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EAN : 9782221111574
336 pages
Robert Laffont (15/03/2012)
4.2/5   43 notes
Résumé :
C’est fou le nombre de clichés que nous continuons de véhiculer à propos de l’histoire de France. Ainsi : nos ancêtres sont les Gaulois, d’ailleurs de pittoresques barbares, heureusement que les Romains sont passés par là… Le Moyen Âge n’est qu’une sorte de longue nuit où il ne se serait pas passé grand-chose… Clovis fut un acteur majeur de l’identité de la France… Les Barbares nous ont envahis… Et tout à l’avenant.
Or, comme le dévoile ce livre avec maestri... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (14) Voir plus Ajouter une critique
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Incroyable livre !
Je suis tombée dessus à la sortie de ma visite du cairn de Gavrinis. J'ai toujours été fascinée par la préhistoire, et autant dire que non seulement elle est mal enseignée à l'école, mais en plus je découvre qu'on nous raconte des conneries...
L'auteur se concentre sur cette préhistoire, les gaulois puis jusqu'au Moyen Âge.
Grâce aux fouilles de l'INRAP, les scientifiques on fait avancer la connaissance de ces périodes. Et c'est passionnant !

En seconde partie, il "démonte" en quelque sorte, les divers charlatans qui ont travesti notre histoire, hommes politiques compris, et c'est parfois drôle, mais je me suis indignée pas mal de fois !
Il termine sur ce que notre héritage nous apporte et sur une question : Qu'est-ce qu'être français ?

Bien que cet ouvrage ait été écrit en 2013, c'est un incontournable à mon sens, ne serait-ce que pour mettre à jour nos connaissances historiques, l'école n'ayant pas franchement rempli son rôle pour les 300 000 ans nous ayant précédés, et ce que nous avons appris sur Clovis, la conquête romaine et Charlemagne étant plutôt faux.

Rien que pour le tableau chronologique de la fin il vaut le coup d'être lu ;-)
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Jean-Paul Demoule, archéologue et professeur s'appuie sur les recherches et les fouilles les plus récentes pour revoir en profondeur certains pans entiers de notre histoire. L'Histoire telle qu'on nous l'a enseignée à l'école et telle qu'on continue à l'enseigner est pour lui à revisiter en grande partie. Il commence son livre par les hommes préhistoriques pas si sauvages que cela, nés en Afrique et qui ont ensuite émigré vers d'autres contrées
Comme c'est bon de pouvoir le rappeler preuves à l'appui en ces jours où comme je le disais dans un billet précédent -au risque de paraître redondant voire lourd- certains prônent la haine et le mépris des différences, sous couvert de partis soit-disants démocratiques et républicains (à l'heure où j'écris ce billet, la course aux électeurs du parti arrivé troisième de l'élection est tout simplement écoeurante, je ne sais pas jusqu'où vont aller les deux finalistes et un en particulier qui surenchérit sans cesse sur ses propres paroles histoire de s'assurer quelques votes de plus. Lamentable et honteux !)

Je vous passe ensuite quelques pages pour sauter directement sur les Gaulois, qui sont une grande partie du livre. Alors, barbares nos ancêtres ? Pas si sûr et même pas du tout répond JP Demoule. Ils étaient plusieurs clans, pas un vrai peuple uni, ce qui a facilité la victoire de Jules César dans sa conquête des Gaulles. Les notables se sont soumis au vainqueur et par force, les paysans, les petites gens ont suivi. Il y a bien eu ça et là des combats, notre Vercingétorix a bien existé, mais il n'a jamais jeté ses armes aux pieds De César. de même, les Gaulois n'ont pas été civilisés par les Romains, ils l'étaient avant. Ce sont les deux cultures qui se sont mélangées, chacune profitant de l'autre.
Voilà pour quelques points importants qui sont développés et argumentés magistralement dans cet essai. A la portée de tout lecteur curieux et intéressé par l'histoire, il recadre pas mal de nos idées reçues et permet de se faire une idée plus précise de la manière dont vivaient nos aïeux. Quelques répétitions et longueurs sur la difficulté du travail de l'archéologue ; pas vraiment son travail d'ailleurs, mais plutôt la prise en compte par les politiques du bien-fondé, de la nécessité et de l'apport des fouilles qui retardent certains chantiers, un parking, un centre commercial ou encore un centre aquatique.

