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EAN : 9782072958397
112 pages
Gallimard (07/10/2021)
3.61/5   87 notes
Résumé :
Aulus est une station thermale des Pyrénées construite à la Belle Époque, qui ne compte plus, aujourd’hui, qu’une centaine d’habitants. Depuis son enfance, la narratrice y vient chaque année. Elle réside dans l’hôtel désaffecté que son père a acheté un jour aux enchères, point de départ de ses randonnées.
Dans le village et sur les chemins, la narratrice écoute, regarde et recueille habitudes et histoires des Aulusiens : la météo, l’ours, la centrale plantée ... >Voir plus
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« Aulus tient et persiste donc dans un coin de ma tête. Ce village ramassé, esseulé au fond d'une vallée étroite que la déprise rurale et industrielle a progressivement usée, élimée, vidée, se borne à la montagne. Il s'y confronte, il s'y soumet. En raison de cette topographie spécifique, Aulus m'est toujours apparu comme un terminus géographique. On ne passe pas à Aulus, on s'y rend. »

Zoé Cosson tisse un portrait sensible d'Aulus-les-Baines, village des Pyrénées ariégeoises. Deux rues, trois commerces, une centaine d'habitants. le portrait subjectif d'un territoire s'organise en vingt-deux courts chapitres attentifs aux lieux, aux hommes et à la nature, entre géographie intime et géographie physique.

« Ce livre est le portrait rapiécé de ce lieu sans contour, un espace fait de calques, une sorte de cartographie qui l'élucide rien. Ce n'est ni une histoire ni un bloc. »

Comme un patchwork impressionniste qui exprime le territoire et dessine le temps qui passe. Quelques interludes en italique confrontent le présent au passé à travers des cartes postales qui prennent vie, quand c'était la Belle époque et qu'Aulus-les-Bains était une station thermale florissante et fourmillante de vie, la temps des calèches, du Grand casino et des montreurs d'ours. le temps a passé, donc. L'auteure fait surgir le monde contemporain par petites touches qui troublent la quiétude et l'assoupissement général : un procès pour le droit d'eau relatif à la centrale hydroélectrique, la lutte contre les compteurs Linky, les mines de tungstènes de Salau qui pourraient rouvrir alors qu'elles déversent toujours dans le sol du PCB cancérigène.

Zoé Cosson a le sens des détails. Elle dessine une ambiance en quelques phrases. Elle observe le quotidien pour y chercher de la beauté, pour empêcher que cette beauté ne disparaisse tout à fait. Sa qualité d'écriture, ciselée, nette et poétique, m'a totalement absorbée. Elle permet au lecteur de regarder avec les mots, dans un rythme lent propice à la contemplation et à l'introspection. On s'abandonne, entre minéral, végétal et monde humain.

«  Les jours sans nuages, je pars cueillir des fleurs poilues. Des chardons bleus, des crocus à peau de soie. J'allonge les végétaux sur des feuilles blanches, j'écrase de livres, je prépare l'itinéraire pour mes marches d'été. J'explore, j'apprends.
J'apprends la lumière du matin qui peine, vacille, s'élève faiblement au-dessus des crêtes avant de peindre chaque brin d'herbe. J'attends qu'elle glisse et révèle la soulane, la pente de lumière. Ensuite, le grand rond jaune domine tout-puissant le temps de tracer son bout d'arc trop court et de retomber de l'autre côté de la vallée, le mauvais, pas le nôtre. J'apprends les chemins d'herbe écrasée, tapis, les routes de ruban gris, les cirques où se marient l'eau, la pierre, le gispet. J'apprends le mot gispet. L'herbe glissante, gelée, mouillée, trop grasse. J'apprends les arbres solitaires qui poussent droit malgré le dévers, les passages délicats, les échelles en fer à béton vissées sur la roche, le corps serré contre la montagne, pendu dans le vide. »

Et puis, très subtilement, derrière Aulus et ses habitants, se dégage le portrait d'un père, entre délicatesse et pudeur, ce père qui a racheté un hôtel vétuste pour y vivre, ce père qui vieillit, atteint d'une étrange maladie. Oui vraiment, cette parenthèse empreinte de douceur nostalgique et de vitalité de l'instant en suspens m'a vraiment plu.

