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Critique de Fabinou7


Quelques mots sur Cocteau, ou le miroir aux alouettes.

« Je vous livre le secret des secrets. Les miroirs sont les portes par lesquelles la Mort va et vient. Ne le dites à personne. du reste, regardez-vous toute votre vie dans une glace et vous verrez la Mort travailler comme des abeilles dans une ruche de verre. »

Je vais essayer d'expliquer l'appréhension que j'avais avec Cocteau. Il y a toujours chez cet auteur quelque chose d'agaçant ; comme une insupportable légèreté de l'être et du talent. On a peur d'être pris au piège, que ce ne soit qu'un tour de passe-passe. Aux pièges du sophiste et de l'esthète, du « tout ça pour ça », du mondain, du poète excessif donc insignifiant. Aujourd'hui nous pourrions dire en un sens que Cocteau est, peut-être plus qu'un dandy, la première figure « pop » de l'histoire.

Et pourtant, on sent qu'il y a plus que ça. On sent qu'il y a quelque chose de magistral chez ce « touche à tout ». On est immédiatement dans l'onirisme avec Cocteau. C'est un enchanteur, éternel enfant terrible, qui écrit comme on lance un sortilège.

« La frivolité est dure comme de l'acier » écrivait Montherlant ; Cocteau lui détestait qu'on eût pu le penser frivole, fantasque et superficiel, tout au contraire, la poésie fut pour lui une affaire d'un sérieux abyssal.

Dans cette oeuvre de jeunesse rien n'est laissé au hasard, chaque détail de la scénographie, ambitieuse et technique (une tête qui parle, des personnages traversant un miroir…), est pensé et dicté par le dramaturge.
C'est aussi l'occasion d'une réflexion sur les liens entre l'inspiration créatrice et la difficulté d'être du poète, une fois que la machine infernale du succès est enclenchée, « Que pense le marbre dans lequel un sculpteur taille un chef-d'oeuvre ? Il pense : on me frappe, on m'abîme, on m'insulte, on me brise, je suis perdu. Ce marbre est idiot. La vie me taille, Heurtebise ! Elle fait un chef-d'oeuvre. Il faut que je supporte ses coups sans les comprendre. Il faut que je me raidisse. Il faut que j'accepte, que je me tienne tranquille, que je l'aide, que je collabore, que je lui laisse finir son travail. »

Le mythe antique d'Orphée est revisité dans cette pièce sous l'angle de la modernité. Modernité d'abord dans le couple que forme Orphée et Eurydice. Un couple au bord de la crise de nerf, entre passes d'armes, réconciliations et incompréhension mutuelle.
« Que savons-nous ? Qui parle ? Nous nous cognons dans le noir ; nous sommes dans le surnaturel jusqu'au cou. » Modernité ensuite dans l'abandon d'un certain académisme de forme, on ne s'attend pas à trouver d'éléments comiques a priori dans ce drame antique et pourtant. On devine également, chez le jeune dramaturge, l'influence du dadaïsme et du surréalisme (dont Cocteau fréquenta les chantres, de Man Ray à Tzara, en passant par Mina Loy) et les prémices de l'absurde, déjà présents chez l'ubuesque Alfred Jarry, dans le refus de faire sens, avec le cheval notamment.

« Ma vie commençait à se faisander, à être à point, à puer la réussite et la mort. Je mets le soleil et la lune dans le même sac. Il me reste la nuit. Et pas la nuit des autres ! Ma nuit. » Encore une fois, « qui parle ? ».
D'Orphée ou de Cocteau on ne sait plus très bien. D'ailleurs ce double, cet alter égo créé en 1925, le 24 septembre, à Villefranche-sur-Mer, le poursuivra toute sa vie, le legs de Cocteau c'est le Testament d'Orphée, des paupières peintes sur des yeux clos, à jamais dans sa nuit. « Turn around bright eyes… »

« Qu'il est laid le bonheur qu'on veut. Qu'il est beau le malheur qu'on a. » Impossible de dire ce qu'il y a au tréfonds de son art mais, finalement, comme dirait le Bartleby de Melville « I would prefer not to ».

Cet équilibriste des lettres reste incandescent, en apesanteur. Cette oeuvre épouse sa morphologie : légèreté d'une plume, évanescence d'une fumée d'opium, mais écrite avec le sang du poète.

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