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Critique de gabb


L'année dernière, entre les murs d'un couvent discret, j'ai fait trois rencontres. Celle d'une jeune romancière d'abord, puis celles des deux religieuses à la lumineuse connivence dont elle dressait alors des portraits superbes. C'était un premier roman, ça s'appelait "Mourir au monde" et j'étais conquis.

Un an et demi plus tard, c'est avec joie et curiosité (mais aussi un peu d'appréhension !) que je retrouve l'écriture délicate et poétique de Claire Conryut, pour cette seconde parution au titre sibyllin et à la quatrième de couverture tout aussi énigmatique. Il y est question d'une île, de ruines et de criques hantées, d'une danseuse flamboyante et d'une mer belliqueuse... Tout ça est plutôt vague, vous en conviendrez.

Alors enfin j'ai ouvert le livre, et Bérénice était là. Baroque, fantasque, lunatique.
D'elle on ne sait presque rien sinon son goût pour la peinture et l'art sous toutes ses formes, son humeur changeante et l'attraction qu'exerce sur elle l'île de Sjena où elle s'en va trouver refuge quand sa mélancolie chronique la submerge.
De ses deux enfants on ne sait guère plus, si ce n'est qu'ils se prénomment Pierre (l'ainé) et Orphée (le cadet). On ignore tout le reste, de leur âge à l'identité de leur géniteur (dont pas une fois il n'est fait mention).
Quant à Sjena, petite île perdue quelque part en mer Adriatique, inutile de chercher à la localiser sur une carte : elle n'existe pas plus que celles de l'Atlantide ou des Hespérides.

C'est ainsi dans un cadre géographique (et temporel) particulièrement flou que Claire Conryut situe ses trois personnages, tissant autour d'eux une sorte de drame antique plein d'excentricité, d'étrangeté et de mystère...
Qui donc est cette femme instable, dont la folie se précise au fil des pages, et qui déborde d'un amour quasi-toxique pour son fils cadet ? Quels sont les pouvoirs qu'elle prête au jeune Orphée, le chérubin-musicien-poète qu'elle vénère comme un demi-dieu ? Comment Pierre, le narrateur de ce curieux conte onirique va-t-il s'accommoder du rôle d'intermédiaire qui lui est dévolu, entre une mère à la personnalité si insaisissable et un petit frère aux talents prodigieux ? Que signifient ces rêves cryptiques, partagés en duo à la nuit tombée dans les ruines d'une église éventrée "sonnant des heures aléatoires" ?
Il est vite apparu que la plupart de ces questions resteraient sans réponses : dès les premiers chapitres j'ai su que cette lecture serait particulière, immédiatement j'ai compris que je ne comprendrai rien (ou presque).

Et pourtant quel délice de se laisser porter par la prose poétique et soignée de Claire Conryut, teintée de mysticisme et de mythologie !
Quel étonnant voyage que celui qui nous est proposé sur cette île hors du temps et peuplée de fantômes, cette île "qui ne se donne pas à n'importe qui" mais qui "éprouve les âmes avant de se révéler" !
Et pour finir, bien sûr, quelle étrange famille ! Les liens qui unissent les deux frères sont troublants, et la relation établie entre Orphée et Bérénice - l'un sublimant la folie de l'autre - est d'une nature et d'une intensité telles que le lecteur en vient à éprouver à son égard un malaise évident.
D'ailleurs la jolie couverture (Maxfield Parrish / "Soirée étoilée" / 1900, pour ceux que ça intéresse), donnait déjà à elle seule une idée assez juste de l'atmosphère envoutante et des curieuses impressions qu'allait produire cette histoire tragique, celle d'une "femme perdue dans le bleu", d'une "reine des eaux dormantes"...

Entre rêve et réalité, Claire Conryut signe donc avec "Pour qui s'avance dans la nuit" un deuxième roman réussi, ouvert à bien des interprétations...
En plus de toutes les autres, elle ne manque pas de soulever une dernière question : "peut-on suivre quelqu'un jusque dans sa folie ?"
Et d'y répondre dans la foulée : "Sans doute, oui, si on l'aime vraiment".
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