Lu dans le cadre du collectif des 68 Premières fois 2022 #3
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Bienvenue à Pétaouchnok !
Pas tout à fait, puisque le village d'Aulus existe bel et bien. Bon, il faut le trouver quand même. Pour un toulousain, l'Ariège, c'est un peu participer à Koh-lanta pour le week-end. Les 09 sont dans la place… sauf qu'il n'y pas beaucoup de places, et pas beaucoup de monde non plus. Par contre, pas de pénurie de virages et d'éboulis sur les routes, et il y autant de fromages que de Tartarins (à ne pas confondre avec celui de Daudet qui vient d'une autre Tarascon).
Foix, Pamiers, Tarascon-sur-Ariège, Saint-Girons, Mirepoix, tous ces noms fleurent bon les repas de famille, le ski dans le brouillard et les escapades Quechua. Par contre, Aulus ne m'évoquait pas grand-chose alors qu'il représente beaucoup pour Zoe Cosson dans son premier roman.
Il s'agit d'une station thermale qui a perdu les eaux et dont les murs pleurent la Belle Epoque, volets fermés. le père de la jeune narratrice a racheté un vieil hôtel abandonné. Désaffecté mais pas sans affection, celle d'une fille pour son paternel et la centaine d'originaux qui hantent le village d'une présence presque fantomatique. On ne sait pas si ces gens sont attachés à cette terre, s'ils restent parce qu'ils n'ont pas d'autres nulle part où aller, ou s'ils fuient ici de douloureux souvenirs.
Dans ce court roman au style très poétique, au trait aussi épuré que ces arbres qui poussent au bord du vide bravant la roche et gravitation, la jeune femme va faire la chronique de ce village qui ne voit le soleil que quelques heures par jour, qui suit les passages de l'ours, qui vit au rythme des petits commerces, d'une météo ignorée par Evelyne Dhéliat, qui frissonne au moment des élections municipales et s'inquiète de la centrale hydroélectrique qui filtre la rivière et les humeurs des habitants.
La jeune fille a la sensibilité verte de son époque alors que son père braconne un art de vivre éloigné des préoccupations actuelles. Une mystérieuse mine de tungstène va aviver les tensions.
Il est aisé d'imaginer la romancière sortir un carnet de son sac au milieu d'une marche pour s'installer sur un rocher duveté de mousses, au bord d'un torrent bien "truité", pour écrire quelques lignes de son livre, inspirée par la rudesse de la nature et par ces gens affublés de surnoms « typicos » : Fafa le menuisier, Pince-cul… Il ne manque que le loto dans la salle communale.
A Aulus, on ne va pas faire le plein de vitamine d'et il est inutile de chercher une bonne connexion au wi-fi, mais au diable le réseau quand il est possible de se perdre dans une prose d'une telle qualité.
Les seules cascades de cette histoire sont naturelles, les disputes y sont séculaires, les aventures humbles et ce texte raconte un album photo, un hommage à destination de la mémoire collective. Nous avons tous notre Aulus.
Zoe Cosson a la bonne idée de glisser en tête de chapitre la description de vieilles cartes postales, celles qu'on trouve en général dans de vieilles malles lors des successions et qui racontent ici l'histoire du village. Nostalgie jaunie.
A défaut de s'arrêter à Aulus, cette plaisante balade littéraire dans un village enraciné à la nature comme un grain de beauté au milieu du nez et le récit pudique du lien fort qui unit cette jeune fille à son père méritent le détour… mais il ne faut pas oublier les pneus neige.
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Aulus, c'est une petite station thermale de l'Ariège, nichée dans les Pyrénées et qui ne compte qu'une centaine d'habitants à l'année. Aulus, c'est aussi un récit écrit par Zoé Cosson et qui raconte cette ville d'eau en une petite centaine de pages.
Curieux portrait d'Aulus que nous livre cette jeune auteure qui venait y passer ses vacances dans l'hôtel désaffecté et décrépit de son père. Dans ce récit vous ne trouverez pas d'intrigue ni d'amour passionnel mais ce n'est pas pour autant un guide touristique. Alors c'est quoi ? me demanderez-vous
« Ce livre est le portrait rapiécé de ce lieu sans contour, un espace fait de calques, une sorte de cartographie qui n'élucide rien. Ce n'est ni une histoire, ni un bloc »
Il y a un côté patchwork dans ce récit qui rassemble bouts de vie, rencontres fugaces, déambulations et descriptions de cartes postales d'autrefois.
Aulus, on n'y va pas par hasard, on s'y rend car « c'est un terminus géographique ». Il y a deux rues principales, « le reste est un écheveau de ruelles sinueuses comme de l'eau » et que surmonte l'église où « l'on ne se rend que pour les enterrements ». La vie se concentre dans ses deux artères où se trouvent la boucherie et l'épicerie de Marie.
Aulus, c'est aussi la nature qui l'entoure, avec sa flore et sa faune sauvage et Zoé Cosson arpente les sentiers de montagne et apprend. Elle apprend « les chemins d'herbe écrasée », les couleurs qui changent selon les saisons, les arbres et les roches.
« J'apprends la lumière du matin qui peine, vacille, s'élève faiblement au-dessus des crêtes avant de peindre chaque brin d'herbe »
On croise aussi quelques-uns des habitants, toujours les mêmes. Il y a Paul qui veut devenir apiculteur, Nicole la dépressive et puis René, l'artiste du village. Et puis il y a le père de Zoé, homme méticuleux qui remplit les pièces de l'hôtel d'un bric-à-brac invraisemblable. Qui se protège du soleil depuis qu'une maladie de peau perfide le ronge.
Zoé Cosson dit aussi les blessures infligées à la montagne, comme la mine désaffectée, plaie ouverte qui vomit des déchets bourrés de métaux lourds, de PCB, qui vont polluer la rivière.
Dans une langue empreinte de poésie, l'auteure dit la rudesse de la vie, la beauté âpre de la nature, mais aussi la solitude et l'abandon. Dans ce village étroit, on cohabite et on se supporte dans un équilibre précaire.
C'est à travers ces histoires de rien, cette nature blessée, qu'on mesure la fragilité des choses et de la vie qui s'écoule. Et c'est émouvant.



