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Critique de Lamifranz


Cette pièce – un des chefs-d'oeuvre de l'auteur avec « le Cid », « Horace » et « Cinna » – est connue bien évidemment pour ses qualités dramatiques, mais les amateurs l'aiment bien aussi pour quelques jolies perles qui ont traversé les siècles et ont fait le bonheur de plusieurs générations de potaches (et pas seulement !) : voici les deux les plus connues :
« Quittez cette chimère et m'aimez » (on se demande ce que mémé vient faire là-dedans)
Et surtout ce vers immortel :
« Et le désir s'accroît quand l'effet se recule »
Dans une pièce à la fois tragique et chrétienne, avouez que ça faisait un peu tache ! Au bout de quelques représentations, l'auteur changea un peu le vers, histoire d'éloigner un peu le risque d'hilarités non contrôlées :
« Et le désir s'accroît lorsque l'effet recule »
Ceci toutefois n'enlève rien à la qualité de la pièce.
En 1642, Corneille vient de signer une série éblouissante de succès : « le Cid » (1637), « Horace » (1640), « Cinna » (1641), il s'est marié en 1641 et (y a-t-il un rapport ?) a mis en chantier une pièce à connotation religieuse. Ce sera « Polyeucte »
« Polyeucte » qui suit « Horace » et « Cinna », ce n'est peut-être pas tout à fait un hasard : c'est une trilogie « romaine » : la Rome des origines (Horace), celle de l'Empire triomphant (Cinna) et celle des persécutions et du début de la décadence (Polyeucte). Ou suivant une autre classification : une évolution de l'ordre initial vers l'ordre absolu et vers l'ordre confronté au christianisme.
On retrouve les grands thèmes habituels : l'honneur, le devoir, la passion avec toutes les oppositions traditionnelles. S'y ajoute la foi. Et ce n'est pas rien. La pièce raconte l'évolution de Polyeucte vers le martyre. D'abord héros, il se transforme peu à peu en saint, à force de renoncements : il sacrifie sa vie temporelle à sa vie spirituelle. Face à cette évolution (qui n'est pas unique, puisque Pauline et Félix, in extremis, seront aussi touchés par la grâce) un autre débat se déroule avec le personnage de Sévère, qui lui, pour le coup, est un « saint laïc », une sorte de Sénèque qui comprend qu'une nouvelle hiérarchie est en train de se mettre en place, et qu'un ordre spirituel va désormais aller de pair avec l'ordre temporel.
« Polyeucte » avec plus tard « Esther » et « Athalie » représentent un type assez rare dans le théâtre à cette époque, la pièce à sujet religieux. Il faudra attendre le XXème siècle pour renouer avec ces interrogations sur la foi, la sainteté, la pureté des sentiments, la difficile adaptation de la vie spirituelle à la vie temporelle…
Une pièce forte, à l'intrigue complexe, que l'on comprend peut-être mieux en la lisant qu'en la voyant en spectacle. Et la preuve, encore une fois de l'excellence de l'auteur, aussi à l'aise dans les états d'âme passionnels que spirituels, et toujours efficace dans son style particulier, tout en oppositions, en dilemmes, chacun des héros pouvant être bourreau et victime, de lui-même ou des autres, avec toujours un choix à faire… un débat véritablement cornélien !
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