Debout dans l'encoignure d'une porte, face aux halles de la Place Saint-Louis, à Brest, Henri Le Barzic surveillait l'entrée d'une supérette. Cela faisait vingt minutes que la jeune femme qu'il avait prise en chasse, se trouvait à l'intérieur. Il l'avait repérée, le matin même, aux abords de la gare. Sportive, naturelle, un teint de pêche, une démarche dansante, qui traduisaient un bon équilibre et une santé sans problème. Conscient de tout ce que son propre comportement avait d'ambigu, Henri voulait pour partenaires des femmes simples, limpides, qui participeraient au jeu sans se dérober, avec cette spontanéité innée qui pousse à affronter l'obstacle pour le franchir. Ou s'y casser les dents.
Lorsqu'il était petit, il le pratiquait déjà, à la manière des enfants. Adolescent, il avait décroché. Trop timide, trop introverti pour ça. Plus tard, une fois sorti des errances brumeuses de l'âge ingrat, quand il s'était reconnu dans l'homme qu'il était devenu, il avait repris le jeu là où il l'avait laissé, mais en lui apportant des développements, des perfectionnements qu'un petit garçon aurait été incapable d'imaginer.
Henri Le Barzic avait débarqué au port de commerce de Brest, la veille, assez tard dans la soirée. Il avait passé le commandement du navire à son successeur et pris un taxi jusqu'à l'appartement de la rue du Château. Comme il s'y attendait, il était désert. Sa femme terminait la tournée de promotion de son dernier bouquin et leur fille, Gwenola, se trouvait déjà en vacances à Kergouadal.
Ce matin, après une bonne nuit de sommeil et des semaines de privation, Henri n'avait pu s'empêcher de lancer le jeu.
La jeune fille qu'il guettait était de celles-là. L'expérience lui soufflait qu'avec elle, il aurait une chance de parvenir à la fin de la partie, plus vite que d'habitude. Il le faudrait car, ce soir, il était attendu à Kergouadal. Et, après deux mois de navigation au long cours, il n'était pas question pour lui de couper à ses obligations familiales.
Pour Henri Le Barzic, c'était un jeu. Un jeu auquel il gagnait assez souvent pour avoir sans cesse envie de recommencer.