Adoré ce roman… jubilatoire, plein d'humour et d'auto-dérision alors que le sujet aborde une réalité sociale douloureuse… : la Solitude des Femmes…lorsqu'elles , comme notre anti-héroïne,Adélaïde, ne sont pas mariées, n'ont pas fondé de famille… qu'elles ont du mal à trouver « leur » place…et un véritable équilibre…Repenser un autre « Féminisme »… loin des anciens stéréotypes !
« Adélaïde consulte les statistiques. En France, 14 % des hommes en couple ont rencontré leur partenaire sur leur lieu de travail. 12 % d'une autre manière. 11 % dans une fête ou une soirée privée entre amis. 10 % sur leur lieu d'études. 10 % via un site ou une application de rencontre. 9 % dans un bar ou un restaurant. 7 % dans un bal, une fête publique. .............Adélaïde se demande ce que c'est, ces 12 % rencontrés d'une autre manière. Ce que ça laisse comme champ à part chez le boulanger ou peut-être le dealer. »
Un texte étonnant, percutant, mordant, caustique d'une presque quinqua…Adélaïde qui se sépare de son compagnon, Elias, au bout de quelques années… Libre, elle déchantera vite, constatant que la solitude la submerge violemment et frontalement !
Heureusement, Adélaïde est attachée de presse dans une maison d'édition, adore son métier, elle défend des livres, surtout des auteurs, les « chouchoute », les fait connaître… Ce qui nous vaut des morceaux savoureux sur le monde de l'édition et des parisiannismes…En sus de son métier très absorbant, Adélaïde a un groupe d'amies, fidèle...
Un style original, tonitruant, drôle et grinçant, à la fois, empreint aussi de tendresse et d'empathie pour le personnage central féminin, Adélaïde, pleine de vie et de vaillance, qui fonce, en dépit de ses doutes, de ses gros coups de bourdon, elle bouscule les chemins tout tracés , se bat pour se construire un équilibre personnel , une vie un tant soit peu harmonieuse, sans l'objectif obsessionnel qu'elle avait jusqu'alors du regard des hommes, des jeux de séduction ! !...
« Adélaïde adore Noël, mais hélas elle est orpheline. Elle n'a plus de couple, plus de famille, personne avec qui partager la dinde et ensuite ouvrir les cadeaux. Elle marche dans les rues et se dit : Mon coeur est un sac à sapin. (...) Pour la première fois de sa vie, elle n'a nulle part où se greffer. (...) C'est le 23 décembre, Adélaïde est seule et elle marche dans Paris pour faire semblant de vivre. (p. 83)”
Le style très efficace nous rend la solitude de la narratrice quasi palpable “physiquement” !!
« C'est comme ça qu'elle s'achève, l'histoire d'Adélaïde. Une communauté de filles, parce qu'il faut être lucide et toutes s'y préparer. Il y a plus de femmes que d'hommes et ils meurent en premier. À défaut d'être lesbienne, il faut être inventive.”
Un texte, reflet assez saisissant des rapports hommes-femmes, du célibat des uns et des autres…dont celui des femmes, moins facile à assumer, en dépit de l'évolution des mentalités!...
On assiste à l'évolution d'Adélaïde qui au début de l'histoire, fête ses 46 ans, anniversaire marqué par sa séparation d'avec Elias… elle continue à s'activer pour se remettre au plus vite en couple… Elle ne se voit pas autrement… et puis de désillusion en aventure inaboutie, elle trouve, chaque fois réconfort auprès de ses amies-femmes pour « apprivoiser son célibat »…et au final, c'est dans cette complicité, cette sororité qu'elle retrouve un sens à son nouveau statut de « Femme sans homme » , à sa vie de femme enfin autonome, existant enfin, en dehors du « regard des hommes »…
« Ainsi peut se poursuivre le parcours d'Adélaïde. Elle n'a besoin de personne, si ce n'est de ses amies. Seule la sororité est au centre de sa vie. Elle se consacre à son travail et devient une machine de guerre. Elle ne regrettera jamais rien, saura se satisfaire de son sort, ou mieux encore: l'optimiser. La solitude sera son habitacle naturel, sa liberté de mouvement, tout son écosystème. » (p. 192)
Un fort moment de lecture sur des thèmes qui nous prennent de plein fouet, nous interpelle toutes , et tous (d'ailleurs)… L'apprentissage d'une solitude positive, créative : ce n'est pas une mince affaire , dans une société où la normalité reste le couple, la famille…!!...Inventer de nouveaux schémas féminins de parcours de vie…Un texte passionnant, nous retranchant dans une succession de questionnements, de remises en cause, d'observations sociétales…
« Ca peut être ça aussi, le destin d'Adélaïde, elle a connu le couple, des décennies d'amour, s'est toujours ennuyée. Elle sera à jamais une femme célibataire, ce statut finira par la sécuriser. le célibat n'est pas du tout le mot solitude, pour qui sait le remplir autant que s'y déployer. Adélaïde Berthel, une femme comme un tas d'autres. Qui n'a pas besoin d'homme pour se sentir exister. (p. 192)
*****N.B: ajout le Jeudi 10 décembre 2020
l'ami harvard, ayant eu la gentillesse de me parler de la présence forte et convaincante de
Chloé Delaume , dernièrement, à La Grande Librairie... j'ai été chercher sur Youtube..Je viens de réussir à écouter un morceau de l'émission... J'aime beaucoup une formule très juste de
Chloé Delaume concernant "son coeur synthétique"...Une comédie où " on rit le coeur serré" !! . C'est exactement ce que j'ai ressenti: on rit... et en même temps, l'histoire d'Adélaïde prend aux tripes !... Un texte qui reste joyeux de par la formidable "déclaration d'amour" de notre "anti-héroïne" à sa bande d'amies, indéfectible !!