J’étais devenu l’estropié, l’invalide qu’on regardait avec pitié. Je leur aurais craché dessus à tous ces hypocrites et ces bigots. La pitié, la compassion, ça dégoulinait, ils me dégoûtaient. Je me gênais rarement pour le leur dire. Résultat, j’avais fait le vide autour de moi, aussi efficacement qu’une mine antipersonnel.
J’avais l’art de me faire rincer et je me maudissais. J’allais devoir me changer intégralement, refaire mon maquillage, le tout en moins de – je regardai ma montre – vingt minutes, avant de ressortir presque aussi sec pour aller servir des cafés et des burgers à des touristes et des clients insupportables.
Je ne supportais même pas de me regarder dans un miroir, alors laisser quelqu’un d’autre me toucher, même pour des soins, c’était… c’était et cela avait toujours été une épreuve, depuis le début. Et le pire dans tout cela, c’est que j’étais persuadé que je le méritais.
Ma vie était une succession d’instants parfaits. Les soirées, les samedis et dimanches après-midi sur le circuit de F1 où je conduisais certaines des voitures de l’écurie que Papa venait de me laisser acheter, et les innombrables filles qui peuplaient mes nuits.
Je perdais rapidement patience, et ça faisait dix ans que ça durait. On n’avait jamais vraiment su se parler, et j’étais devenu pour elle cette espèce de figure bâtarde entre le grand frère et le père. Mais je n’étais ni tout à fait l’un, ni tout à fait l’autre.