Artemis Fowl, tome 5 : Colonie perdue

Et quand le môme aura mangé le chocolat ? interrogea Much. Qu'est-ce que je fabrique avec un mouflet, moi ?

-Tu ne lui fais surtout pas de mal, répondit Holly. Il suffit de l'amuser pendant une minute.

-L'amuser ? Et comment je vais m'y prendre ?

-Servez-vous de vos talents de nain, suggéra Artemis. Les enfants sont curieux de nature. Mangez quelques cailloux. Lâchez un vent. Le petit Beau sera fasciné.

-Est-ce que je ne pourrais pas simplement lui tirer dessus ?

-Mulch ! s'écria Holly, horrifiée.

-Je ne voulais pas dire le tuer. Simplement l'assommer pendant quelques minutes. Les enfants aiment bien faire la sieste. Ce serait lui rendre service.

-L'assommer serait l'idéal, admit Holly. Mais je n'ai rien qui soit sans danger, tu devras donc l'occuper pendant cinq minutes maximum.

-Je suis un personnage fascinant, je n'en doute pas, répliqua Mulch. Et si ça ne se passe pas bien, je pourrai toujours le manger.

N°1 scruta le chemin qui descendait à flanc de montagne.
-Vous pourrez le lui demander vous-même. Le voilà, là-bas, celui qui se fraye un chemin à coups de coude pour prendre la tête du groupe.
Holly plissa les yeux pour apercevoir le chef de la horde.
-Avec des cornes recourbées et une grande épée? demanda-t-elle.
-Est-ce qu'il sourit?
-Non.
-Alors, c'est bien Abbot.

Butler, perché sur le monticule de terre, lui lança un regard.
-Comment ça s'est passé? demanda-t-il. C'est votre première longue conversation avec une fille de votre âge.
-Fabuleux, répondit Artemis d'un ton sarcastique. On a l'intention de se marier en juin.

- Stupéfiant, dit N°1. Une cape d'invisibilité.
Foaly poussa un gémissement dans l'oreille de Holly.
- Une cape d'invisibilité ? Qu'est ce qu'il croit ? Qu'un sorcier l'a sortie de sous son bras ? Il s'agit au contraire d'un équipement d'une technologie ultrasensible.

-J'ai combien de temps ? Demanda Holly tandis qu'elle disparaissait de leur vue.
Artémis consulta le chornometre de sa montre.
-Si vous vous dépêchez, aucun.

La stupéfaction de Bulter était à son comble.
-Encore un nouveau tour, dit-il, laconique.
-J’ai rapporté un peu plus qu’un œil du tunnel temporel.
-Je vois. Mais ne faites pas cela devant les jumeaux.
-Ne vous inquiétez pas. Je n’essaierais pas.
Son cerveau enregistra alors les paroles de Bulter.
-Quels jumeaux ?
Avec un sourire, le garde du corps composa le numéro de téléphone du manoir des Fowl.
-Le temps s’est peut être arrêté pour vous, grand frère, mais pas pour les autres.
Artemis s'avança d'un pas vacillant vers l'unique chaise de la pièce et s'y laissa tomber.
« Grand frère ? » pensa-t-il, puis…
« Des jumeaux ! »

Artemis et Butler eurent la chance de trouver un vol pour Nice sur un avion d'Air France. A dix heures, ils avaient pris une suite au Negresco et dégustaient un café avec des croissants sur la promenade des Anglais.

Holly n'avait pas cette chance. Elle était toujours perchée dans un filet à bagages, à bord d'un train. Mais pas le même filet. Elle en était à son troisième en tout. D'abord, ils avaient changé à Rome, puis à Monte-Carlo et enfin, ils roulaient en direction de Nice.

Artemis parlait à son petit doigt qui transmettait les vibrations au téléphone des fées, niché au creux de sa main.

- Des indices sur la destination finale ?

- Pas encore, répondit Holly, fatiguée et agacée. Cette fille mène les adultes à la baguette. Ils ont peur de dire quoi que ce soit. J'en ai assez d'être allongée dans ce wagon. J'ai l'impression d'avoir passé des années dans un filet à bagages. Qu'est-ce que vous faites, tous les deux ?

