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Critique de Courrege


On ne passe pas à Aulus, on s'y rend », nous est-il écrit en exergue. Ce village ariégeois d'une centaine d'âmes au bout d'une vallée « un terminus géographique » a connu son heure de gloire lorsqu'il était encore une station thermale (les Thermes ont brûlé en 1947). L'achat aux enchères d'un ancien hôtel désaffecté, le Grand Hôtel de Paris, va conduire la narratrice et son père à Aulus Les Bains. Personne ne dit «Aulus-les-Bains» en entier. On dit juste «Aulus». Zoé Cosson, dont c'est le premier roman, a 26 ans aujourd'hui mais n'en n'avait que 8 lorsqu'elle est arrivée dans ce «splendide village.» Depuis sa position de visiteuse car elle sera toujours considérée comme une étrangère dans le pays, elle décrit le lieu et ceux qui y vivent avec les Pyrénées comme cadre. Elle dessine des atmosphères en quelques mots « les habitants assistent au combat perdu du soleil qui ne perce pas, au blanc en ciment des éléments, à la résignation des arbres nus, des tombeaux de feuilles à leurs pieds. Au printemps après la fonte des neiges, les torrents se remplissent». Les Aulusiens «ne ressemblent pas aux gens de la ville. Ils ne fixent pas le sol à côté de leurs chaussures, ne soupirent pas […], et quand ils rient, tout leur corps vibre avec eux». C'est le deuxième roman que je lis écrit par une auteure diplômée d'un master de création littéraire : décidément les 68 y ont trouvé une source inépuisable de beaux romans !
Année après année, la narratrice se balade : elle regarde, écoute, recueillant les habitudes et les histoires des Aulusiens. C'est une écriture très contemplative. Zoé Cosson aime ce petit pays au point de l'avoir choisi comme thème pour son premier roman et de s'y être confinée pendant la pandémie du Covid (je l'ai découvert dans un article). Pas vraiment un roman, rien que de petites histoires qui semblent s'égrener sans lien apparent entre elles : des personnages passés ou présents, des bâtisses le plus souvent obsolètes comme l'église dont « Son seul plaisir, sadique en hiver, est de jouir de la lumière plus que n'importe quelle maison du village. » et surtout une nature omniprésente constituent les principaux thèmes. « Après, plus haut dans la montagne, il y a surtout des sapins prétentieux, et les pieds se plantent à l'aveugle dans des millefeuilles d'épines. Il y a de tout là-dessous. Des pierres et des trous, des vers de terre qui rêvent. » C'est un livre d'observations composé de vingt-deux chapitres courts, un livre d'apprentissage, d'initiation aux beautés de la nature : « J'apprends les chemins d'herbe écrasée, tapis, les routes de ruban gris, les cirques où se marient l'eau, la pierre, le gispet. J'apprends le mot gispet. L'herbe glissante, gelée, mouillée, trop grasse. J'apprends les arbres solitaires qui poussent droit malgré le dévers. » Là-bas, on vit vraiment au rythme des saisons « En août, le village est une fièvre, un bouquet. Une odeur d'herbe fraîche et coupée remue l'air, emplit les rues. Tout frémit et ondule, tout se gonfle de rires et de joies, de lumière verte, luisante.« Ces moments de l'année donnent son rythme au récit. Les balades dans les Pyrénées sont autant d'instants émerveillés. « La pluie ne passe pas, le vent à peine. Les limaces noires et dodues ont tout le sol pour elles, tout le temps pour tracer leur bout de chemin gluant. Les pieds s'enfoncent et disparaissent sous d'épais paquets de feuilles brunes. Je ne sais pas ce qu'il y a dessous. Je m'imagine que les feuilles rouillent jusqu'à s'effriter en poussières d'arbres. Qu'ensuite toutes sortes de bestioles les broient et les recrachent, et quand elles sont aussi petites que des atomes, elles rejoignent les strates noires et profondes du monde tellurique. » La narratrice est humble devant Dame Nature, elle a conscience qu'il lui faut ouvrir grand les yeux et « apprendre ».
L'écriture imagée retranscrit la lenteur du temps et ça le lecteur le ressent tout au long des pages. Il y a Aulus au présent mais aussi des passages tirés de cartes postales qui parlent de la ville au début du siècle dernier, cartes témoins de la vie fourmillante qu'il y a eu alors. Réel et fiction se mélangent. Des personnages passés ou présents, apparaissent au fil des pages comme Marie, surnommée Marldingue, qui tient l'épicerie ; le boucher, qui reste toute la journée assis sur le banc en face de sa devanture ; Nicole, « qui n'est pas du cru, c'est une arrivante, qui a repris le centre équestre, submergée par sa tâche, ignorante des règles implicites du village » ; Pince-cul nommé ainsi « car il a l'habitude de pincer le derrière des enfants quand il travaille l'hiver au tire-fesses de la piste Baby » ; René, « le monsieur de l'Imagerie végétale », qui « collecte les pierres, sélectionne les plantes rares » ; les deux Paul, le pêcheur, qui « laisse le bourdonnement de l'eau envahir sa tête » et celui qui recueille et domestique orvet, vipère, chouette.
Il y a aussi son père, un homme fantasque, atteint de syllogomanie, un TOC qui le conduit à collectionner ou plutôt accumuler tout et n'importe quoi : « Il y a la chambre électronique (grille-pain ayant déjà prouvé sa dangerosité, un compresseur à air) … la chambre couchage avec ses matelas multicolores empilés jusqu'au plafond, …la chambre sports et loisirs (une canne à pêche, six réchauds de tailles variées), …la chambre bois, …la chambre maquettes et enfin l'atelier d'apiculture de Paul » … Un véritable éventaire à la Prévert.
La narratrice évoque également les élections dans le village, sources d'échanges parfois virulents, la fermeture des mines de tungstène, le barrage hydroélectrique…
Dès sa couverture illustrée par un paysage ce livre est un hymne aux paysages et aux traditions pyrénéennes ! Les Pyrénées, cette montagne que je vois depuis mon balcon.




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