d'en dire davantage. Très mauvais jeu de mots, je sais. Mais vous les découvrirez avec surprise en temps et en heure.

Le thème de l'apparente séquestration d'un enfant peut paraître vu et revu, mais jamais de cette façon. D'autant que le petit Zach Murdoch est le fils d'un couple d'auteurs de romans noirs.
L'équivalent néo-zélandais de Jérôme Camut et Nathalie Hug, ou des Anglais Nicci French ( nom de plume de Nicci Gerrard et de son conjoint Sean French ).
Lisa Murdoch et son mari Cameron, qui sera également le principal narrateur du roman, écrivent donc des thrillers à quatre mains.
"Les Murdoch situent tous leurs livres à Christchurch. Il y a de nombreux personnages qui s'entrecroisent, principalement secondaires."
Pas besoin d'être sorcier pour deviner qu'on retrouvera beaucoup de Paul Cleave chez Cameron Murdoch, ne serait-ce qu'avec ces personnages récurrents.

Comme lors de tout kidnapping qui se respecte, les premiers soupçons se porteront sur les parents. D'autant que ces derniers ont pour gagne-pain d'imaginer des intrigues de crimes parfaits. Ils deviendront même les coupables idéaux, jetés en pâture à la presse, condamnés avant l'heure par le duo d'inspecteurs qui mène l'enquête.

Il faut dire aussi que Cameron a tout fait pour que les soupçons s'acharnent sur lui, et c'est tout ce qui fait la force du roman : Son humour noir ou décalé omniprésent.
"Quelqu'un se penche par la vitre côté passager et me hurle : "Pédé !" Je ne sais pas si c'est parce que je suis gay ou si c'est ainsi qu'il s'identifie auprès des inconnus."
En effet le roman commence par un nombre de bourdes insensées et de quiproquos jubilatoires. Cameron perdra de vue un instant son fils dans un parc d'attraction, ce qui l'amènera à bousculer assez brutalement d'autres enfants sur un château gonflable peu adapté à sa corpulence. le soir son enfant, au caractère très difficile, menace de fuguer et l'écrivain l'y encourage avec une ironie que ne peut pas forcément percevoir un petit garçon de sept ans.
Sa femme ne le lui pardonnera pas.

Enlèvement, fugue ou meurtre ? Les paris sont ouverts.

En réalité tout accuse le père : Son comportement, ses maladresses, des vidéos le montrant à son désavantage, le petit Zach décrit comme un enfant turbulent par de nombreux témoins.
"Je ne sais pas comment ils font pour survivre avec lui."

La première moitié comporte certes quelques longueurs avec l'étau qui se resserre autour des parents de Zach, au fur et à mesure des nouveaux éléments qui apparaissent dans l'enquête. Mais l'attente se fait sans ennui grâce à ce style implacable et inimitable d'un auteur surdoué qui sait nous amuser avec les pires horreurs.

C'est quand leur culpabilité ne fera plus aucun doute qu'ils seront pris d'assaut par leurs voisins prêts à les lyncher, et que tous leurs romans feront l'objet de critiques aussi anonymes qu'assassines, rédigées avec toute la haine dont les gens sont capables pour se rendre intéressants. Même sur Babelio on ne rencontre que peu de billets de ce type.
"Une étoile ! Je donnerais moins à ce livre si je pouvais. Je n'ai pas besoin de le lire pour savoir qu'il est nul. Ces gens sont des assassins ! N'achetez pas leurs livres !"

La seconde moitié est quant à elle beaucoup plus rythmée et riche en rebondissements, nous emmenant dans toute une succession d'évènements que j'avais été incapable d'anticiper, tant au niveau de l'action que de l'évolution psychologique de Cameron Murdoch.

Au passage Paul Cleave égratigne le monde éditorial, avec une verve qui a été capable de me redonner encore une fois un peu le sourire.
Beaucoup moins drôle, la pédophilie dont il sera inévitablement question avec l'enlèvement d'un mineur. La police mènera quand même une partie de son enquête auprès des délinquants sexuels de Christchurch. Je connaissais l'existence des Sex Doll, ces poupées pour adultes siliconées aux allures sensuelles manquant de conversation, mais jamais un de mes cheveux n'avait imaginé que certaines pouvaient représenter des enfants.
"Est-ce que ça assouvit un désir ou est-ce que ça l'alimente ?"
Je ne sais pas si c'est une bonne question ou si elle est terrifiante. Mais elle est affreusement amorale.
Y a-t-il des Sex dolls Walking dead pour les nécrophiles ?

Comme vous l'aurez compris, j'ai mis longtemps à terminer ce roman en raison de facteurs extérieurs extrêmement perturbants, et qui continuent de m'attrister et de me mettre en colère. Mais Paul Cleave n'y est pour rien, et c'est égal à lui-même qu'il nous livre de nouveau un roman aux idées beaucoup plus originales qu'elles n'y paraissent, un suspense parfaitement maîtrisé et de régulières pointes d'humour qui viennent alléger avec beaucoup de second degré un récit qui aurait pu être étouffant dans le cas contraire.
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