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Aulus est un tout petit village de montagne, agonisant, déserté par la jeunesse et le second souffle apporté par quelques néo ruraux toisés d'un oeil suspicieux par ce qui reste de la population locale, sera sans doute insuffisant pour assurer la relève.

Le père de la narratrice est un de ces doux rêveurs, prêts à consacrer toute leur énergie pour une cause perdue d'avance. C'est ainsi qu'il fait l'acquisition d'un hôtel délabré et tente de lui redonner un aspect décent, dans un but indéterminé (il n'est pas question de faire renaitre de ses cendres la station de curistes renommée du début du 20è siècle). Caprice d'un citadin idéaliste, ou lutte désespérée contre une entropie galopante ?

La narratrice observe l'entreprise avec un regard mi-amusé mi-inquiet, mais profite de l'isolement créé par la géographie des lieux pour se nourrir de la nature ambiante.


Hommage du temps révolu, des vestiges d'une époque à la fois récente et si lointaine, ce roman est un constat de la fragilité de ce qui nous construit et peut sembler pour un instant ancré dans l'éternité.

Roman nostalgique, imprégné d'une tendresse pour le passé qui nous a modelé, porté par une écriture simple et belle.

107 pages L'Arbalète Gallimard 7 octobre 2021
68 premières fois

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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« On ne passe pas à Aulus, on s'y rend », est-on prévenu en exergue. Aulus, un village Ariégeois au bout d'une vallée où serpente le Garbet, splendide mais trop souvent à l'ombre – surtout l'hiver, de montagnes « désespérément fixes ». Un « terminus géographique ». La narratrice et son père semblent pourtant s'y rendre le coeur guilleret, en entrée du « portrait rapiécé de ce lieu sans contour ». le père a acquis le Grand Hôtel de Paris aux enchères, sa vétusté justifiant la nécessité de s'y rendre en camion pour y emménager et aborder le chantier de sa restauration, malgré les ruelles de pierre qui les attendent.

