« Veux-tu savoir si Dieu t’aime? Jette-toi dans ses bras. » C’étaient des mots idiots. Deux petites phrases de rien du tout. J’ai essayé de rire.
Il y a des phrases qui chavirent. C’est tout. Il ne faut pas s’y attarder.
Mais je pleurais déjà.
J’ai déchiré le signet. Pour effacer ces mots fabuleux. Jette-toi dans ses bras… Ces lettres finement tracées portaient le souvenir de tous ces bras où j’avais déjà échoué, où je m’étais blottie.
J’imaginais ces étreintes et j’avais mal à mourir. J’imaginais ces étreintes et je me sentais seule à mourir. J’avais tellement besoin de sombrer dans la chaleur de quelqu’un.
J’avais cru trouver un havre. Ou même simplement un abri où penser mes blessures. Mais il n’y a pas de trêve, pas de refuge. La vie est une guerre continue.
Pauvre Élisabeth. J’avais presque réussi à croire, encore, une dernière fois, qu’il existait des gens sur qui on peut s’appuyer. Sur qui on peut compter. Qui ne fuient pas, ne disparaissent pas, ne tombent pas.
Le petit fil avait cassé. J’aurais dû m’en douter. Il ne tient jamais. Chaque fois que l’un se sent prêt à déposer ses bagages, l’autre s’enfuit. Ou meurt. La vie n’est qu’une suite de déchirures. Alors, il faut se protéger. Ne jamais entrer en gare. Toujours continuer. Filer. Sans s’arrêter. Sinon, chaque fois que le train repart, on est plus petit, plus vide et plus perdu.
Il fallait faire vite. Sauter même si le train roulait. Sauter au risque de se blesser. Sauter pour sauver sa peau.
Il y avait eu tant de départs, de ruptures, de déchirures. Antoine, Fernande, Jeanne, le moustique… Je n’étais qu’un ciel de tempête zébré d’éclairs.
Ses yeux me répondaient. Qu’il serait patient. Qu’il avait peur, lui aussi. Qu’il était prêt à partir sur tous les ruisseaux, les lacs, les rivières et les mers. Avec moi. Sans savoir où ça mènerait. Tant pis, si ça ne menait nulle part.
On ne pouvait s’empêcher d’essayer.
Les grands arbres n’ont pas peur des tempêtes. De la neige, de la pluie, de la grêle. Ils se tiennent droit dans le vent. Hauts et puissants. Leurs longs bras ploient sans craquer. Ils dansent, eux, dans la tourmente. Leurs gestes sont souples. On sent qu’ils sont résistants.
Les grands sapins ne tombent pas. Ils attendent d’être vieux. Secs et usés. Des centaines d’années. Et jusqu’à la fin, ils restent droits.
On ne sait jamais combien de temps durent les ouragans. Tout redevient calme d’un coup.
Prier, c’est une bien grand mot. Disons que j’ai parlé dans ma tête. À quelqu’un qui n’existe probablement pas. Mais tant pis.
Je lui ai dit que j’avais mon voyage. Que ma mère n’était plus comme avant. Et que moi aussi, j’avais changé.
Je lui ai confié qu’en ce moment, je me sentais comme les feuilles tombées que le vent pousse de tous côtés. Elles n’ont rien pour s’agripper.
Je lui ai raconté que j’aimais quelqu’un. Beaucoup. Mais que l’amour laissait de grands trous dans ma vie.