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Critiques filtrées sur 3 étoiles  
Les éditions Gallimard ont réalisé l'adaptation française d'une série d'essais sur le monde anglo-saxon du livre, publiés en 2009 par Robert Darnton. Son ambition est de défendre le savoir des livres contre les dérives technologiques et commerciales, avec le souci d'objectivité historique et scientifique.

L'auteur, spécialiste du Siècle des Lumières, est historien de la culture et du livre. Il est concerné par les aspects les plus urgents de la question numérique. Si son propos est centré sur la numérisation des publications en recherche universitaire(1), toutes ses analyses concernent de près ou de loin l'avenir des livres en général, qu'il soumet à une lecture intelligente du passé.

Étudier l'histoire du livre a souvent consisté à se préoccuper de ses formes matérielles et des types de lecture au cours des siècles. Darnton propose plutôt de se tourner vers les gens du livre et d'analyser leur comportement. En sondant le matériau historique, en explorant les gestes et motivations des éditeurs, typographes et imprimeurs, correcteurs et commis voyageurs, on s'aperçoit que les textes étaient aussi peu stables qu'ils ne le sont aujourd'hui avec l'avènement d'Internet. Grâce à des travaux passionnants, il a été possible de déterminer les habitudes de tel compositeur d'imprimerie qui n'avait aucun scrupule à prendre des libertés avec un texte, suivant son ressenti, allant jusqu'à omettre des chapitres. Ainsi, les oeuvres de Shakespeare ont été si peu respectées que la recherche des textes originaux est d'une rare complexité pour les bibliographes.

À cela s'ajoute le piratage: il était courant que les pays voisins de la France, la Hollande et la Suisse surtout, publient des livres d'auteurs français en toute liberté. "Le piratage était si répandu au début de l'époque moderne en Europe que les meilleures ventes ne pouvaient connaître de grands succès de librairie comme c'est le cas aujourd'hui." le copyright ne vit le jour qu'au 18è siècle en Angleterre, au 19è en France. le troc – maximaliser la diversité – entre éditeurs était monnaie courante et le talent en cette matière déterminait souvent la réussite d'un éditeur.

On aurait donc tort de croire à la sereine stabilité de l'édition littéraire avant l'ère de la digitalisation, car les processus de transmission modifiaient les textes eux-mêmes. Et de conclure : "À l'heure des systèmes de communication de toutes sortes, Internet y compris, où les textes numérisés sont détachés de leurs ancrages dans des livres imprimés et où les courriers électroniques laissent des traces qui peuvent facilement disparaître, le problème de la stabilité du texte conduit à la question plus générale du rôle des bibliothèques universitaires à l'heure d'internet."

Au 18è siècle, celui des Lumières, la foi dans la puissance du savoir et dans le monde des idées fit naître ce que les esprits éclairés nommaient la République des lettres, territoire sans police ni frontières, et sans inégalités autres que celles des talents. le projet Google de numérisation de tous les livres(2) semble répondre à cet idéal : l'ennui est que, devançant toute initiative publique, Google obtient des droits solides, négociés avec les propriétaires de copyright, qui transposent le savoir dans le domaine privé. Il s'agit d'une entreprise qui, par nature, est basée sur le profit et il conviendrait de fixer à ces numérisateurs des devoirs envers le public. "Il serait naïf d'identifier la Toile au Lumières. Elle représente un potentiel de diffusion du savoir qui excède largement tout ce que Jefferson avait pu imaginer. Mais pendant qu'Internet se construit pas à pas, hyperlien par hyperlien, les entreprises commerciales ne sont pas restées inertes sur le banc de touche. Elles veulent contrôler le jeu, s'en emparer, le posséder. Leur combat pour la survie risque de donner naissance à un oligopole au pouvoir démesuré et, quel que soit le vainqueur, sa victoire pourrait signifier une défaite pour le bien public(3)."

Darnton n'est pas convaincu par la fiabilité de la digitalisation. L'obsolescence des supports lui fait craindre pour la permanence de l'information. Peut-on lui donner tort ? Quelle certitude avons-nous de la permanence des bits et des moyens mis en oeuvre pour l'assurer ? Qu'en est-il des politiques de préservation du patrimoine numérique ?

Darnton met en garde contre la destruction, en bibliothèque, des livres imprimés sous prétexte qu'ils sont numérisés ou microfilmés. Dans ce dernier cas, il est apparu que les microfilms n'étaient pas fiables, se dégradaient et devenaient illisibles, sans parler des omissions à la reproduction. de plus, les discours sur la dégradation du papier sont faussement alarmistes, le papier tient mieux qu'on ne le dit. Mais prend de la place et l'espace de stockage coûte cher. Avant de détruire les textes imprimés, est-on sûr de la pérennité du nouveau support ? "...les bibliothécaires ont préféré dépenser de grosses sommes pour se plier à l'orthodoxie de leur profession : microfilmer et jeter. Quel a été le coût de cette politique ? Baker estime que les bibliothèques américaines se sont débarrassées de 975,000 livres pour une valeur de 39 millions de dollars. La dimension économique de toute l'affaire semble aussi loufoque que sa dimension scientifique."

