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Citations sur Les amours jaunes (101)

Au vieux Roscoff.

Trou de flibustiers, vieux nid
À corsaires ! – dans la tourmente,
Dors ton bon somme de granit
Sur tes caves que le flot hante…

Ronfle à la mer, ronfle à la brise ;
Ta corne dans la brume grise,
Ton pied marin dans les brisans…
– Dors : tu peux fermer ton œil borgne
Ouvert sur le large, et qui lorgne
Les Anglais, depuis trois cents ans.

– Dors, vieille coque bien ancrée ;
Les margats et les cormorans
Tes grands poètes d’ouragans
Viendront chanter à la marée…
– Dors, vieille fille-à-matelots ;
Plus ne te soûleront ces flots
Qui te faisaient une ceinture
Dorée, aux nuits rouges de vin,
De sang, de feu ! – Dors… Sur ton sein
L’or ne fondra plus en friture.

– Où sont les noms de tes amants…
– La mer et la gloire étaient folles ! –
Noms de lascars ! noms de géants !
Crachés des gueules d’espingoles…

Où battaient-ils, ces pavillons,
Écharpant ton ciel en haillons !…
– Dors au ciel de plomb sur tes dunes…
Dors : plus ne viendront ricocher
Les boulets morts, sur ton clocher
Criblé – comme un prunier – de prunes…

– Dors : sous les noires cheminées,
Écoute rêver tes enfants,
Mousses de quatre-vingt-dix ans,
Épaves des belles années…
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il dort ton bon canon de fer,
À plat-ventre aussi dans sa souille,
Grêlé par les lunes d’hyver…
Il dort son lourd sommeil de rouille.
– Va : ronfle au vent, vieux ronfleur,
Tiens toujours ta gueule enragée
Braquée à l’Anglais !… et chargée
De maigre jonc-marin en fleur.
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MIRLITON

DORS d’amour, méchant ferreur de cigales !
Dans le chiendent qui te couvrira
La cigale aussi pour toi chantera,
Joyeuse, avec ses petites cymbales.

La rosée aura des pleurs matinales ;
Et le muguet blanc fait un joli drap…
Dors d’amour, méchant ferreur de cigales.

Pleureuses en troupeau passeront les rafales…

La Muse camarde ici posera,
Sur ta bouche noire encore elle aura
Ces rimes qui vont aux moelles des pâles…
Dors d’amour, méchant ferreur de cigales.

p.336
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INSOMNIE

Insomnie, impalpable Bête !
N’as-tu d’amour que dans la tête ?
Pour venir te pâmer à voir,
Sous ton mauvais œil, l’homme mordre
Ses draps, et dans l’ennui se tordre !…
Sous ton œil de diamant noir.

Dis : pourquoi, durant la nuit blanche,
Pluvieuse comme un dimanche,
Venir nous lécher comme un chien :
Espérance ou Regret qui veille,
À notre palpitante oreille
Parler bas… et ne dire rien ?

Pourquoi, sur notre gorge aride,
Toujours pencher ta coupe vide
Et nous laisser le cou tendu,

Tantales, soiffeurs de chimère :
— Philtre amoureux ou lie amère
Fraîche rosée ou plomb fondu ! —

Insomnie, es-tu donc pas belle ?…
Eh pourquoi, lubrique pucelle,
Nous étreindre entre tes genoux ?
Pourquoi râler sur notre bouche,
Pourquoi défaire notre couche,
Et… ne pas coucher avec nous ?

Pourquoi, Belle-de-nuit impure,
Ce masque noir sur ta figure ?…
— Pour intriguer les songes d’or ?…
N’es-tu pas l’amour dans l’espace,
Souffle de Messaline lasse,
Mais pas rassasiée encor !

Insomnie, es-tu l’Hystérie…
Es-tu l’orgue de barbarie
Qui moud l’Hosannah des Élus ?…
— Ou n’es-tu pas l’éternel plectre,
Sur les nerfs des damnés-de-lettre,
Râclant leurs vers — qu’eux seuls ont lus.


Insomnie, es-tu l’âne en peine
De Buridan — ou le phalène
De l’enfer ? — Ton baiser de feu
Laisse un goût froidi de fer rouge…
Oh ! viens te poser dans mon bouge !…
Nous dormirons ensemble un peu.

p.65
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SONNET POSTHUME

DORS : ce lit est le tien… Tu n’iras plus au nôtre.
— Qui dort dîne. — À tes dents viendra tout seul le foin.
Dors : on t’aimera bien — L’aimé c’est toujours l’Autre…
Rêve : La plus aimée est toujours la plus loin…

Dors : on t’appellera beau décrocheur d’étoiles !
Chevaucheur de rayons !… quand il fera bien noir ;
Et l’ange du plafond, maigre araignée, au soir,
— Espoir — sur ton front vide ira filer ses toiles.
..
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PARIA
...

Ma pensée est un souffle aride :
C’est l’air. L’air est à moi partout.
Et ma parole est l’écho vide
Qui ne dit rien — et c’est tout.

Mon passé : c’est ce que j’oublie.
La seule chose qui me lie
C’est ma main dans mon autre main.
Mon souvenir — Rien — C’est ma trace.
Mon présent, c’est tout ce qui passe
Mon avenir — Demain… demain
...
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À MA JUMENT SOURIS


PAS d’éperon ni de cravache,
N’est-ce pas, Maîtresse à poil gris…
C’est bon à pousser une vache,
Pas une petite Souris.

