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EAN : 9782330143848
848 pages
Actes Sud (06/01/2021)
4.14/5   50 notes
Résumé :
Ce roman va vous parler de révolution, d'exil, d'illusions, de sororité, d'amour.
Son ambition est d'être une fresque de notre époque, une fresque de notre culture, un miroir des dilemmes et des paradoxes que chacun de nous doit s'employer à résoudre. Il est telle une interrogation sur ce que sont les moteurs et les motifs de nos vies.
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Critiques, Analyses et Avis (14) Voir plus Ajouter une critique
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Quartier de Belleville à Paris, année 2015.

Une jeune femme célibataire, journaliste, travaillant pour un site Web d'actu.

Un ex migrant noir désormais intégré à Paris, qui aidera un migrant tunisien débarqué fraichement sur le palier de la porte de la première.

Une professeure d'université spécialisée dans les questions d'environnement, soeur de la première.

Un psychanalyste parisien d'une cinquantaine d'années et sa fille bachelière.

Un jeune des quartiers sensibles et sa mère femme de ménage.

Une jeune femme désaxée, partie un temps à Orléans, et revenant chez sa mère à Paris.

Une année, quatre saisons à Paris, des personnages qui découvrent les lois de « l'ascension » (mais quelle ascension ?) : c'est le pari réussi de Céline Curiol.

Le roman s'ouvre sur le personnage d'Orna, la journaliste. Celle-ci rentre de son travail et trouve presque devant sa porte un homme blessé. Que faire. Passer par-dessus l'homme à terre sans rien dire et rentrer chez elle. Et se sentir coupable. Ou bien tenter de lui parler. L'emmener chez elle ? Trop dangereux. Rentrer chez soi, c'est plus prudent. Mais ne pas pouvoir s'endormir. Et ressortir au bout d'un moment en appelant les secours. Ne pas savoir quoi faire si ce n'est recueillir son nom. Et retourner à sa vie quotidienne.

Commence alors ce grand roman choral de 850 pages, donnant la parole tour à tour aux 6 personnages clés sur lesquels se penche Céline Curiol, telle une entomologiste sur son carré d'herbes plein d'insectes. Ici le carré d'herbe, c'est le quartier de Belleville, et il s'en passe des choses, au lendemain des attentats du Bataclan, et cette place désormais vidée des témoignages dont lui ont fait part les Parisiens.

On poursuit avec Sélène, la soeur d'Orna, ayant quitté Paris pour Dubaï, où elle postule pour un emploi de chercheuse en environnement, dans un lieu où justement rien n'est naturel. Et dans le taxi qui la ramène à son hôtel, une manifestation d'ouvriers immigrés et exploités la ramène à la dure réalité. Restera-t-elle dans cet univers artificiel ?

On poursuit avec Pénélope, qui se fait désormais appeler « Hope », une jeune femme en train de travailler comme préparatrice dans l'enfer d'un entrepôt géant (Amazon peut-être ?) L'univers y est impitoyable et un jeune athlète est en train de battre les recors de rendement. de quoi énerver Hope qui va se frotter au super héros… et se faire virer proprement. Elle qui quelques temps plus tôt avait commencé Sciences Po … mais qui ne voulait plus de ce système impitoyable.

Et puis il y a Modé. Modé l'Africain, arrivé des années auparavant, bien inséré socialement, travaillant dans une Association utile, et écrivant des vers de poésie le matin avant d'aller au bureau. Il y a le troquet où il se rend tous les jours, le Bilboquet. Mais l'association va bientôt embaucher un jeune diplômé à son poste …

Pavel lui est psychanalyste. Tout irait bien dans sa vie s'il n'était doté d'une fille lycéenne qu'il doit partager avec son ex-femme Ingrid, qui a demandé le divorce depuis peu. Dans son cabinet, c'est un peu comme la série « En thérapie » d'ARTE : les patients se succèdent, tandis que Sylvie sa secrétaire veille au grain et que Dounia la femme de ménage va lui demander un service pour son fils Mehdi …

Leurs itinéraires vont se croiser bien sûr. Deux par deux. Une même scène vécut de deux points de vue –les deux soeurs par exemple – mais aussi Hope sollicitant Orna pour un conseil, Modé croisant la route d'Orna et ne la quittant plus, Pavel confronté indirectement à Sélène par l'intermédiaire de sa fille, jusqu'à l'évènement final où plusieurs d'entre eux vont être bousculés dans leurs certitudes.