Un essai vraiment passionnant qui permet d'enfoncer le clou de la diversité, puisque l'auteur nous dit que les Français sont sans doute l'un des peuples aux origines les plus diverses, les plus variées : beaucoup de brassages ethniques ont eu lieu en France dernier territoire de l'Europe de l'Ouest avant l'Océan. Les personnes qui arrivaient jusque sur ces terres y restaient parce qu'elles ne pouvaient aller plus loin. Ce métissage obligé fut sans doute ce qui fit la force, la puissance et la renommée de la France dans les siècles qui suivirent dans nombre de domaines. On ne s'enrichit que dans la connaissance de l'autre et de la différence.
Lien : http://lyvres.over-blog.com
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Une bonne première moitié du livre est consacrée à présenter les récentes découvertes sur notre passé dues aux progrès de l'archéologie. Ces découvertes doivent en bonne partie à la généralisation des fouilles dites "préventives", soit l'autorisation pour les archéologues d'aller sur les chantiers pour sauver ce qui peut l'être avant que le béton de nos parkings ou autoroutes modernes ne détruisent à jamais ces reliques des siècles passés. de fait, c'est seulement depuis quelques années que l'on peut connaitre notre passé par la réalité des sols et non seulement par les textes laissés, souvent partisans.

En quelques mots, ces découvertes :
- l'agriculture a été amené en Europe par deux vagues de migration (une suivant le Danube, l'autre la Méditerranée) issue du Proche Orient, submergeant les chasseurs-cueilleurs locaux. Cette époque est celle de l'invention des chefs et des inégalités.
- les Gaulois ne sont pas des barbares vivant dans la forêt mais une constellation de peuples organisés en proto-Etats, guerriers et technologiquement avancés.
- la chute de l'Empire Romain n'a pas eu lieu. Les peuples germaniques qui se sont installés en Gaule et en Espagne suite à sa crise étaient souvent romanisé, et il n'y guère eu de destruction massive. Seulement on est revenu à un système politique beaucoup moins centralisé, moins urbain aussi, et ce n'est pas forcément une régression.

Ensuite Demoules s'attarde rapidement sur une archéologie des temps modernes, passage que j'ai trouvé peu intéressant. Je me suis aussi demandé pourquoi il ne parlait pas De La Renaissance.

Dans la deuxième moitié du livre, il se demande pourquoi les élites politiques sont souvent acharnés à mettre des bâtons dans les roues des archéologues. Comme s'il y avait une sorte de haine de notre passé. Parce qu'il y a un paradoxe avec l'archéologie en France : alors que les musées consacrés à l'archéologie romaine, ou grecque, ou égyptienne touchent beaucoup de subventions, de louanges, etc, il n'y a presque rien sur l'archéologie de notre propre sol. Étrange et regrettable.

