Ainsi nous ne voyons jamais le véritable état de notre position avant qu'il n'ait été rendu évident par des fortunes contraires, et nous n'apprécions nos jouissances qu'après que nous les avons perdues.
La solitude de l'esprit est la véritable solitude.
En peu de temps je commençais à lui parler et à lui apprendre à me parler. D'abord je lui fis savoir que son nom serait Vendredi; c'était le jour où je lui avais sauvé la vie, et je l'appelai ainsi en mémoire de ce jour.
" Si quelqu’un avait pu visiter ma grotte, à coup sûr elle lui aurait semblé un entrepôt général d’objets de nécessité. J’avais ainsi toutes choses si bien à ma main, que j’éprouvais un vrai plaisir à voir le bel ordre de mes effets, et surtout à me voir à la tête d’une si grande provision.
Ce fut seulement alors que je me mis à tenir un journal de mon occupation de chaque jour ; car dans les commencements, j’étais trop embarrassé de travaux et j’avais l’esprit dans un trop grand trouble ; mon journal n’eût été rempli que de choses attristantes."
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En 1632, je naquis à York, d'une bonne famille, mais qui n'était point de ce pays. Mon père, originaire de Brême, établi premièrement à Hull, après avoir acquis de l'aisance et s'être retiré du commerce, était venu résider à York, où il s'était allié, par ma mère, à la famille Robinson, une des meilleures de la province. C'est à cette alliance que je devais mon double nom de Robinson-Kreutznaer; mais, aujourd'hui, par une corruption de mots assez commune en Angleterre, on nous nomme, nous nous nommons et signons Crusoé. C'est ainsi que mes compagnons m'ont toujours appelé.
En un mot, la nature des choses, et l’expérience même, me convainquirent, après de justes réflexions, qu’en ce monde-ci les choses ne sont bonnes, par rapport à nous, que suivant l’usage que nous en faisons, et que nous n’en jouissons qu’autant que nous nous en servons, à la réserve néanmoins de ce que l’on peut amasser en temps et lieu pour exercer la libéralité envers les autres.
Tout nos tourments sur ce qui nous manque me semblent procéder du défaut de gratitude pour ce que nous avons.
D'où j'ai depuis souvent pris occasion d'observer combien est sotte et inconséquente la conduite ordinaire des hommes et surtout de la jeunesse, à l'égard de cette raison qui devrait les guider en pareils cas : qu'ils n'ont pas honte de pécher, mais qu'ils l'ont de se repentir, qu'ils ne sont pas honteux de l'action qui devrait, à bon droit, les faire passer pour insensés, mais qu'ils le sont du retour, qui seul peut les faire honorer comme sages.
Il y a dans nos passions certaines sources secrètes qui, lorsqu'elles sont vivifiées par des objets présents ou absents, mais rendus présents à notre espritpar la puissance de notre imagination, entraînent notre âme avec tant d'impétuosité vers les objets de ses désirs, que la non-possession en devient vraiment insupportable.
« Je ne trouvais point de paroles assez énergiques pour exprimer le désir que j’avais d’en voir au moins un seul homme de sauvé, afin de trouver un compagnon unique du commerce duquel je pusse jouir dans ma solitude : je n’avais jamais tant langui après la société des hommes ni senti si vivement le malheur d'en être privé. »