Barthélémy est vraiment un grand bonhomme. Ce petit être furtif qui ressemble au naturel à un rat s'est complètement évadé de sa personnalité.
Gertrude s'approche de moi. Cette fille, faut que je vous affranchisse sur sa géographie une fois pour toutes. Laissez-moi d'abord vous dire qu'elle a des oranges sur l'étagère qui vous feraient traiter de touche-à-tout ! Ses yeux sont fendus en amande, leur couleur est indéfinissable. Mettons verdâtre et n'en parlons plus. Lorsqu'elle les pose sur vous, un grand malaise vous envahit. Vos doigts de pieds se recroquevillent comme des fleurs fanées et vous avez à la fois envie de la prendre dans vos fumerons et de lui filer une danse.
Ma clientèle vient entre huit heures et mdi, après il est trop tard. Su je n'étais pas bon médecin, il y a belle lurette que je n'aurais plus personne.
- Chagrin d'amour, comme dans les romans, doc ?
- Juste comme dans les romans, oui.
Il me plaît ce petit vieux. De le savoir poivrot, ça me met en confiance ; en général les soûlots sont des braves types.
- Vous buvez pour oublier ?
Il se sert un second verre auquel il fait faire le même voyage qu'au premier.
- Mais non, je bois pour me souvenir. Personne ne boit pour boublier. Ce qu'on demande à l'alcool, c'est de vous faire souvenir ; mais de vous faire souvenir gentiment, en technicolor, quoi, vous vouez ce que je veux dire ?
Je me relève et me mets à trotter comme un lapin dans la ruelle.
Je ne sais plus quel endoffé a écrit quelque part que les bords de la Saône, dans les environs de Lyon, dépassent en beauté les plus baths coins de l’Île-de-France. Il n’était pas plus crétin que ça, le mec en question, et y en avait autant dans sa pensarde que dans un tube de pâte dentifrice.
Cher docteur, pardonnez-moi de vous avoir entraîné involontairement dans une vilaine aventure ; heureusement, cela ne s’est pas trop mal terminé. Je vous demande un dernier service ; si un messager se présentait chez vous de ma part, dites-lui que, grâce à Gertrude, nous savons que le matériel V 10 a été expédié suivant la formule 2. Merci encore.
Le café de M. Stéphane, c’est plutôt une auberge perdue dans la banlieue coquette. Il y a de la verdure, des jeux de boules, des tonnelles, beaucoup de soleil et des poules qui picorent sous les tables de la salle commune.
Il est seul dans son bistro lorsque j’apparais. C’est un homme d’une cinquantaine d’années portant beau. Il a une bouille d’empereur romain. Remarquez que je n’ai jamais eu d’empereur romain dans mes relations et que je n’en ai jamais rencontré non plus chez mon buraliste habituel, mais je suppose qu’ils devaient avoir la physionomie de Stéphane, les empereurs romains.
Personne n’a jamais gagné la guerre avec un couteau, fût-ce un couteau à cran d’arrêt. Dans ma situation, cette lame m’est à peu près aussi utile qu’une boîte de bouillon Kub.
Quand je reviens à moi, j’entends plus le zonzon du moteur. Simplement y a un rossignol qui fait ses magnes dans un buisson voisin. Il s’égosille à dire que la vie est belle et qu’il va faire voler les plumes de sa rossignolette avant longtemps.