Un livre que j'ai trouvé très agréable à lire, très enrichissant. Ça m'a un peu fait penser à "Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises" dans la volonté de montrer que ça n'a pas de sens de parler d'histoire nationale française avant la révolution puisque le cadre "la France" n'existait ni dans les faits ni dans les têtes. La différence entre les 2 livres, c'est que Demoules s'attarde beaucoup plus sur les époques préhistoriques et antiques. Mais c'est normal, c'est son domaine de recherche !
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Préhistorien, Jean-Paul Demoule a joué un rôle important à l'Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP). Il a écrit ce livre qui comporte deux parties distinctes.
Dans la première partie, il déconstruit un certain nombre de mythes ancrés dans notre esprit, largement générés par des distorsions récurrentes dans l'enseignement de l'histoire. Par exemple, il cite les préjugés négatifs concernant les hommes de la Préhistoire, notamment ceux qui vivaient au Paléolithique. Il dénonce l'occultation de vérités gênantes pour les Français: la défaite de « nos ancêtres les Gaulois » devant César; puis l'invasion d'un peuple indiscutablement germanique (les Francs); et l'assimilation finale de ces Francs... Il y a aussi bien d'autres notations intéressantes. Cette révision de notre passé est stimulante et salutaire.
Dans la seconde partie, l'auteur souligne d'une manière générale le rôle indispensable de l'archéologie, qui reste trop ignoré, voire décrié. C'est particulièrement vrai au sujet des fouilles préventives (avant des travaux publics) qui, malgré une loi qui les impose maintenant, continuent à irriter des élus locaux toujours pressés de construire un parking ou une rocade. Je trouve que J.-P. Demoule a écrit un brillant plaidoyer en faveur de la sauvegarde des traces enfouies de notre histoire, qui sont nécessaires à notre connaissances et à notre mémoire collective. C'est pourquoi cet ouvrage m'a semblé plaisant et indispensable.
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Jean-Paul Demoule écrit un livre composite sur une constante simple et forte: la terre contient des traces dont le caractère véridique ne peut être nié.
Il refait des récits partagés et dont les vestiges enterrés nous disent qu'ils sont faux. Notre vision des Gaulois, telle que portée par Astérix et Obélix, ne correspond pas à la vérité. Les Gaulois, loin d'être des tribus bon vivants, toujours en bisbille les uns avec les autres, avaient une civilisation performante...
Jean-Paul Demoule montre incidemment le rôle pédagogique de ces personnages et montre le récit commun sous-jacent que ces BD, films... entretiennent et sur lequel ils s'appuient.
Contre ces fables, l'archéologie représente un antidote impeccable, scientifique, en fait.
L'auteur a écrit sur AOC un texte sur l'idée que les premières sociétés auraient été matriarcales et montre que rien dans les restes d'hommes, d'animaux, d'activité humaine trouvés dans la terre ne permettait d'affirmer cette idée, tandis que l'idée du patriarcat est. suggérée dans toutes les fouilles.
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critiques presse (3)
NonFiction
24 janvier 2013
Une vision originale et rénovée de l’histoire de France, tout particulièrement disert et convaincant sur les apports de l’archéologie à la connaissance de notre passé.
Lire la critique sur le site : NonFiction
Lexpress
08 juin 2012
Une histoire de France dépoussiérée grâce aux fouilles archéologiques. Edifiant.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Culturebox
05 avril 2012
Jean-Paul Demoule, avec son passionnant On a retrouvé l’histoire de France, aide son lecteur à s’y retrouver au milieu des mythes et des approximations de notre histoire nationale souvent écrite (ou réécrite) au XIXe siècle.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
1549, Bordeaux, sous le règne d’Henri II…