« Les lois de l'ascension » est un roman d'aujourd'hui. Qui pose les questions d'aujourd'hui sur la société, sur l'engagement, sur le système économique et capitaliste, et la façon de s'en sortir, malgré tout.
On pense à Paul Auster, bien sûr, et notamment « 4 3 2 1 » et ses tranches de vie de personnages fétiches. Mais ici placés à Paris, après le Bataclan et avant la pandémie, on s'attache à des personnages avec qui on n'a aucune peine à s'identifier.


Je suis le travail de Céline Curiol depuis « Voix sans issue », qui m'avait beaucoup plu. Elle pose ici les questions qui nous concernent : que faut-il faire face au dérèglement climatique et aux risques qui pèsent sur la planète et que peut-on faire ? Faut-il faire quelque chose d'ailleurs ? Et que dire de ces migrants qui échouent aux pieds de nos immeubles : peut-on les accueillir ? Si oui comment ? Et qu'en est-il de cette nouvelle peur de l'attentat, celui qui nous guette jusque dans nos habitudes du quotidien ?
Comment résister au système capitaliste d'aujourd'hui ? Peut-on travailler sans être asservi au système ? Faut-il renoncer à toute compromission comme le personnage de Hope le laisse entendre et prendre un « bullshit job » et s'investir par ailleurs ?
Et puis bien sûr elle pose encore la question du couple : comment vivre de façon épanouie en 2015 les rapports hommes/Femmes : faut-il sacrifier sa carrière pour l'autre ? Ou bien suivre sa voix quitte à perdre l'autre ?

Céline Curiol a réussi son pari. le pari de nous tenir attaché tout au long de ces 840 pages avec le sentiment d'avoir vécu une tranche de vie dans le quartier de Belleville à Paris avec ses personnages. Une très belle réussite qui confirme le talent de cette autrice qui donne envie de se plonger dans ses autres romans.

Lien : http://versionlibreorg.blogs..
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A la fin de son livre Les lois de l'ascension  Céline Curiol rend hommage à  Paul Auster.
Hommage  naturel tellement la forme et le fond du livre sont " austerien"
Imposance "austerienne" avec ce livre de quelques 830 pages.
Austerien de situer l'action principalement à Belleville - Paris, tout comme Paul Auster fait vivre Brooklyn ou New York.
Et puis la forme... six personnages que l'on retrouve à quatre saisons différentes de 2015 /2016. Un peu comme les 4 Ferguson du roman 4 3 2 1de Paul Auster.
Et le même sens des personnages secondaires et des digressions  sur des sujets superficiels ou au contraire très actuels et graves.

Donc nous sommes à  Belleville a l'été  2015 et nous allons suivre la vie de six personnages. Suivre leur vie est un grand mot.  Nous allons pour chacun  suivre une journée de leur vie sur quatre saisons en commençant par l'été et à terme ces quatre saisons nous raconterons six vies.
Je vous présente les 6 personnages

1/ Orna la quarantaine est journaliste dans un site d'infos sur Internet. Elle a une soeur qui s'appelle Selene.  Un soir en rentrant chez elle, elle découvre au pied de son immeuble un migrant ou un réfugié tunisien : Moncef. Orna suit une analyse chez le docteur Pavel. Elle est célibataire après avoir vécu quelques années  avec Oscar
2/ Selene soeur d'Orna est à Dubaï pour des entretiens d'embauche à l'université des Émirats Arabes Unis. Son domaine de prédilection : l'environnement.  Elle découvre à  Dubaï le travail des immigrés et leur manque de liberté.  Selene vit avec Porter.

3 /Hope travaille comme pickeur  ou pickeuse dans la logistique. Renvoyée car pas assez efficace.  Locataire de Veronica, veuve avec argent et bien immobilier. A besoin de se faire entendre car exploitée. Révoltée.

4 /Mode est un immigré sénégalais. 60 ans . A donner des cours de français dans diverses associations pour migrants. Intégré. Va rencontrer Orna qui est à la recherche de Moncef
A laissé une femme aimée au Sénégal :Houria
Fais une rencontre dans" la tranchée "avec un jeune dealer  qu'il prend pour Moncef

5/ Pavel est un psy en fin de carrière.  Divorcée de Ingrid. A une fille Léa.  Peu present.  A comme patiente Orna.  Sa femme de ménage Dounia lui demande de parler à son fils Mehdi qui glisse vers l'islamisme.
6 /Mehdi parle verlan. Totalement ouvert à un départ en Syrie. Mehdi est le jeune homme rencontré dans " la tranchée" par Modé.