Pas d'histoire tout en bloc, pas de récit élaboré sur une trame narrative classique. On est vite informé de la teneur éclatée, et les historiettes s'égrènent sans lien apparent entre elles. Personnages passés ou présents, bâtisses le plus souvent obsolètes, nature majestueuse environnante constituent les thèmes essentiels. La narratrice nous en dispense les bribes éparses en observatrice fine d'un monde sclérosé et pittoresque, semblant se replier sur lui-même ou derrière son passé florissant, au « temps des calèches et du Grand Casino, des montreurs d'ours et des champs de seigle noir avec leurs étendues de fleurs blanches ».
Ici, Fafa tenait le tabac-presse-boulangerie, accordait un quart d'heure à chaque personne car « il n'y a pas de clients, seulement des villageois et un village à raconter chaque jour. »
Ici, l'église est sinistre malgré ses « fausses notes boiteuses qui la rendent touchante », les bancs sont tristes l'hiver, « nus et parsemés de gouttes d'eau ».
Ici, la narratrice s'exerce à la randonnée en plus de ses pérégrinations affûtées sur la « surface cabossée, boursoufflée » du village, pour contempler à 2568 mètres d'altitude « les aiguilles de pierre » qui « piquent le ciel comme des fleurets ».
Ici, l'ancienne mine de tungstène est enterrée, « c'est une tombe sans fleur, sans croix, sans corps », aux relents d'amiante et de PCB. Pourtant lorsqu'une société australienne souhaite la réouvrir, la mémoire collective se fait volatile.
Ici l'artiste local, à la recherche d'imagerie humaine dans les végétaux, finira par perdre la tête, comme un symbole.

« Réel et fiction s'entremêlent » dans ce rapide et premier roman de Zoé Cosson. Sa construction rapiécée peut dérouter, même si son sens est justifié pour un village insaisissable dans son unité. le lecteur pourra trouver son intérêt ailleurs, dans la restitution d'une ambiance pittoresque notamment, parsemée de bons mots précis poétiques fréquents (les adjectifs s'y succèdent souvent ainsi), comme autant de perles à dénicher sur son parcours. Ni roman rural, ni roman d'incitation franche au déconfinement au grand air, ni roman à parader dans les devantures d'offices touristiques, « Aulus » ressemble plutôt à un texte réfléchi et ciselé, à la saveur de recherche littéraire. Il questionne en filigrane l'influence de l'environnement sur les habitants, ainsi que l'équilibre instable d'un village hibernant depuis son lustre d'antan, avant « la déprise rurale et industrielle ». Une franche réussite.

Lien : https://www.benzinemag.net/2..
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Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Les premières pages du livre
Aulus tient et persiste dans un coin de ma tête. Ce village ramassé, esseulé au fond d’une vallée étroite que la déprise rurale et industrielle a progressivement usée, élimée, vidée, se borne à la montagne. Il s’y confronte, il s’y soumet. En raison de cette topographie spécifique, Aulus m’est toujours apparu comme un terminus géographique. On ne passe pas à Aulus, on s’y rend.
Mon père a acheté là-bas un ancien hôtel aux chambres vides, en train de dépérir au milieu des montagnes. L’hôtel est devenu son royaume, et le lieu à partir duquel je découvre les corps qui peuplent les rues du village.
À Aulus, je ne suis ni résidente ni étrangère : je suis la silhouette derrière mon père, et l’hôtel est ce lieu poreux d’où j’écris. Un pied dedans, un pied dehors. Je regarde le monde à travers lui, j’imagine à travers les on-dit, ce que j’attrape des habitants lorsqu’ils viennent partager quelques mots sur la centrale, l’ours, un voisin, la météo. À Aulus, j’écoute et je marche, réel et fiction s’entremêlent.
Aulus s’appréhende comme la montagne, comme un ensemble d’accidents, de pans qui se succèdent et se cachent les uns des autres. On ne peut pas saisir Aulus d’un seul regard, on le découvre dans l’effort de la marche, à l’échelle du corps, par bribes, et il faut ensuite recoller mentalement ces morceaux pour s’en fabriquer une image.
Ce livre est le portrait rapiécé de ce lieu sans contour, un espace fait de calques, une sorte de cartographie qui n’élucide rien. Ce n’est ni une histoire ni un bloc.