 « Je voudrais seulement comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois un tyran seul qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent, qui n’a pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui que de le contredire. Chose vraiment étonnante – et pourtant si commune qu’il faut plutôt en gémir que s’en ébahir, de voir un million d’hommes misérablement asservis, la tête sous le joug, non qu’ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et pour ainsi dire ensorcelés par le seul nom d’un, qu’ils ne devraient pas redouter – puisqu’il est seul – ni aimer – puisqu’il est envers eux tous inhumain et cruel. Telle est pourtant la faiblesse des hommes : contraints à l’obéissance, obligés de temporiser, ils ne peuvent pas être toujours les plus forts. […] Or ce tyran seul, il n’est pas besoin de le combattre, ni de l’abattre. Il est défait de lui-même, pourvu que le pays ne consente point à sa servitude. Il ne s’agit pas de lui ôter quelque chose, mais de ne rien lui donner. Pas besoin que le pays se mette en peine de faire rien pour soi, pourvu qu’il ne fasse rien contre soi. Ce sont donc les peuples eux-mêmes qui se laissent, ou plutôt qui se font malmener, puisqu’ils en seraient quittes en cessant de servir. C’est le peuple qui s’asservit et qui se coupe la gorge ; qui, pouvant choisir d’être soumis ou d’être libre, repousse la liberté et prend le joug ; qui consent à son mal, ou plutôt qui le recherche… […] Et de tant d’indignités que les bêtes elles-mêmes ne supporteraient pas si elles les sentaient, vous pourriez vous délivrer si vous essayiez, même pas de vous délivrer, seulement de le vouloir. Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. […] Les hommes nés sous le joug, puis nourris et élevés dans la servitude, sans regarder plus avant, se contentent de vivre comme ils sont nés et ne pensent point avoir d’autres biens ni d’autres droits que ceux qu’ils ont trouvés ; ils prennent pour leur état de nature l’état de leur naissance. […] Ils disent qu’ils ont toujours été sujets, que leurs pères ont vécu ainsi. Ils pensent qu’ils sont tenus d’endurer le mal, s’en persuadent par des exemples et consolident eux-mêmes, par la durée, la possession de ceux qui les tyrannisent.[…] Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ».

 Ces phrases implacables sont extraites du Discours de la servitude volontaire, rédigé par un étudiant de dix-huit ans, Étienne de La Boétie, ami de Montaigne, qui devint conseiller au parlement de Bordeaux et mourut prématurément en 1563 à l’âge de trente-deux ans. On comprend qu’un tel texte n’ait pu être publié de son vivant. Un peu moins de cinq siècles plus tard, il résonne de la même manière, posant les mêmes questions, si évidentes que nous n’y pensons même plus : pourquoi acceptons-nous l’inégalité et le pouvoir de quelques-uns, alors que nous formons l’immense majorité ? Pourquoi l’inégalité nous semble-t-elle tellement naturelle que nous acceptons naturellement notre « servitude volontaire » ?
Ce débat court pourtant depuis lors, relayé aux XVIIe et XVIIIe siècles par des penseurs comme Thomas Hobbes, Samuel von Pufendorf et Jean-Jacques Rousseau, puis par les théoriciens de la Révolution, enfin par des philosophes, des sociologues, des ethnologues et des biologistes de notre temps. Deux positions antagonistes s’affrontent : ou bien l’égalité est naturelle entre les hommes, le pouvoir est régulièrement confisqué par quelques-uns et il convient de le leur reprendre, et finalement les humains sont plutôt bons par nature ; ou bien l’inégalité appartient à la nature humaine parce que certains sont plus aptes que d’autres, voire plus dominateurs que d’autres, et finalement les humains sont plutôt mauvais par nature.
(...)
Un ethnologue français, Pierre Clastres, a émis, pour les sociétés humaines en général, l’hypothèse que la tendance normale dans un groupe est la résistance collective aux excès de pouvoir. Dans une société encore peu complexe, les notables doivent s’attacher leurs obligés en redistribuant en permanence les richesses qu’ils réussissent à grand-peine à accumuler. Dans une société guerrière où le prestige est lié aux prouesses au combat, les grands guerriers doivent remettre sans cesse leur titre en jeu, jusqu’au jour où ils finissent par être éliminés. L’émergence de sociétés inégalitaires ne serait donc pas la norme, mais l’exception et le résultat d’un dysfonctionnement de ces mécanismes de contrôle. Finalement, l’inégalité ne serait pas naturelle…
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à côté du mythe de la « pureté » ethnique et nationale, il faut aussi pulvériser le mythe de l’« origine ». Il n’y a pas d’origine de la France, pas de jour où la France aurait commencé. Certains invoquent le fameux baptême de Clovis, que je me suis efforcé, après d’autres, de démystifier. Chateaubriand, bien que royaliste légitimiste, n’était pas plus dupe. Il se moque dans ses Études historiques qu’on ait pu célébrer jusqu’à la Révolution une messe à la mémoire de Clovis (qu’il nomme Khlovigh), ce qui était pour lui un non-sens historique : « La vérité religieuse a une vie que la vérité philosophique et la vérité politique n’ont pas : combien de fois les générations s’étaient-elles renouvelées, combien de fois la société avait-elle changé de mœurs, d’opinions et de lois, dans l’espace de mille deux cent quatre-vingts ans ! » Oui, il y a deux cents ans, le vicomte François-René de Chateaubriand, ministre d’État et pair de France, chef de file du romantisme, savait déjà que la nation n’a pas de caractère immuable, qu’elle évolue et se recompose sans cesse, avec des individus nouveaux et venus de toutes parts.