Le décor est posé et Céline Curiol  va faire interagir ces six personnages. C'est ludique mais c'est surtout absolument maîtrisé.  Les événements  s'enchaînent sans fausses notes et nous voyons devant nos yeux se mettre en place les lois de l'ascension.
Ces lois de l'ascension qui sont totalement intégrées dans notre monde contemporain. Chaque personnage va se trouver confronté    à l'individualisme, la solidarité , le passage à l'acte. Mais tout est il ascension ?  En interagissant quel est notre niveau de responsabilité ou d'irresponsabilité.
Céline Curiol n'élude aucun des grands sujets :migrants ,réfugiés,  racisme, environnement, terrorisme ou encore révolte et révolution.
Son livre est foisonnant, pas toujours simple car les digressions peuvent être un peu prise de tête.  Mais on l'accepte tellement la réflexion est salutaire .
Arriver à être soi .Oser changer. Se changer soi , petitement avant de penser à changer les autres, le monde. Suivre une quête qui permettra d'être vivant et de réinvestir une indépendance d'esprit.
C'est le fil de ce roman inlassablement contemporain.

Sur des sujets équivalents et dans le même quartier de Belleville il faut lire le magnifique livre Arène de Négar Djavadi que j'ai chroniqué il y a quelques mois.

 
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Paris 2015-2016 : Six narrateurs, six voix, six personnages sur quatre saisons durant lesquelles certains vont se rencontrer pour parfois se lier, parfois juste se croiser.
Orna la journaliste de 45 ans qui pour des raisons de confort est rédac adjoint d'un site d'infos en continu ; Sélene, sa soeur, prof d'économie environnementale qui hésite à accepter un poste à Dubaï ; Hope qui refuse de se plier au système et concocte un plan pour réveiller les consciences ; Modé retraité d'une assoc d'aide aux migrants qui trouve dans la poésie un sens à sa vie, Pavel, psy quinqua qui espère que la sortie de son livre sur la colère va lui redonner envie de son boulot et Mehdi, jeune de banlieue dont la colère lui fait envisager un voyage en Syrie…
Tous s'interrogent sur leur vie, leurs choix, leurs renoncements, leurs compromissions. Tous ressassent…
Les dialogues sont très peu présents et quand ils le sont, la mise en page n'est pas spécifique ce qui fait qu'on se perd parfois dans les échanges. Ce sont donc surtout des monologues intérieurs qui nous permettent de cerner les questionnements continuels des personnages tournés beaucoup autour de leurs illusions perdues, leurs conjectures quand ils sont avec d'autres personnages…
Il est intéressant de remarquer que l'auteure s'est efforcée de faire penser les personnages selon leurs activités, un langage qui leur soit propre. Ainsi Pavel pense « psy », fait part de ses réflexions sur ses patients mais aussi livre sa propre introspection notamment dans ses relations avec la fille… Sélene analyse ses choix, ses dilemmes selon des schémas plus « mathématiques »…
J'aurais pu adhérer complétement à ce roman car les personnages d'Orna, de Modé, le Don Quichotte poète par exemple m'ont beaucoup touchés. Je pense qu'ils sont le coeur du récit.
J'ai bien aimé aussi les liens qui se tissent entre les six narrateurs et des personnages secondaires qui apparaissent de façon fugitive, qu'on pense retrouver plus loin dans le récit et puis..
Les thèmes abordés aussi m'ont interpelée : que sont devenus nos idéaux de jeunesse à la maturité ? Quelle attitude adoptons-nous face aux plus démunis croisés au coin d'une rue ? Sommes-nous cohérent entre notre prise de conscience d'une prédation des ressources de la planète et notre refus d'abandonner notre confort ??? le tourisme de masse ou la disneylandisation du monde …
Pourtant, je reste dubitative.
Si les thèmes abordés m'ont parlé, si j'ai trouvé des parties carrément brillantes, je suis restée incrédule face à certaines propositions de l'auteure à la fin.
Je ne voudrais pas spolier mais comment gober une seule seconde « le plan » de Hope ? C'est tellement anachronique !!!
Comment ne pas être contrariée par la dernière partie consacrée à Sélene. Déjà que des passages la concernant m'avaient paru bien longs, sa découverte (allez je le dis !!!! ) d'un environnement naturel à quelques heures de Paris, dans lequel elle s'égare (Mon Dieu ! elle n'a pas de réseau et donc pas de GPS) sans rien à boire, ni à manger (Ben oui, dans son sac à dos elle a emmené des livres !) qui a peur quand elle croise une vache !!!! Non, non ! Ca ne passe pas quand pendant des pages et des pages le personnage se désole, s'indigne du manque de prise de conscience de ses concitoyens face à l'urgence climatique, de son manque d'empathie à l'endroit de l'environnement…
Que s'est-il passé ? L'auteure ne savait pas comment achever son roman ? J'ai comme un sentiment de gâchis pour un roman qui aurait pu être marquant. Dommage !
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Il faut avoir une bonne dose de courage pour envisager de poser sur les tables des librairies un beau pavé de 835 pages, à l'heure où les individus peinent à se concentrer, zappent toute la journée. Au risque de décourager certains critiques littéraires, mais heureusement pas les vrais. Il faut avoir du courage mais aussi une sacrée ambition pour construire ce fantastique roman choral et y enfermer quelque chose de l'air du temps, comme dans une bouteille destinée à traverser les décennies pour peut-être témoigner un jour de ce que furent les années 2015 et 2016, dans la France d'après-les-attentats. Ce que nous livre Céline Curiol est certainement le résultat d'un travail phénoménal ; je m'y suis glissée avec curiosité et j'ai apprécié l'intelligence du propos, la densité de l'ensemble, la profondeur des personnages qui reflètent chacun avec son histoire, une bonne part des questionnements contemporains. C'est passionnant.