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J’observe mon père. Sa tête droite, tenue, ses yeux posés sur l’horizon. Il fixe la ligne bleue qui barre le pare-brise, les Pyrénées devant. Il n’a qu’une main sur le volant et le camion file tout droit. On traverse une série de villages désolés, His, Caumont, Lorp-Sentaraille, abandonnés le long de la départementale. Les maisons sont flétries, fermées, les murs à peine debout. Elles me filent le bourdon ces maisons. Tout est d’hier, morose. Il n’y a pas de piétons, personne. On dépasse la cité de Saint-Lizier, l’eau stagnante des barrages de Saint-Girons, et déjà l’usine Job de papier à cigarette diffuse son odeur âpre à l’intérieur du véhicule. Elle traîne un moment dans l’air, épaisse, envahit nos narines jusqu’à l’écœurement et pourtant je commence à sourire parce qu’à partir de là, vraiment, le paysage change et on s’enfonce dans le pays.
Le pays c’est la vallée du Garbet, une terre pleine de cailloux roulés d’où se lèvent des espèces fumantes. Les noisetiers prolifèrent, les troncs nus étouffent sous le lierre, les fougères agitent leurs longs bras souples. À présent la route se presse contre la rivière et, ensemble, elles glissent entre des collines d’un vert éclatant. Leurs croupes s’allongent, gonflent, se rapprochent. La radio ne capte plus et mes yeux restent collés à la vitre. L’espace mute, se vide, les maisons se dispersent, les monts s’élancent de plus en plus haut, se dressent, la roche perce leurs sommets et voilà les montagnes. Je n’en perçois pas le bout. Mon père s’agrippe au volant, l’estomac tourne, les roues chavirent à fond. Le camion force un passage dans le minéral jusqu’au moment où la roche s’ouvre et le regard s’élargit. Un plateau apparaît. Il n’est pas large mais des deux côtés les prairies huileuses absorbent et reflètent la lumière. Au fond, une couronne de pierres clôt l’horizon en arc de cercle. On se jette vers cette fin, ou ce commencement du monde, et enfin on lit le panneau : « Aulus-les-Bains, station thermale du cholestérol ».

Contrairement aux villages bâtis sur des hauteurs qui se montrent et surveillent de haut, celui-ci est engoncé dans un pli de terre, au plus près de l’eau. Ses habitants ne voient qu’un fil de ciel au-dessus de la ligne grise des crêtes. Les jours brefs et blancs de janvier, ils assistent au combat perdu du soleil qui ne perce pas, au blanc en ciment des éléments, à la résignation des arbres nus, des tombeaux de feuilles à leurs pieds. Au printemps, après la fonte des neiges, les torrents se remplissent. L’herbe se redresse, verdit. La montagne renaît. On déplace les bêtes. On défriche. On sème à partir de mai.
En août, le village est une fièvre, un bouquet. Une odeur d’herbe fraîche et coupée remue l’air, emplit les rues. Les géraniums débordent des pots. Tout frémit et ondule, tout se gonfle de rires et de joie, de lumière verte, luisante. Un soleil neuf et sauvage plaque des ombres nettes au sol et l’œil ébloui s’épuise à se recharger de troncs, d’eau, de fleurs et de bêtes. Les chiens dessinent en courant le contour des troupeaux, les trois restaurants affichent complet, l’épicerie de Marie bat son plein, les cyclistes pédalent, les randonneurs randonnent et on regarde Nicole, la nouvelle gérante du centre équestre, faire des tours de village suivie de familles sur poneys.
Le 3 août, pour la fête du village, on monte un stand de steak-frites-buvette ainsi qu’une guinguette. Un feu d’artifice éclate dans le ciel et les canards en plastique dévalent la rivière. On numérote leurs dos au feutre indélébile et le hasard de l’eau fait la course. Ils se prennent des rochers en pleine tête ou échouent, se retournent, et seuls quelques-uns parviennent indemnes au bas du village. On les suit d’en haut, derrière des murets en pierre. Car tout ici est en pierre. Les vieilles maisons sont en pierre, les granges sont en pierre, les murets qui délimitent chemins et terrasses aussi, et les arbres les plus coriaces prennent racine dans des quartiers de roche. La pierre bouche la vue, l’ennui, les trous. Elle bouche tout et, à partir d’une certaine altitude, elle recouvre tant que rien n’y pousse plus.