Mais alors, pourquoi s’intéresser à l’archéologie et pourquoi faire de l’archéologie ? Parce que l’archéologie, précisément, est un sport de combat ! Elle permet de comprendre l’histoire, de nous situer dans l’histoire, et d’en tirer des leçons pour l’avenir. Il est crucial de comprendre pourquoi certaines civilisations ont disparu, de la Crète aux Mayas et de l’Égypte à l’Empire romain, et comment elles sont parfois allées à leur perte alors que d’autres trajectoires étaient possibles. Il est essentiel de ne pas penser notre présent comme immuable et allant de soi, mais de reconnaître qu’il est l’effet provisoire de nombreuses strates historiques. Contrairement aux bétonneurs qui légitiment la destruction des sites archéologiques pour bâtir « au nom des vivants », l’archéologie permet aux vivants, grâce aux morts, de préparer l’avenir des futurs vivants.

Mais peut-on vivre sans mythes ? C’est souvent parce qu’ils se sont battus au nom de mythes, au nom d’entités mythiques, que les humains ont provoqué et provoquent encore les plus grands drames de l’histoire. Il est un peu plus difficile, mais beaucoup plus sain, de comprendre plutôt que de croire. Certes, nous avons statistiquement toutes les chances que l’un au moins de nos ancêtres biologiques soit Vercingétorix, Clovis ou Charlemagne : puisque le nombre de nos ascendants double à chaque génération, nous devrions depuis deux mille ans en avoir en théorie huit milliards de milliards ; comme toute l’humanité ne comptait alors que quelques dizaines de millions d’individus, ces trois-là, ou n’importe quel autre, comptent certainement parmi nos aïeux– de même que nous descendons tous, par une chaîne ininterrompue de copulations (et de mutations génétiques insensibles), du petit mammifère Purgatorius, ancêtre de tous les primates, qui vivait il y a soixante millions d’années dans les montagnes Rocheuses. Mais ce n’est pas notre ascendance biologique qui nous constitue en communauté de citoyens. C’est, pour reprendre Ernest Renan, ce « plébiscite de tous les jours » qui fait que nous acceptons d’être ensemble – et aussi bien que nous pouvons le refuser.