Ils sont six. Six personnages que nous allons suivre à tour de rôle au cours de 4 journées, une par saison, le temps d'une révolution de la terre autour du soleil. Orna est responsable des contenus pour le site web d'un media, Sélène est prof et chercheuse en sciences de l'environnement, Hope a vingt ans et plus beaucoup d'illusions, Modé est au seuil de la retraite, Pavel est psychologue et Mehdi traine son ennui dans sa cité. Entre eux, les liens existent déjà ou vont se tisser au fil du récit, de façon plus ou moins proche, plus ou moins dramatique, mais suffisamment pour que l'on sente qu'ils font bien partie de la même communauté : celle des humains. Un septième personnage traverse toutes les pages : le vingtième arrondissement de Paris, et surtout le quartier de Belleville. Ce n'est pas anodin, cet espace est un melting-pot, à la fois repaire de "bobos" et campement pour sans abris. Cette confrontation est autant élément de contexte que représentative des situations des protagonistes en proie à des questionnements existentiels. Comment être au monde de façon juste ? Comment s'assurer d'être en phase avec ses aspirations profondes lorsque la vie est passée avec toutes ses injonctions contradictoires ? Comment reprendre le contrôle sur sa vie ?

Les lois de l'ascension est un roman qui s'inscrit dans le temps long en creusant les états d'esprit, les pensées, les états d'âmes et les failles de chaque protagoniste avec une impressionnante justesse. En s'interrogeant sur ce qui relie les hommes sans occulter les obstacles à commencer par les propres contradictions d'un même individu. En proposant une sorte de synthèse documentée sur ce qui compose notre société et ce que cela implique pour chacun. La dimension politique est prégnante, les questions clés autour de l'environnement, du travail, de l'insécurité, de l'accueil des réfugiés constituent la toile de fond sur laquelle se débattent Orna et sa recherche d'équilibre, Sélène et sa quête d'authenticité, Hope et sa quête de sens, Modé et ses aspirations à la poésie, Pavel et son désir de réconciliation, Mehdi et sa colère. L'auteure règle parfois la focale sur les corps, la façon dont ils habitent ou conquièrent leur espace, se cherchent, s'effleurent, s'évitent. La violence sous-tend le récit, celle des rapports sociaux, des conditions de travail, celle du rejet de l'autre. Et l'ensemble est une photographie assez saisissante de ce que nous sommes, dans toutes nos ambivalences.

