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Critique de fbalestas


Quartier de Belleville à Paris, année 2015.

Une jeune femme célibataire, journaliste, travaillant pour un site Web d'actu.

Un ex migrant noir désormais intégré à Paris, qui aidera un migrant tunisien débarqué fraichement sur le palier de la porte de la première.

Une professeure d'université spécialisée dans les questions d'environnement, soeur de la première.

Un psychanalyste parisien d'une cinquantaine d'années et sa fille bachelière.

Un jeune des quartiers sensibles et sa mère femme de ménage.

Une jeune femme désaxée, partie un temps à Orléans, et revenant chez sa mère à Paris.

Une année, quatre saisons à Paris, des personnages qui découvrent les lois de « l'ascension » (mais quelle ascension ?) : c'est le pari réussi de Céline Curiol.

Le roman s'ouvre sur le personnage d'Orna, la journaliste. Celle-ci rentre de son travail et trouve presque devant sa porte un homme blessé. Que faire. Passer par-dessus l'homme à terre sans rien dire et rentrer chez elle. Et se sentir coupable. Ou bien tenter de lui parler. L'emmener chez elle ? Trop dangereux. Rentrer chez soi, c'est plus prudent. Mais ne pas pouvoir s'endormir. Et ressortir au bout d'un moment en appelant les secours. Ne pas savoir quoi faire si ce n'est recueillir son nom. Et retourner à sa vie quotidienne.

Commence alors ce grand roman choral de 850 pages, donnant la parole tour à tour aux 6 personnages clés sur lesquels se penche Céline Curiol, telle une entomologiste sur son carré d'herbes plein d'insectes. Ici le carré d'herbe, c'est le quartier de Belleville, et il s'en passe des choses, au lendemain des attentats du Bataclan, et cette place désormais vidée des témoignages dont lui ont fait part les Parisiens.

On poursuit avec Sélène, la soeur d'Orna, ayant quitté Paris pour Dubaï, où elle postule pour un emploi de chercheuse en environnement, dans un lieu où justement rien n'est naturel. Et dans le taxi qui la ramène à son hôtel, une manifestation d'ouvriers immigrés et exploités la ramène à la dure réalité. Restera-t-elle dans cet univers artificiel ?

On poursuit avec Pénélope, qui se fait désormais appeler « Hope », une jeune femme en train de travailler comme préparatrice dans l'enfer d'un entrepôt géant (Amazon peut-être ?) L'univers y est impitoyable et un jeune athlète est en train de battre les recors de rendement. de quoi énerver Hope qui va se frotter au super héros… et se faire virer proprement. Elle qui quelques temps plus tôt avait commencé Sciences Po … mais qui ne voulait plus de ce système impitoyable.

Et puis il y a Modé. Modé l'Africain, arrivé des années auparavant, bien inséré socialement, travaillant dans une Association utile, et écrivant des vers de poésie le matin avant d'aller au bureau. Il y a le troquet où il se rend tous les jours, le Bilboquet. Mais l'association va bientôt embaucher un jeune diplômé à son poste …

Pavel lui est psychanalyste. Tout irait bien dans sa vie s'il n'était doté d'une fille lycéenne qu'il doit partager avec son ex-femme Ingrid, qui a demandé le divorce depuis peu. Dans son cabinet, c'est un peu comme la série « En thérapie » d'ARTE : les patients se succèdent, tandis que Sylvie sa secrétaire veille au grain et que Dounia la femme de ménage va lui demander un service pour son fils Mehdi …

Leurs itinéraires vont se croiser bien sûr. Deux par deux. Une même scène vécut de deux points de vue –les deux soeurs par exemple – mais aussi Hope sollicitant Orna pour un conseil, Modé croisant la route d'Orna et ne la quittant plus, Pavel confronté indirectement à Sélène par l'intermédiaire de sa fille, jusqu'à l'évènement final où plusieurs d'entre eux vont être bousculés dans leurs certitudes.

« Les lois de l'ascension » est un roman d'aujourd'hui. Qui pose les questions d'aujourd'hui sur la société, sur l'engagement, sur le système économique et capitaliste, et la façon de s'en sortir, malgré tout.
On pense à Paul Auster, bien sûr, et notamment « 4 3 2 1 » et ses tranches de vie de personnages fétiches. Mais ici placés à Paris, après le Bataclan et avant la pandémie, on s'attache à des personnages avec qui on n'a aucune peine à s'identifier.


Je suis le travail de Céline Curiol depuis « Voix sans issue », qui m'avait beaucoup plu. Elle pose ici les questions qui nous concernent : que faut-il faire face au dérèglement climatique et aux risques qui pèsent sur la planète et que peut-on faire ? Faut-il faire quelque chose d'ailleurs ? Et que dire de ces migrants qui échouent aux pieds de nos immeubles : peut-on les accueillir ? Si oui comment ? Et qu'en est-il de cette nouvelle peur de l'attentat, celui qui nous guette jusque dans nos habitudes du quotidien ?
Comment résister au système capitaliste d'aujourd'hui ? Peut-on travailler sans être asservi au système ? Faut-il renoncer à toute compromission comme le personnage de Hope le laisse entendre et prendre un « bullshit job » et s'investir par ailleurs ?
Et puis bien sûr elle pose encore la question du couple : comment vivre de façon épanouie en 2015 les rapports hommes/Femmes : faut-il sacrifier sa carrière pour l'autre ? Ou bien suivre sa voix quitte à perdre l'autre ?

Céline Curiol a réussi son pari. le pari de nous tenir attaché tout au long de ces 840 pages avec le sentiment d'avoir vécu une tranche de vie dans le quartier de Belleville à Paris avec ses personnages. Une très belle réussite qui confirme le talent de cette autrice qui donne envie de se plonger dans ses autres romans.

Lien : http://versionlibreorg.blogs..
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