Les archéologues ne sont donc pas seulement là pour fouiller le sol. Ils ont la belle et forte responsabilité d’expliquer à tous les résultats de leurs recherches et de chercher un sens et des clefs aux trajectoires des sociétés passées, à la façon dont elles ont su vivre et s’organiser. Ils ont aussi la charge de dénoncer les manipulations de l’histoire.
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Marseille (Massalia en grec) fondée vers – 600 : on peut dire, même si c’est une colonisation, qu’il s’agit de la première ville de France. Les Grecs qui la fondèrent s’installèrent autour d’une calanque favorable à l’établissement d’un port, l’actuel Vieux Port. Les premières grandes fouilles archéologiques de Marseille, à la fin des années 1960, ont été aussi le résultat de l’un des premiers scandales archéologiques en France dans l’après-guerre. Autour de ce qui est devenu le quartier de la Bourse se trouvaient en effet toute la ville romaine et le port antique, avec des navires échoués. Il a fallu que l’État gèle les terrains et indemnise les promoteurs pour pouvoir faire la fouille de sauvetage, dans des conditions très difficiles. C’est à partir de là qu’a peu à peu cheminé l’idée d’une loi sur l’archéologie préventive permettant de conduire les fouilles avant la destruction des sites, mais il faudra encore… trente années de plus pour qu’elle aboutisse ! La première ville grecque est restée longtemps inconnue : on la supposait sous la ville romaine et on en recherchait les traces de pierre et de marbre, jusqu’à ce que les fouilles préventives autour du Vieux Port au cours des années 2000 ne révèlent que, comme on aurait dû s’y attendre, les premières demeures étaient en briques crues – ce qui exigeait, pour les découvrir, des compétences scientifiques poussées.
Massalia à son tour fonda ses propres colonies : Thélinê (Arles), Nikaia (Nice), Agathê (Agde), Antipolis (Antibes), Olbia (Hyères)… Les Grecs n’étaient d’ailleurs pas les seuls à implanter villes ou comptoirs marchands pour commercer avec les indigènes, échangeant des produits de luxe clinquants et du vin contre les matières premières qu’ils convoitaient : étain lointain, bois, salaisons, et même esclaves. Les Phéniciens, puis les Carthaginois, les Étrusques et enfin les Romains faisaient de même et se disputaient ces marchés. Les chefs indigènes locaux tiraient leur prestige du contrôle de ces échanges et peu à peu, comme pour le commerce européen sur les côtes occidentales de l’Afrique aux XVIIe et XVIIIe siècles, ou celui des produits manufacturés nord-américains diffusés dans le reste du monde à partir de la seconde moitié du XXe siècle, les cultures locales allaient être de plus en plus marquées par ces échanges. Cette influence put concerner des techniques comme le tour de potier ou la culture de la vigne, des manières de table comme l’usage croissant du vin (un peu comme l’« eau de feu » européenne qui ravagea les populations amérindiennes), ou plus généralement des manières de vivre. Elle toucha à l’économie, non seulement par les échanges mais par la pratique de la monnaie, une invention grecque qui se généralisa en Gaule à partir du IIIe siècle. Entrés entre-temps au contact des Romains, les peuples du sud-est de notre territoire s’aligneront alors sur la monnaie romaine, créant une « zone euro » avant la lettre et préparant la future « romanisation ».

Les relations entre le monde des cités méditerranéennes et les indigènes n’étaient pas toujours pacifiques. Les fouilles préventives de l’île de Martigues, qui contrôlait l’accès à l’étang de Berre, ont révélé les traces d’une expédition punitive sans doute menée par les Grecs de Marseille, qui avait abouti à l’incendie généralisé de l’agglomération indigène. Hannibal, qui longea en – 218 les côtes du sud de la France pour aller d’Espagne vers l’Italie avec trente-huit mille fantassins, huit mille cavaliers et trente-sept éléphants, semble ne pas avoir reçu un accueil défavorable de la part des populations locales. Aussi, lorsqu’un siècle plus tard la République romaine se sentit assez forte, elle annexa en – 124 le Languedoc, la Provence (qui tire son nom du mot latin provincia) et les régions alpines, fonda à Narbonne la première ville proprement romaine et soumit les régions conquises, appelées « Gaule transalpine » (« de l’autre côté des Alpes », du point de vue romain), à une romanisation rapide et forcée.
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le contresens le plus grave porte sur la signification historique de l’événement. En 496 (ou 498), la Gaule était officiellement chrétienne depuis un siècle déjà. Comme nous l’avons vu à la fin du chapitre précédent, le christianisme, modeste hérésie juive en ses débuts, se répandit en effet rapidement, malgré quelques persécutions, dans une bonne partie des élites urbaines de l’Empire romain, avant d’être imposé par l’empereur Théodose en 380 comme seule religion. C’est que cette idée nouvelle d’un dieu unique correspondait tout à fait à celle d’un empire possiblement universel. Le plus ancien monothéisme connu est celui de la religion d’Aton en Égypte au XIVe siècle avant notre ère, au moment où cet empire atteignait sa plus grande extension. Et il fut suivi par le zoroastrisme de l’Empire perse, le plus grand empire de l’Antiquité, dont on admet l’influence sur le judaïsme, pendant la captivité des élites juives à Babylone.

