Calmement, sans se retourner, il me laisse à mon chagrin. Mais au lieu de pleurer, quand j'enfouis mon visage dans l'oreiller, je pousse un cri horrible, primal. Un cri dont je ne me serais pas crue capable. L'expression d'une rage que je n'avais jamais éprouvée auparavant.
L'amour est une chose naturelle. Même l’espèce humaine n'a plus rien de naturel. Nous sommes de pales copies mourantes. Quelle ironie, que cela finisse par ce simulacre de mariage.
Tout ce que j’ai trouvé pour me consoler, c’est me perdre dans le fantôme d’un monde qui n’existe plus.
Mes plus grandes peurs incluent toujours des cachots ; je n’imagine pas pire chose qu’être emprisonné à vie, surtout quand on sait le peu d’années qui nous reste.
Est-ce l’avenir d’épouse que l’on me réserve ? Une prison où l’on ne me laissera même pas la liberté de mourir ?
- Qu’offre donc le monde extérieur que vous ne puissiez avoir ici ?
- La liberté, Gabriel. Voilà ce qu’offre le monde extérieur, et qu’on me refuse ici
Il dit m'aimer, mais comment est-ce possible, alors que nous en savons si peu l’un sur l’autre ? J’admets qu’il est facile de succomber à l’illusion. Qu’être assise ici, face à cette pleine lune magnifique, dans la chaleur de son étreinte, ressemble à de l’amour. Un peu. Peut-être.
En grandissant, il assistera à maintes illusions. Il verra des tableaux prendre vie en musique, il verra pirouetter les maisons conçues par son père, il se baignera dans une piscine où évoluent des bancs de guppys et de requins blancs. Mais je doute qu’il sente un jour l’océan se briser sur ses
chevilles, qu’il tienne une canne à pêche, ou qu’il vive dans sa propre maison.
Nous revoici dans la fourgonnette des Ramasseurs, recroquevillées dans les ténèbres, désireuses de nous fondre dans l’illusoire sécurité du troupeau.
Qu’importe l’amour que lui porte sa mère ; l’amour ne suffit pas à nous maintenir en vie.