J'ai pris mon temps. Ce roman n'est pas de ceux qui se lisent dans le métro ou entre deux rendez-vous, il nécessite de l'attention. Mais l'immersion est fascinante et la récompense est immédiate. L'intelligence se cache à chaque coin de page, mon paquet de post-it y est passé. Il y a matière à écrire une thèse sur ce livre, ce qui n'est pas l'objet de ce billet. Non, l'idée est simplement de dire que ce roman est impressionnant et qu'il vaut tout le temps qu'on lui consacre.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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Les lois de l'ascension est un roman polyphonique mettant en scène six personnages, trois femmes et trois hommes dans un quartier de Belleville. Au cours de ces quatre saisons de 2015, chacun verra sa trajectoire individuelle percutée par les aléas de la société. Orna, la journaliste et Sélène, l'enseignante sont soeurs mais les autres personnages ne se connaissent pas ou peu. Et pourtant, ils vont se rencontrer et influer sur la trajectoire des autres.
Tout commence un soir. Orna, rédactrice en chef adjointe dans une rédaction web d'une grande chaîne de télévision, rentre chez elle après huit heures de boulot intensives. Elle est démotivée par ce genre de travail qui préfère l'audience à la qualité de l'information.
« le métier de journaliste a changé, elle le sait; la mise en scène et la diffusion ont pris le pas sur la recherche d'informations. »
Devant la porte de son immeuble gît un corps inerte enveloppé dans une espèce d'édredon déchiré. Est-il mort? Ivre? Doit-elle appeler les pompiers, lui porter secours, le faire monter chez elle? Elle ne fait rien. Mais le regrettera.
Sa soeur, Sélène, l'appelle de Dubaï. L'enseignante en gestion de l'environnement n'aime pas cette ville où les riches gaspillent et exploitent les travailleurs immigrés.
« Cette ville représentait l'enfermement de l'homme dans la certitude qu'il était maître absolu et pouvait se passer de la nature pour vivre. »
Mais elle y postule pour un poste prestigieux à l'Université Murdoch. Brillante, elle est retenue pour le poste mais déclinera la proposition car son compagnon, un journaliste pour le New York Times refuse de mettre sa carrière en pause pour la suivre à Dubaï. Elle qui reprochait à sa soeur d'avoir sacrifié sa carrière pour sa vie personnelle, doit remettre ses ambitions sous une autre perspective.
Modé est sénégalais. Chaque matin, avant de se rendre à son travail dans une association pour réfugiés, il écrit quelques poèmes qu'il ne relit jamais. Ce matin-là, il ne se doute pas que l'heure de la pré-retraite a sonné. Que va-t-il faire de ses journées dorénavant?
« Il faut l'empathie, ce ciment précieux de toute congrégation humaine, cette empathie que capitalisme et technologies mettent en conserve aujourd'hui à des fins d'exploitation. Et finiront par l'épuiser comme la plupart des ressources! »
En ce dernier jour, il croise Orna, venue à l'Association pour tenter de retrouver l'homme qui gisait sur le palier de son immeuble.
Pavel est psychanaliste. Divorcé et père de Léa, une jeune fille qui passe son baccalauréat, il arrive en retard au bureau pour la première fois de sa vie. Orna, suite à ses problèmes de couple, d'infertilité et de non -reconnaissance par son père, fut autrefois sa cliente. Entre sa solitude amoureuse, la parution de son livre et sa riche clientèle exigeante, Pavel peine à trouver sens à sa vie.
Hope a arrêté ses études à Sciences Po pour travailler dans un entrepôt près d'Orléans. La jeune femme veut se soustraire à la corruption des privilèges, elle refuse le système d'éducation pour vivre sans compromission, sans ambition.
« En France, on gueulait pour défendre ses privilèges mais non l'idéal d'une vie meilleure, où meilleure ne signifierait pas « plus confortable » mais « plus intègre »! »
Mais licenciée, sa survie financière devient trop impérative pour être libre. Elle retourne vivre chez sa mère à Paris et suite à une tentative de suicide, elle prend rendez-vous chez Pavel, sur les conseils d'Orna. Elle veut s'incarner dans un acte politiquement militant.
Plus brièvement, nous croisons Mehdi, le fils de la femme de ménage de Pavel. Il vit dans un quartier défavorisé, s'exprime dans un langage familier de jeunes de la rue. Désoeuvré, il aurait besoin d'une figure paternelle. A défaut, il se tourne vers l'intégrisme. Pavel aurait dû le rencontrer mais son emploi du temps ne lui a pas permis d'honorer la promesse faite à sa femme de ménage.

