Jim ne croyait pas aux fantômes. Ce n’était qu’une superstition qui permettait aux imbéciles de remplir le vide de leur existence. Du moins, c’était son point de vue. Mais il n’avait pas d’autre référence que les canards de supermarché, et ne croyait pas que Niki soit idiote. Elle n’avait pas vu un spectre, mais elle avait bel et bien aperçu quelque chose qui l’avait terrifiée. Et il sentait aussi qu’elle était seule, seule face à ce qui l’épouvantait, quoi que ce puisse être.
Contrairement à son frère, il n’avait jamais vraiment pu admettre l’existence des esprits bienveillants de la terre. Le manitou, les mystères mineurs. Mais il n’avait jamais cessé de croire au mal qui s’infiltrait partout, chez les gens, dans certains endroits. Et même dans les âmes… Et comment pouvait-on bien apaiser une âme errante ?
Un genre de justice poétique : pour un violeur, on lui ferait tomber son outil, un pickpocket se choperait de l’arthrose…
Pour lui, les silences de la vieille dame valaient tous les discours.
Il croyait sincèrement que, si ceux de son peuple voulaient se bâtir un avenir digne de ce nom, il leur fallait se faire une place dans la société des blancs ; avoir leur mot à dire dans l’organisation et les lois de leur monde tout en conservant leurs propres traditions. Et était-ce sa faute si la femme qui l’avait séduit était blanche ? Tant qu’Angie et lui s’aimaient, qu’importait la couleur de sa peau ?
Peu importe si elle devait en mourir. Il n’y avait plus place pour la peur en elle ; il ne restait que la soif de vengeance.
Il y a fuir et fuir. Il y a ce que tu dois affronter et ce que tu ne pourras jamais changer sous peine de souffrir encore plus.
Il n’est qu’une chose vide. Un souvenir désagréable. Le fruit de toutes ces années où j’ai eu si peur qu’il revienne.
Inutile de prétendre une fois de plus que tout était normal.
L’horreur, la souffrance, la misère étaient devenues la norme.
Où qu’on regarde, quoi qu’on fasse pour y échapper, quels que soient les mensonges dont on s’abreuve, l’injustice était là, au coin de la rue, comme un cancer dévorant le cœur de la normalité.
C’était un rêve, un cauchemar, une hallucination, tout, mais pas la réalité, ce n’était pas possible.
Depuis le moment où deux bras avaient jailli du mur pour essayer de l’écraser, son esprit n’en finissait pas de nier, nier tout ce que ses sens lui disaient. Elle allait se réveiller dans son lit ou ailleurs, peu importe, car tout ça ne pouvait être la vérité vraie, oh non. Impensable. D’ailleurs, elle n’y pensait même pas.
Mais elle avait failli y rester — si on est tué en rêve, est-ce qu’on meurt pour de bon ? — elle serait morte si Niki n’avait pas arrêté cet homme, cette chose, ce mur animé, qui l’avait laissée tomber.