Personne ne dit « Aulus-les-Bains » en entier. On dit juste « Aulus ». « Aulus » tout court. Aulus est un village d’eaux niché à 750 mètres d’altitude. Il reçoit 700 curistes par an et s’étend sur 5 224 hectares, comprenant forêts, pâturages, névés, pics et cascades.
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Ils ne ressemblent pas aux gens de la ville. Ils ne fixent pas le sol à côté de leurs chaussures, ne soupirent pas. Ils ont des dizaines de poches greffées au pantalon, à la silhouette, des semelles crantées, une voix qui s'affirme sans détours et roule, et quand ils rient, tout leur corps vibre avec eux. Ce sont des corps du dehors, habitués à négocier avec la solitude, le temps qui ne meurt pas. Des corps tenaces qui ne tressaillent pas à l'intérieur.
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J’observe mon père. Sa tête droite, tenue, ses yeux posés sur l'horizon. Il fixe la ligne bleue qui barre le pare-brise, les Pyrénées devant. Il n'a qu'une main sur le volant et le camion file tout droit. On traverse une série de villages désolés, His, Caumont, Lorp-Sentaraille, abandonnés le long de la départementale. Les maisons sont flétries, fermées, les murs à peine debout. Elles me filent le bourdon ces maisons.
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J'apprends la lumière du matin qui peine, vacille, s'élève faiblement au-dessus des crêtes avant de peindre chaque brin d'herbe. J'attends qu'elle glisse et révèle la soulane, la pente de lumière.
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Long et sec comme une brindille, solaire, René occupe ses journées à fouiller la montagne à la recherche du beau nœud, de la branche anthropomorphique. Il emprunte à la forêt des visages et des corps, des têtes de loup parfois ou des serpents entiers qu’il rapporte à son atelier. Quand la plupart guettent la sortie des morilles ou traquent le gibier, lui, le monsieur de l’Imagerie végétale, accumule les petits trésors d’altitude. Face à la beauté de cet homme dénué de cynisme, les autres disent : « l’artiste du village ». Il collecte les pierres, sélectionne les plantes rares. Il les passe à la presse, les superpose, il traverse la matière.
En dehors de ces longues balades sylvestres, il nourrit les chats avec qui il partage son domicile et la grange, de l’autre côté de la route. Des bols laissés devant la porte qu’il remplit deux fois par jour et un lieu circonscrit dans lequel les félidés restent sages, placides, presque invisibles aux yeux du village.
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Vidéo de Zoé Cosson
Dans ce premier roman, la narratrice redonne vie à une petite bourgade pyrénéenne comme tant d'autres : Aulus-les-Bains, son église, la lumière changeante au gré des heures, les bâtiments, le boucher opiniâtre, l'épicière intransigeante… Observant les êtres et la nature qui les environne, elle compose le portrait tendre et émouvant d'un monde à l'abandon, dans un texte envoûtant qui magnifie la simplicité d'un lieu, la lenteur et la fragilité de l'effacement. Préparant ses randonnées et aidant son père dans la réhabilitation d'un hôtel délabré, Zoé Cosson nous offre le plaisir d'un pas de côté – ce regard avisé sur ce qu'on ne voit plus ou presque. Son écriture précise et sensuelle capte les palpitations d'un monde qui disparaît, s'efface discrètement, à bas bruit.
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