Scientifique et littéraire, Céline Curiol construit un roman passionnant où l'intime se mêle aux problématiques du monde actuel. Monde du travail, relation hommes-femmes, couple, environnement, terrorisme, racisme, déterminisme, sont autant de problématiques abordées au sein d'un récit intelligent et sensible de la vie des ces six personnages. le nombre de pages peut impressionner mais nous vivons chaque pensée intime, chaque mouvement des six personnages. Sans jamais pour moi être fastidieux grâce à une fluidité naturelle et une capacité à dynamiser la narration.
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Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
SELENE
Au lieu de songer à ce qu’elle devrait être en train de faire, elle pourrait profiter de sa paralysie temporaire pour se remémorer des souvenirs heureux entre Porter et elle afin d’être dans des dispositions plus favorables lorsqu’elle le rejoindra. Que soient ressuscités ces temps où chacun s’émerveillait de l’existence de l’autre, de sa disponibilité, de ses sinuosités de corps et de caractère qui semblaient coïncider avec les siennes, de la folle possibilité d’en orchestrer les coïncidences, du moins certaines expressions, des mots éclatants ! Ce qui lui revient en mémoire néanmoins se disloque : des bribes ou des flashs qui palpitent sans vraiment s’enchaîner aussi évanescents que l’émotion. Un rendez-vous surprise à la gare de Bercy – mais où allaient-ils ; une marche main dans la main sur la rive – mais de quel cours d’eau ; un petit-déjeuner faramineux sur une terrasse ensoleillée – mais de quelle lointaine ville ; une soirée d’anniversaire dans un relais et château – mais de qui ; une bataille de boue sur les berges d’une île – mais en quelle année ; une intense session de baise sur canapé, jets d’habites et emportements labiaux comme plus jamais il n’en éclate entre eux.
Quelques tirades en vrac : des poignantes et des discordante, des mensongères et des sans pitié, des ingrates, des ferventes, des éternelles. Surtout c’est son regard, celui d’alors, celui qui lui inondait l’âme par effraction, c’est ce regard dont elle conserve la trace intacte, l’empreinte à vif, comme s’il ne fallait jamais l’oublier pour qu’il eût existé.
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ORNA

C’est l’odeur de nourriture qui la force à se retourner, celle de petits fours chauds posés sur une table à nappe blanche, à quelques pas, au moment où un garçon s’approche d’elle avec un plateau chargé de coupes de champagne. Elle refuse d’un geste vif, envahie par la certitude brutale qu’entre ce que ses yeux viennent d’absorber et ce liquide ç bulles, symbole de la bonne fortune, il n’existe pas de compatibilité. Et plus elle éprouve l’indécence de cette juxtaposition, plus le contraste malsain entre ces invités volubiles, réunis au nom d’une cause honorable, buvant et mangeant, et ces images du dénuement, du saccage arbitraire de la guerre, lui explose aux yeux. Ces gens, comme elles, sont bourrés de bonnes intentions comme on le serait de cachetons, et ne perçoivent plus leur arrogant privilège, celui de pouvoir prendre pour distraction la souffrance d’autrui. La scène résume ce qui, depuis des mois, ronge sa joie, accentue son mal-être, la sensation d’un écart grandissant entre la description médiatique des choses et les mêmes choses même, l’idée seule de ces choses, plus légère et volatile, en venant à gouverner le point de vue de chacun. C’était ce même écart vertigineux qui avait causé son insensibilité aux images du massacre de la Ghouta.

Douleurs et sévices montés en séries tournaient à la propagation d’une représentation macabre.
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MODE

Comment avait-il pu attendre ainsi, de jour en jour plus piégé par le cercle vicieux de la culpabilité et du doute ? Il avait attendu comme l’on attend que passe l’orage, les mains plaquées contre les oreilles pour dévier la foudre, l’esprit réfugié dans l’après déluge, quand les choses, rincées, épurées, brilleraient d’un nouvel éclat. Cet orage-là, pourtant était particulier. Il lessivait les certitudes et abattait les espoirs et ne cesserait qu’une fois foudroyée celle qui le défiait, debout au milieu des bourrasques, qui résistait encore après que tout lui eut été arraché. Jusqu’à ce qu’elle n’en puisse plus, se laisse emporter par le désespoir.

