Proust Océan

Les preux ne sont pas pour moi les chevaliers à armure et panache, mais les artistes, d'apparents faibles en réalité plus solides que des statues tout le temps qu'ils s'emploient à réaliser leur idéal, puisqu'en somme c'est un objet immatériellement solide qu'ils créent, et ils le font avec courage, ayant pour cela renoncé à la vie.

Les gens heureux et à qui le succès arrive tout de suite ne racontent pas d'histoires, ou alors elles sont lassantes.

(...) tout lecteur d'un grand livre est une enveloppe qui, se remplissant de sa substance, lui donne vie et se modifie avec elle (...)

Dans ce milieu où l'on trouve volontiers un dessert divin, on se contente de trouver volontiers un dessert divin, on se contente de dire d'un grand artiste qu'il est amusant. Cette modestie-ci procède bien sûr du complexe de supériorité.

Plus que cela, à mon avis, ce qui est en jeu dans la gêne, le dégoût, la haine des homonymes, c’est la crainte que ceux qui les portent soient moins bien que nous et entachent notre bonne renommée, pire encore, qu’ils soient mieux.

Proust a une conception médiévale du nom. La personne est le lieu. En revanche, le lieu n’est pas une personne.

Nommer c’est faire vivre. Nommer c’est aimer. L’innommable c’est le réprouvé. L’innommé c’est l’inexistant. Proust le sait bien, en tant que descendant par son père de bourgeois lentement arrivés à la lumière, remontant consciencieusement du Moyen Âge où ses ancêtres inconnus devaient n’avoir pour nom que Jehanne ou Colin (comme la bonne Françoise n’est que Françoise), et en tant que descendant par sa mère de Juifs si longtemps privés de nom propre.

Il a souhaité être écrivain, décidé de l’être, renoncé, regretté d’avoir renoncé, caressé ce vieux chat obèse sur ses genoux qui ronronnait et plantait méthodiquement ses griffes dans ses cuisses et, s’il a perdu autant de temps à rêver, c’est qu’il courait après le sujet, cela dès le premier volume, à l’adolescence : « Et ces rêves m’avertissaient que puisque je voulais un jour être un écrivain, il était temps de savoir ce que je comptais écrire » (Swann). Il ne savait pas encore que l’important consiste à trouver une forme.

L’humanité est une superposition de reflets. Avant de faire la connaissance d’Oriane de Guermantes, le Narrateur la concevait comme un personnage de tapisserie médiévale. Une fois qu’il la fréquente, il en voit la frivolité, les mesquineries, une certaine dureté.

Personne n’est tenu de se figer dans une posture où les tentations, confortées par un désir de lâcheté, nous installent. Tel Proust le mondain se sauvant en devenant moine.