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Critique de Kirzy


°°° Rentrée littéraire 2020 #9 °°°

Cela fait plus de vingt ans que Chloé Delaume publie sous diverses formes, autofictives souvent, expérimentales presque toujours. Avec Virginie Despentes, c'est sans doute une des auteures étiquetées «  féministes » que j'aime le plus à suivre tant sa pensée est vive, contemporaine, incisive avec ce qu'il faut de piquant et d'iconoclaste.

Le Coeur synthétique est sans doute son roman le plus accessible de Chloé Delaume, à la troisième personne cette fois même si on sent le « je » de l'auteure très présent, avec une histoire linéaire aisée à suivre. En fait ce roman est comme une suite romanesque de son manifeste féministe Mes biens chères soeurs ( 2019 ) qui théorisait brillamment le concept de sororité, une solidarité spécifiquement féminine, comme outil de puissance, comme alternative au patriarcat et promesse pour écrire un futur égalitaire.

Dans King Kong théorie, Virginie Despentes disait : « j'écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf ». Chloé Delaume, elle, écrit « de chez les ex-bonnasses, les suffisamment côtées sur le marché pour avoir reçu des appels d'offre et avoir eu le choix des options ».

Chloé Delaume a un réel talent à absorber la totalité des expériences féminines, déclinant en cinq personnages toutes les facettes de l'ex-bonnasse, des quadra cultivées et diplômée  ( mère ou nullipare, hétéro ou pas, célibataire ou en couple ) mais sans jamais que ces cinq nanas ne soient que des stéréotypes calquées sur une thèse qui tournerait à vide. Adelaïde, Hermeline, Clotilde, Judith, Bérangère sont tellement incarnées et éloignées du pensum artificiel qu'on s'attache à elle immédiatement, à commencer par le personnage principal dont on suit les mésaventures : Adelaïde, 46 ans, volontairement sans enfant, attachée presse, fraichement célibataire par choix mais obnubilée par l'idée de retrouver un homme et de se marier.

Ce qui est génial dans ce roman, c'est que si elle va de Charybde en Scylla dans sa quête de l'amour, c'est le ton tragi-comique subtilement trouvé par Chloé Delaume. Tout est terrible dans le constat qu'elle dresse de la date de péremption des femmes passées 40 ans, tout est cruel lorsque Adelaïde réalise qu'elle n'est qu'une « ex-bonnasse » devenue transparente et décôtée sur le marché de la drague, et pourtant tout est raconté avec un sens du burlesque absolument réjouissant. Comme dans une vraie comédie de moeurs, j'ai énormément ri lors des scènes au vitriol sur le milieu de l'édition parisienne ou lors de rencontres masculines désopilantes de tristesse.

Il faut dire que Chloé Delaume est une styliste et que son écriture est jubilatoire, faite de phrases courtes et incisives qui clinquent et claquent. le choix des mots et de leur agencement relève d'un équilibre d'orfèvre miniaturiste attaché à rendre chaque phrase à la fois autonome comme une petite histoire et rattaché à un grand tout qu'elle fait fonctionner. Brillant.

Mais jamais le propos ne se fait amer, aigre, rageux, ce qui est très fort vu la charge sociétale que l'auteure balance. Si les hommes sont peu reluisants dans ce roman, les femmes sont elles aussi pleines de failles et de défauts, Adelaïde notamment avec son épousite aigüe entre le risible et le pathétique. Chloé Delaume convainc car elle émeut profondément, son roman est vivant et vibre de tous ses pores d'une sincérité et d'une acuité rayonnantes.
Toute la démonstration du livre autour de la sororité formée par ses cinq amies culmine dans les dernières pages, superbes et emplies de douceurs. La sororité comme un cri de ralliement pour les années à venir, pour toutes les femmes et leurs alliés !

Coup de coeur sur ce roman réjouissant et vif, cruellement réaliste, terriblement contemporain, puissamment féministe.

Lu dans le cadre du Prix du Roman Fnac 2020
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