Quand Mously avait appelé, il regardait les images striées noir et blanc du petit poste du cousin. Et dès que sa mère l’eut dit, il pensa : elle n’avait qu’à pas tant m’aimer. Il ne le dit pas mais le pensa et le crut et refusa dès lors de savoir comment elle s’était suicidée, même lorsque Mously insista. Un petit coq arrogant, repu de l’amertume de toute sa mauvaise foi, qui devinait déjà qu’il ne pourrait jamais retourner, la tête haute, là où il était né. Le père d’Houria l’avait promis à Mously : si ton fils revient, je le tue. Même avec précautions, il serait repéré. Les voisins avaient prévenu sa mère : ils dénonceraient le criminel.
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HOPE

Elle s’approche du tas de grues dont la taille lui semble bien chétive. Les quelques centaines d’origamis sont loin de suffire à rendre ce qu’elle a imaginé. Un monceau de fragiles petites grues en papier accumulées dans l’angle d’une pièce. C’est une image qu’elle avait d’abord vue, peut-être en rêve, elle n’en est plus certaine, mais dès lors elle avait été saisie par l’envie de la matérialiser. Elle voulait faire en sorte qu’existe, quelque part, cette apparition. Ce fut cette seule envie qui la guida lorsqu’elle se mit à chercher sur internet des indications sur le pliage des origamis dont la fascinait la simplicité suggestive. Elle en rata beaucoup, au début, forcée de ralentir ses gestes avant d’acquérir plus d’agilité, forcée d’admettre que le moindre décalage, la moindre approximation sapaient toujours le résultat final, irrattrapable a posteriori.

Pourquoi s’était-elle lancée dans ce projet ? Se le demandant, elle en perdit l’envie, son incapacité à formuler une réponse claire à sa propre question lui donnant l’impression de s’être engagée dans une entreprise absurde. Plier des bouts de papier, quoi de plus dérisoire, de plus inutile, de plus infantile ; il lui fallut sitôt arrêter.
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HOPE
Je voudrais connaître des autres ce dont eux ne parlent jamais. Leur profession, leur vie de famille, leur emploi du temps m’indiffèrent. Je voudrais savoir en revanche non pas comment ils gagnent leur vie et en compagnie de qui, mais comment ils cohabitent avec les pensées tout à trac qui fusent et fusionnent en permanence dans leur esprit. Comment démêlent-ils le vrai du faux dans ce fatras de suppositions ? Ont-ils une méthode, un truc ? Suivent-ils une intuition, une logique, un avis ? Mais analyser ce processus semble révéler de ma part une curiosité incorrecte …Quand je pense pourtant à la labilité des critères que nous donnons pour évaluer notre réalité, j’en ai le vertige … Comme au théâtre, comme au cinéma, l’évènement marque quand il est porté au-devant de la scène. L’araignée tisse un cocon digestif autour de sa proie ; l’esprit isole l’acte inattendu ou inhabituel pour déployer, autour de lui, un réseau de significations dans l’espoir de l’admettre. Mais l’acte quel qu’il soit n’est que mouvement éphémère dans la succession des gesticulations du monde.
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0:16 Introduction 0:50 **Le Journal d'Olga et Sasha** d'Olga et Sasha Kurovska et Élisa Mignot 16:44 **Derrière la clôture verte** de Richard Glazar 21:35 **La Chine ou le réveil du guerrier économique** d'Ali Laïdi 28:13 **Earth for all/Terre pour tous. Nouveau rapport au Club de Rome** 32:20 **La Fabrique des animaux** avec Yann Arthus-Bertrand / L'Art faber 33:54 **Les 7 Cabanes** de Lionel Astruc 35:58 **Paysans et citoyens. Enquête sur les nouveaux liens à la terre** de Véronique Duval 39:20 **Invasives, ou l'Épreuve d'une réserve naturelle** de Céline Curiol 45:00 **Le vivant et la révolution. Réinventer la conservation de la nature par-delà le capitalisme** de Bram Büscher et Robert Fletcher 47:52 Cahier militant **Refaire le monde avec Jane Goodall** 49:50 **Naviguer sur les sentiers du vent** d'Olivier le Carrer 57:25 **Énergie ! Comment sortir du labyrinthe de la fatigue** du Dr Anne Fleck
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