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Critique de rxsuro


rxsuro
20 décembre 2022
Impossible de faire un papier sur ce livre puissant, sur cette langue riche alternant langage soutenu, argot du bagnard, descriptions fabuleuses des choses, des paysages et des gens, ces phrases magnifiques sans taper dans le texte ! Georges Darien est un grand écrivain et son livre Biribi à ranger aux côtés du Voyage au bout de la nuit (Céline), des Raisins de la colère (Steinbeck), de Si c'est un homme (Primo Levi) de la peur (Gabriel Chevalier) entre autres références. Chant de misère, de colère et d'une haine cultivée, arrosée de sueur, de sévices, de tortures, de faim, de soif, d'envies suicidaires, de travaux forcés, d'angoisse, de coups (pieds, poings, nerfs de boeuf...), de soleil brulant de toutes les souffrances...par un être conscient et malheureux de la bêtise et de l'injustice criante de son temps.


Ce qu'il me faut, ce que je veux emporter d'ici, tout entière, terrible et me brûlant le coeur, c'est la haine ; la haine que je veux garder au dedans de moi, sous l'impassibilité de ma carcasse. Car la haine est forte et impitoyable; le temps ne l'émousse pas; elle ne transige point. Elle s'accroît avec les années ; chaque jour d'abjection l'augmente ; chaque heure d'indignation la féconde, chaque larme la fait plus saine, chaque grincement de dents plus implacable.


Tout au long de son oeuvre Georges Darien esprit humaniste éclairé va s'engager contre les bourgeois, les catholiques, les antisémites, les nationalistes revanchards, les colonialistes, les exploiteurs mais aussi les pauvres qu'il fustige de se laisser soumettre ! Ici il débite sa tranche de vie en petits dés pour dépeindre une vie qui pouvait basculer à tout moment dans une tombe et un oubli total.

C'est pour cela que nous devons secouer notre apathie et lire des livres de ce type, pour dire non !

Se taire, faire parti de, ne pas hésiter à passer dans le camp des bourreaux seule solution pour échapper à l'horreur d'un siècle, de la brutalité des armées qui donneront 14/18 puis 39/45.

Les trois années volées à Froissard l'avatar de Darien sont à placer sous le signe de l'injustice d'une époque où l'individu n'est rien, pire où l'individu qui revendique est voué à l'exclusion.

La conscription en 1872, se fait par tirage au sort les numéros les plus bas font un service de cinq ans, les autres d'un an seulement. En 1889, la durée du service est fixée pour tous à trois ans, les numéros servant désormais à déterminer l'arme d'affectation. Pour Froissard rien de tout ça puisqu'il s'engage en 1881 pour cinq ans poussé la violence familiale et la perpétuelle incompréhension d'ainés qui giflent brutalement avec des mots un adolescent qui se cherche.


Quand tu seras soldat, je te conseille, mon ami, de continuer à discuter avec ton insolence habituelle. Sais-tu ce qu'on te fera, si tu raisonnes, si tu es insolent ? hein ? le sais-tu ?

— Non, mon oncle.

— On te passera par les armes.

— On t'exécutera, dit ma tante.

— On te fusillera, dit ma cousine.

Et lui de rester de marbre

— Quand tu auras des galons, mon ami… Souviens-toi bien de ce que je vais te dire, grave-le dans ta mémoire.

— Oui, mon oncle.

— Quand tu auras des galons, ― sois sévère, mais juste.

Il ferme la porte.


Au XIXè siècle, le début de la conquête coloniale fait de l'Afrique du nord une nouvelle zone de relégation. L'armée française y implante des bagnes militaires qui lui permettent de se débarrasser de ses "mauvais sujets". le parcours est simple les mauvaises personnes où jeunes gens n'ayant pas grand chose à se reprocher mais aussi des "communards" tout ce qui peut gêner une société bourgeoise qui se sert d'une armée pourrie jusqu'à la moëlle, d'une dureté, d'une injustice invraisemblable (point d'orgue la guerre de 14 où des millions de pauvres bougres seront précipités dans des cercueils tranchées) sont exclus, rejetés en Afrique du Nord dans les Bat'd'Af (Bataillons d'infanterie légère d'Afrique). L'armée française refoule donc les mauvaises têtes dans ce vaste archipel pénitentiaire, éparpillé en chantiers ou camps itinérants intimement liés à l'avancée de la colonisation. Froissard/Darien commence en France mais s'ennuie tellement qu'il faute : c'est les Bat'd'Af puis trop de punitions par insoumission dans son régiment lui valent trois ans en bataillon disciplinaire après un conseil de corps expéditif en forme de double peine. "Fatalitas" nous crie Chéri Bibi depuis Cayenne : c'est BIRIBI !


Or, la discipline ― on l'a dit ― la discipline, c'est la peur. Il faut que le soldat ait plus peur de ce qui est derrière lui que de ce qui est devant lui ; il faut qu'il ait plus peur du peloton d'exécution que de l'ennemi qu'il a à combattre.