Pas de mors à ta pauvre bouche :
Je t’aime, et ma cuisse te touche.
Pas de selle, pas d’étrier :
J’agace, du bout de ma botte,
Ta patte d’acier fin qui trotte.
Va : je ne suis pas cavalier…

— Hurrah ! c’est à nous la poussière !
J’ai la tête dans ta crinière,
Mes deux bras te font un collier.
— Hurrah ! c’est à nous le hallier !


— Hurrah ! c’est à nous la barrière !
— Je suis emballé : tu me tiens —
Hurrah !… et le fossé derrière…
Et la culbute !… — Femme tiens !!

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SONNET
AVEC LA MANIERE DE S’EN SERVIR

Réglons notre papier et formons bien nos lettres :

Vers filés à la main et d’un pied uniforme,
Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton ;
Qu’en marquant la césure, un des quatre s’endorme…
Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.

Sur le railway du Pinde est la ligne, la forme ;
Aux fils du télégraphe : — on en suit quatre, en long ;
À chaque pieu, la rime — exemple : chloroforme,
— Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.

— Télégramme sacré — 20 mots. — Vite à mon aide…
(Sonnet — c’est un sonnet —) ô Muse d’Archimède !
— La preuve d’un sonnet est par l’addition :

— Je pose 4 et 4 = 8 ! Alors je procède,
En posant 3 et 3 ! — Tenons Pégase raide :
« Ô lyre ! Ô délire ! Ô… » — Sonnet — Attention !

Pic de la Maladetta. — Août.
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Non… Mon coeur te sent là, Petite,
Qui dors pour me laisser plus vite
Passer ma nuit, si longue encor,
Sur le pavé comme un rat mort…

– Dors. La berceuse litanie
Sérénade jamais finie
Sur Ta lèvre reste poser
Comme une haleine de baiser :

– « Nénuphar du ciel ! Blanche Étoile !
« Tour ivoirine ! Nef sans voile !
« Vesper, amoris Aurora ! »

Ah ! je sais les répons mystiques,
Pour le cantique des cantiques
Qu’on chante… au Diable, Señora !
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A L’ÉTERNEL MADAME



Mannequin idéal, tête-de-turc du leurre,
Éternel Féminin !… repasse tes fichus ;
Et viens sur mes genoux, quand je marquerai l’heure,
Me montrer comme on fait chez vous, anges déchus.

Sois pire, et fais pour nous la joie à la malheure,
Piaffe d’un pied léger dans les sentiers ardus.
Damne-toi, pure idole ! et ris ! et chante ! et pleure,
Amante ! Et meurs d’amour !… à nos moments perdus.

Fille de marbre ! en rut ! sois folâtre !… et pensive.
Maîtresse, chair de moi ! fais-toi vierge et lascive…
Féroce, sainte, et bête, en me cherchant un cœur…

Sois femelle de l’homme, et sers de Muse, ô femme,
Quand le poète brame en Ame, en Lame, en Flamme !
Puis – quand il ronflera — viens baiser ton Vainqueur !
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DÉCOURAGEUX



Ce fut un vrai poète : Il n’avait pas de chant.
Mort, il aimait le jour et dédaigna de geindre.
Peintre : il aimait son art — Il oublia de peindre…
Il voyait trop — Et voir est un aveuglement.

— Songe-creux : bien profond il resta dans son rêve ;
Sans lui donner la forme en baudruche qui crève,
Sans ouvrir le bonhomme, et se chercher dedans.

— Pur héros de roman : il adorait la brune,
Sans voir s’elle était blonde… Il adorait la lune ;
Mais il n’aima jamais — Il n’avait pas le temps.

— Chercheur infatigable : Ici-bas où l’on rame,
Il regardait ramer, du haut de sa grande âme.
Fatigué de pitié pour ceux qui ramaient bien…


Mineur de la pensée : il touchait son front blême,
Pour gratter un bouton ou gratter le problème
Qui travaillait là — Faire rien. —

— Il parlait : « Oui, la Muse est stérile ! elle est fille
« D’amour, d’oisiveté, de prostitution ;
« Ne la déformez pas en ventre de famille
« Que couvre un étalon pour la production ! »

« Ô vous tous qui gâchez, maçons de la pensée !
« Vous tous que son caprice a touchés en amants,
« — Vanité, vanité — La folle nuit passée,
« Vous l’affichez en charge aux yeux ronds des manants !

« Elle vous effleurait, vous, comme chats qu’on noie,
« Vous avez accroché son aile ou son réseau,
« Fiers d’avoir dans vos mains un bout de plume d’oie,
« Ou des poils à gratter, en façon de pinceau ! »

— Il disait : « Ô naïf Océan ! Ô fleurettes,
« Ne sommes-nous pas là, sans peintres, ni poètes !…
« Quel vitrier a peint ! quel aveugle a chanté !…
« Et quel vitrier chante en râclant sa palette,


« Ou quel aveugle a peint avec sa clarinette !
« — Est-ce l’art ?… »
— Lui resta dans le Sublime Bête
Noyer son orgueil vide et sa virginité.


(Méditerranée.)
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