Certes des formes de cultes polythéistes traditionnels persistèrent encore plusieurs siècles dans les campagnes romaines, comme le montre l’archéologie : on continua comme auparavant à déposer des objets dans les tombes, une coutume bien païenne. Il fallut attendre le VIIe siècle au moins pour que les pratiques changent peu à peu, tandis que des missionnaires, tels ceux venus d’Irlande, s’acharnaient à répandre la nouvelle foi dans le monde rural, en composant cependant avec les croyances locales : le culte des saints ou celui des reliques sont autant de pratiques païennes qui rendaient le christianisme plus aisé à assimiler, tandis que l’on christianisait les divinités et les lieux de culte traditionnels. Dans les villes en revanche, le réseau des évêques, issus dans leur majorité de l’aristocratie sénatoriale gallo-romaine, formait un pouvoir fort et stable, avec lequel les autorités temporelles devaient s’entendre.

Ainsi, la conversion de Clovis n’avait rien d’une rencontre mystique, voire d’un geste d’amour envers Clotilde : c’était le geste éminemment politique, sinon opportuniste, d’un chef de guerre (par ailleurs polygame) soucieux d’assimilation au sein d’un empire très prestigieux, et désireux de mieux asseoir son pouvoir sur ses nouveaux sujets, tout en bénéficiant de l’appui de la hiérarchie ecclésiastique en place. Le prince Vladimir, souverain de la Russie de Kiev, ne ferait pas autrement par sa conversion en l’an 988, tout comme, à la même époque, le roi de Pologne Mieszko Ier en 966.
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Ce ne sont pas des Gaulois hauts en couleur mais barbares, vivant dans des huttes au milieu des forêts, qui auraient été civilisés par leurs vainqueurs ; ce sont des sociétés prospères, à l'économie et aux techniques inventives et dynamiques, possédant villes et battant monnaie, qui furent intégrées avec succès dans un empire naissant, qu'elles fécondèrent d'autant. (p.129)
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Videos de Jean-Paul Demoule (17) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Jean-Paul Demoule
Conférence proposée par le Conseil Scientifique
Intervenant: Jean-Paul DEMOULE, préhistorien et professeur émérite à Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Si l'on ne connaît pas de pratiques funéraires de la part de nos cousins primates ni des formes humaines les plus anciennes, des homo erectus en Espagne et des homo naledi en Afrique du sud ont entrepris il y a quelque 300.000 ans de déposer les morts de leur communauté dans des grottes, au fur et à mesure des décès. Puis les hommes de Néandertal, tout comme les premiers sapiens, ont commencé à creuser des tombes, déposant parfois des objets auprès du défunt, indice probable de croyances en un au-delà de la mort. Avec le néolithique et la sédentarisation des vivants, les morts aussi se sédentarisent dans les premières nécropoles, tandis que les pratiques funéraires ne cessent de s'enrichir, reprises des ossements ou modelage d'un visage d'argile sur le crâne récupéré du défunt. Les sociétés agricoles se hiérarchisant, les morts importants emportent aussi des richesses nouvelles, quand on ne leur construit pas d'imposants monuments mégalithiques, affirmation de la puissance des dominants. de fait, les tombes, en associant un individu aux objets témoignant de son statut, sont-elles des documents essentiels pour la compréhension des sociétés passées – même s'il existe malheureusement (pour les archéologues) des pratiques funéraires qui ne laissent que peu ou pas du tout de traces.
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