C'est la peur. le soldat doit avoir peur de ses chefs. Il lui est défendu de rire lorsqu'il voit Matamore se démasquer et Tranche-Montagne se métamorphoser en Ramollot. Il lui est défendu de s'indigner quand il voit commettre ces vilenies ou ces injustices qui vous soulèvent le coeur. Il lui est défendu de parler et même de penser, ses chefs ayant seuls le droit de le faire et le faisant pour lui. Et s'il rit, s'il s'indigne, s'il parle, s'il pense, s'il n'a pas peur, alors malheur à lui ! C'est un indiscipliné : disciplinons-le ! c'est un insurgé : matons-le ! Donnons un exemple aux autres ! ― Au bagne ! ― À Biribi !


Ces camps de travaux forcés sont le refuge des corrompus de tous grade, de cheffaillon sordides qui n'attendent que ça pour devenir des tortionnaires. Il y règne une injustice révoltante à laquelle certains forçats répondent par la haine en cultivant une vengeance improbable. Lutte du pot de terre contre le pot de fer. Nombreux seront les morts, les brisés, les récupérés...pas Froissard !


Torture :

— Et on les a supprimés, ces silos ?

— Oui, il y a un mois environ. On y avait mis un type auquel on avait attaché les mains derrière le dos. Il y est resté près de quinze jours. À midi et le soir on lui jetait, comme d'habitude son bidon d'eau qui se vidait en route et son quart de pain qu'il attrapait comme il pouvait. Je me souviens que, pendant les cinq ou six derniers jours, il criait constamment pour qu'on le fît sortir. Enfin, quand on l'a retiré, il était à moitié mangé par les vers.

— Oui, mangé par les vers, reprend le perruquier qui a fini de me couper les cheveux et remue un vieux blaireau dans un quart de fer blanc. Tu comprends bien qu'ayant les mains attachées derrière le dos, il ne pouvait pas se déculotter. Il était forcé de faire ses besoins dans son pantalon. À force, les excréments ont engendré des vers et les vers se sont mis à lui manger la chair. Il avait le bassin et le bas-ventre à moitié dévorés. On l'a porté à l'hôpital et il est mort huit jours après. le médecin en chef a fait du pétard et a réclamé au ministère. Alors, on a supprimé les silos.


Le visage du forçat :

Prey est bien un fou, un pauvre fou. Aucune proportion entre les lignes de cette face bestiale qui porte tatoué : «Pas de chance» sur le front où descendent des cheveux hérissés ; le maxillaire inférieur avançant sur le supérieur et laissant entrevoir la pointe acérée des canines; les yeux injectés de sang. On sent que, chez cet être au cerveau déséquilibré, la conscience n'existe pas. On sent que, dans sa naïveté cynique, il n'hésiterait pas à se servir, pour étendre du fromage sur son pain, du lingre à la virole (petit couteau type opinel) encore rouge avec lequel il aurait suriné, la veille, un pante (bourgeois) au coin d'une borne. Un de ces prédestinés des fins lugubres, poussés vers le crime par une fatalité inéluctable, et sur le berceau desquels le couperet sinistre de la guillotine a projeté son ombre triangulaire. Je connais peu de sa vie. le peu qu'il en sait lui-même et qu'il m'a raconté en riant, d'un air triste, avec des expressions baroques, magnifiques et atroces, qui font couler dans le dos le froid d'une lame de couteau et qui jettent parfois comme un rayon d'or sur des remuements de boue : le père au bagne, la mère indigne, la maison de correction à treize ans... Toute l'épopée lamentable d'un de ces parias dans la pauvre âme desquels la société ne sait pas voir et dont elle jette un jour le cadavre, la bourgeoise jouisseuse, dans le panier sanglant du bourreau.


Beauté d'une phrase cryptique, d'une description

Mon rêve a glissé sur le pavé gras dont la pente mène à l'égout, et s'en va à vau-l'eau, maintenant, roulé par les flots sales de ce fleuve qui coule, bête et jaune, dans les brumes grises, et dont le courant se partage, au tranchant des piles du pont, sans un bruissement, sans un bruit, sans une écume.

Les maisons aux hautes façades pâles, aux fenêtres mornes, les longues avenues au sol cendré et froid où tremblotent les squelettes ridicules des arbres violets, le ciel blafard et décoloré comme une vieille bâche, les silhouettes vilaines des édifices mangés par les vapeurs caligineuses que piquent déjà les points jaunes des becs de gaz, les taches noires et frissonnantes des passants qui glissent vite, silencieusement..


Peur

Ce n'est que par la peur que le système militaire a pu s'établir. Ce n'est que par la peur qu'il se maintient. Il doit peser sur les imaginations par la terreur, comme il doit remplir d'obscurité l'âme des peuples pour les empêcher de voir au delà de l'horizon stupide des frontières.


Stupidité de l'armée :

Aucune de ces phrases : « Au commandement, Haut pistolet ! ― La baguette en avant ― Les rênes passées sur l'encolure » ne font bondir votre coeur dans votre poitrine, m'a dit l'autre jour le capitaine-instructeur.

Malheureusement, on est assez porté, dans l'armée, à juger de l'intelligence d'un homme d'après le degré de luisant et de poli qu'il est capable de donner à un bout de fer ou à un morceau de cuir.
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