Artemis posa doucement sa tasse de cappucino décaféiné pour ne pas l'entrechoquer avec la soucoupe.

- Nous sommes à la bibliothèque de Nice où nous essayons de dénicher des renseignements sur cette Minerva. Nous allons peut-être savoir si elle possède une villa près d'ici.

- Contente de l'entendre, répondit Holly. J'ai eu une vision de vous buvant du thé sur la plage pendant que je suais sang et eau dans ce maudit train.

A cinq ou six mètres de l'endroit où se trouvait Artemis, des vagues roulaient le long de la plage comme de la peinture vert émeraude qu'on aurait versé d'un immense seau.

- Du thé ? A la plage ? Nous n'avons pas le temps de nous offrir ce luxe, Holly. Il y a un travail à accomplir.

Il adressa un clin d'oeil à Butler.

- Vous êtes sûrs d'être à la bibliothèque ? J'ai cru entendre un bruit d'eau.

Artemis sourit, prenant plaisir à ce dialogue.

- De l'eau ? Certainement pas. La seule chose qui coule à flots, ici, ce sont les informations.

- Vous ne seriez pas en train de sourire, Artemis ? Je ne sais pas pourquoi mais j'ai l'impression que vous arborez ce sourire suffisant qui vous est familier.

Excusez-moi... dit Artemis en espagnol.

Gaudi leva les yeux du dessin et son froncement de sourcils laissa place à une expression de totale incrédulité. Un jeune homme venait d'apparaître en sortant de nulle part avec, à côté de lui, un démon apeuré.

Le brillant architecte absorba chaque détail de la scène, la gravant à jamais dans sa mémoire.

-Si? répondit-il, hésitant.

Artemis montra du doigt le sommet de l'édifice.

-Vous avez prévu des mosaïques sur le toit. Vous devriez peut-être y repenser. Elles manquent d'originalité.

Puis le garçon et le démon disparurent.

DOUDADAIS

HAVEN-VILLE, MONDE SOUTERRAIN

La carrière d'elfe détective de Holly Short ne se déroulait pas aussi bien qu'elle l'avait espéré. Cela était surtout dû au fait que l'émission d'actualités la plus regardée du monde souterrain lui avait consacré non pas un mais deux dossiers spéciaux au cours des derniers mois. Il était difficile de passer inaperçue alors que son visage apparaissait sans cesse dans les rediffusions des chaînes câblées.

- Chirurgie esthétique ? suggéra une voix dans sa tête. Cette voix n'était pas un premier signe de folie. C'était celle de son associé, Mulch Diggums, qui lui parlait dans son écouteur.

- Quoi ? dit-elle, sa propre voix retransmise par une puce minuscule, couleur chair, collée à sa gorge.

- J'ai sous les yeux une affiche de votre célèbre visage et je pense que vous devriez subir une opération de chi­rurgie esthétique si vous voulez continuer à travailler. Et je parle d'un vrai travail, pas de ces petites affaires de chasse à la prime. Rien n'est plus méprisable qu'un chas­seur de primes.

Holly soupira. Son nain d'associé avait raison. Même les délinquants étaient considérés comme plus dignes de confiance que les chasseurs de primes.

- Quelques implants, un nouveau nez, et vos meilleurs amis eux-mêmes ne vous reconnaîtront pas, poursuivit Mulch Diggums. De toute façon, vous n'êtes pas vrai­ment un prix de beauté.

- Laisse tomber, répliqua Holly.

Elle aimait beaucoup son visage tel qu'il était. Il lui rappelait sa mère.

- Vous pourriez vous teindre la peau. En vert, par exemple, pour avoir l'air d'un lutin volant.

- Mulch ? Tu es en position ? lança sèchement Holly.

- Ouais, répondit le nain. Vous avez repéré l'individu ?

- Non, il n'est pas encore levé, mais ça ne va pas tarder. Alors, cesse de bavarder et tiens-toi prêt.

Vous pourrez toujours accumuler les prix, démontrer tous les théorèmes que vous voudrez, cela ne suffira pas à vous faire aimer des autres.