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Critique de Laureneb


Quel beau titre... Pas de triomphalisme, mais au contraire, une émotion douce-amère. Car la victoire est là, oui, la Libération est enfin arrivée. C'était l'objectif de Daniel Cordier, Alain, Caracalla, Bip W ... depuis le premier jour, depuis ce 17 juin 1940 et ce refus de l'Armistice. C'est ce désir qui le pousse à s'engager, à quitter la France pour continuer le combat, à rallier la France Libre. Il s'était engagé avec une fougue, mais aussi une naïveté d'un jeune presque encore adolescent.
Mais a-t-il vraiment participé à la victoire ? Pour lui, n'ayant pas combattu, n'ayant même pas tenu en main en fusil, il a l'impression de n'avoir eu qu'un rôle secondaire. L'armée de l'ombre n'est donc pas, dans l'opinion du jeune Daniel Cordier, une véritable armée ; ou, en tout cas, il ne se considère pas, lui, comme un véritable combattant, n'ayant exercé « que » des fonctions de secrétariat. Il n'évoque ainsi qu'en passant sa décoration de Compagnon de la Libération, comme s'il estimait de pas la mériter.
Et peut-on même parler de victoire quand elle s'obtient au prix de tant de larmes et de tant de morts ? Daniel Cordier avait prévu d'arrêter ses mémoires après le premier tome, qui se conclut à la mort du « Patron », « Rex », Jean Moulin. Comme si ce qui lui était arrivé après était de moindre importance, et même de moindre valeur pour la Résistance... Ce tome est donc un tombeau, un hommage à cet homme exceptionnel. Cordier continue à travailler pour la Résistance pour que leur travail en commun n'ait pas été vain, en séjour à Madrid, il va visiter le musée du Prado parce que Jean Moulin lui en avait parlé et il admire les mêmes tableaux que lui, il prépare un rapport sur les activités de la Résistance pour mettre en avant le rôle de son patron... On retrouve sa jeunesse naïve, il n'imagine pas le pire, pour lui Jean Moulin va revenir avec les autres prisonniers, il sera fatigué et un peu amaigri, mais c'est tout. Ces quelques phrases sur le retour des déportés des camps sont tragiques, personne n'imaginait de telles horreurs. Pour reprendre les mots de Malraux lors du transfert des cendres de Jean Moulin, comment ces hommes pourront-ils revenir à la vie, « tous ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé ; tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses [...] le peuple né de l'ombre et disparu avec elle – nos frères dans l'ordre de la Nuit… ». Ce tome des mémoires de Cordier est donc un tombeau à tous ses frères, tous ces résistants tombés.
Le prix à payer a été lourd, et la victoire elle-même n'est pas une libération ; Daniel Cordier pleure, il n'arrive pas à faire la fête. Car les divisions politiques sont plus fortes que jamais, la France est au bord de la guerre civile, les vichystes s'accrochent au pouvoir, une nouvelle guerre semble se profiler avec l'URSS...
Ces mémoires sont donc d'un intérêt historique et mémoriel. Mais il faut aussi les lire pour l'humanité de Daniel Cordier, sa foi en l'homme, sa culture. Son écriture est sensible, émouvante, car il retrouve les émotions, les emportements de la jeunesse, même s'il écrit déjà âgé. Ce n'est pas grave s'il y a quelques erreurs de dates ou de lieux, il n'a pas pu finaliser le texte comme il le souhaitait. Mais il y a bien tout le coeur de ses vingt ans, avec pudeur et franchise. Il nous fait rire avec lui, ressentir la beauté d'un tableau, pleurer à la mort de son père, être charmé par une pièce de théâtre... Il a la chance de rencontrer de nombreux intellectuels, Sartre, Malraux... Et il présente avec honneteté son cheminement intellectuel, ses convictions et ses doutes.
Un texte historique, mais aussi un texte humaniste d'un grand homme.
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