Qui dit que nos ebooks, au format public ou obligé de votre modèle de liseuse, seront lisibles dans cinquante ans. Faudra-t-il les convertir aux standards de l'époque ? Nos enfants en auront-ils la volonté ? Sans certitude, on ne sait rien de la valeur réelle d'une bibliothèque numérique dont le prix avoisine toujours celui des oeuvres brochées et imprimées.

Telles sont quelques lignes directrices de cet essai. Sans être concerné par l'édition universitaire, le lecteur y fera des découvertes surprenantes et y repèrera maints sujets de réflexion à propos de ce cher codex, dans tous ses états passés ou à venir.

(1) Il a dirigé le projet Gutenberg-e qui entreprend de développer l'édition numérique de thèses de recherche au sein du projet AHA (American Historical Association). Les presses universitaires sont devenues très coûteuses et incapables de faire face à tous les travaux des jeunes chercheurs en quête de reconnaissance et de nomination: le numérique peut apporter des solutions.

(2) La plus grande bibliothèque et librairie de l'histoire: 20 millions de livres numérisés de 2004 à 2012

(3) Voir aussi Le Monde Diplomatique.

Lien : http://marque-pages.over-blo..
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L'avenir du livre et des bibliothèques à l'ère du numérique, vu par Robert Darnton, historien du Livre et Directeur de la Harvard University Library. Une apologie à l'américaine...
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Apologie du livre est le recueil de plusieurs articles écrits par Robert Darnton (historien du livre, directeur de la bibliothèque universitaire d'Harvard et ancien président de l'American Historical Association) avant, pendant et immédiatement après le lancement de Google Recherche de Livres et les différends juridiques qui s'en sont suivis aux États-Unis (notamment le Google Settlement auquel il fut partie prenante).
Le lecteur français familier des bibliothèques y apprendra beaucoup sur la gestion passée et actuelle des bibliothèques américaines et des institutions les plus prestigieuses (NYPL, fondations diverses).
Le lecteur non familier de l'histoire du livre y trouvera un résumé des travaux de R. Darnton.

Enfin, le lecteur curieux de l'internet et de son avenir aura le point de vue toujours argumenté, parfois pessimiste mais souvent optimiste et quelquefois visionnaire, d'un grand intellectuel sur la réalité des changements de paradigme dans l'appréhension de la lecture introduites par ces écrans qui désormais nous entourent.
Même si ce n'est pas en entier, un livre à recommander à tous ceux qui aiment la lecture et se préoccupent de son avenir.
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Un essai intéressant car il nous confronte à notre quotidien de lecteur, en faisant référence aux pratiques passées, tout en ouvrant les possibilités que laisse présager le livre numérique. Très critique envers le projet de numérisation de Google, il nous confronte également à notre impuissance face à des décisions prises en hauts lieux (où les enjeux économiques ont plus de poids que les recommandations des spécialistes du livre). J'ai trouvé cette lecture intéressante sur bien des points même si je déplore l'aspect « mémoire de fin d'études » qui s'en dégage, le style étant très académique et lourd, avec un pan théorique légèrement soporifique.
Lien : http://carnetdelecture.skyne..
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Ouvrage intéressant par la relativisation de phénomènes qui nous semblent inédits, mais qui d'une certaine façon ont déjà été vécus dans un lointain passé, en l'occurrence à la Renaissance avec les débuts de l'imprimerie. Cette invention (l'imprimerie) fut perçue par certains "intellectuels" du temps comme un dévoiement de l'écriture, car le livre pouvait se multiplier comme jamais et de plus n'importe qui n'ayant aucune qualité littéraire, pourvu qu'il ait quelque argent, avait la possibilité de s'offrir la publication de ses pensées, de sa vie et autres.
Cela n'est pas sans faire écho aux prédictions de Cassandres qui annoncent la fin de la littérature.
Pour les amateurs de mise à distance des événements présents par leurs équivalents dans l'histoire, je vous renvoie à l'émission de Jean-Noël Janneney : concordance des temps, sur France-Culture.
Par contre l'aspect prospective de ce livre est déjà un peu défraîchi, et pourtant il a été publié en 2011. Mais la créativité et les innovations sur la toile sont tellement nombreuses et rapides, que ce qui apparaissait comme promis à un grand avenir, il y a à peine six mois, n'est plus qu'un accessoire démodé.
Pour conclure, ce livre est paradoxalement à la fois d'actualité et périmé; mais vaut tout de même le coup d'être lu pour nourrir notre réflexion sur ce qui est en train de se jouer.
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