François-Frédéric Désérable n'a pas froid aux yeux : il s'envole alors que l'Iran est rouge pompier sur la carte du site de la diplomatie française : destination formellement déconseillée.
Courageux ou inconscient, selon le point de vue, l'auteur prend son billet d'avion pour l'Iran, en 2022, peu après le décès de Mahsa Amini, et les grandes manifestations qui s'en sont suivies. Mahsa, iranienne d'origine Kurde a été arrêtée par la police des moeurs iranienne pour « port de vêtements inappropriés ». Elle décédera trois jours plus tard.
Pourquoi partir et prendre autant de risque ? L'auteur veut comprendre ce qui se passe, non pas à distance en lisant les articles des autres, mais en allant sur place se faire sa propre idée. Ce voyage deviendra «
L'usure d'un monde ». Dans ce livre nous avons droit à un reportage sur la situation politique du pays, à travers les yeux du narrateur et ses échanges avec la population. Cependant, Désérable n'est ni journaliste, ni reporter, mais romancier. L'usure d'une monde est un récit de voyage engagé, qui fait un clin d'oeil, par son titre et une petite partie de son contenu, à près de 70 années d'intervalle, à son mentor,
Nicolas Bouvier, l'auteur de « L'usage d'un monde ».
L'écriture est fluide, facile et agréable à lire. Malgré le caractère grave du sujet, l'ouvrage prête très souvent à sourire. Ce n'est pas la situation politique en Iran qui est drôle, mais bien le style d'écriture de l'auteur, souvent ironique ou sujet à l'autodérision. Ainsi, lors de sa première nuit dans une auberge à Téhéran, il croit que la tenancière le drague, il réalise seulement plus tard qu'elle voulait le prévenir d'un danger : il faut se méfier à qui l'on parle surtout sur des sujets politiques. le livre regorge d'anecdotes, parfois éculé, que l'on ramène à foison lors d'un voyage exotique. Un exemple parmi tant d'autres, a propos de ses péripéties pour prolonger son visa : « le photographe est bien au coin de la rue, seulement, il a son studio dans le sous-sol d'une banque. ».
Mais le sujet est grave, le pays est dirigé par un état islamique intolérant, aux lois moyenâgeuses. Ici les coups de fouets, déjà inacceptable en soi, peuvent mener à la peine de mort.
Si l'auteur parle peu des monuments qu'il voit – on sent bien qu'il n'est pas vraiment ici pour faire du tourisme – il cite avec justesse d'autres auteurs comme
Pierre Loti (
vers Ispahan) ou encore pour l'histoire du pays, le polonais
Ryszard Kapuscinski, qui dit-il en parle mieux que lui. A plusieurs reprise on ressent cette modestie et ce recentrage sur les motifs de son voyage.
La vrai richesse de l'ouvrage ce sont les rencontres, aussi bien avec des iraniens que des voyageurs comme lui. En cela on ressent la comparaison dans le titre avec le récit de voyage très humaniste de
Nicolas Bouvier. L'auteur le cite d'ailleurs régulièrement, cela permets d'avoir un aperçu de l'évolution du pays sur sept décennies. Malheureusement ce monde est en déconfiture. Les monuments décrit sont parfois en ruine ou très abîmés mais c'est surtout le politique qui est usé. On y découvre aussi parfois des lieux qui donne envie de faire le voyage, encore faudrait-il pouvoir le faire… en cela l'ouvrage de Désérable est précieux, il nous montre que malgré tout ce que l'on peut critiquer chez nous au moins notre pays a encore quelques valeurs des Lumières et qu'il faut se battre pour préserver cela. Là-bas, la place des femmes et des minorités (Kurde, musulmans sunnites, étrangers...) est peu enviable et ne semble, au vue de l'actualité, pas prête d'évoluer.
L'ouvrage de Désérable est un cri de révolte, le « silence n'est pas toujours porteur d'émois éloquents, mais peut aussi être lâche et coupable et funeste » (p105). le peuple iranien n'a que sa voix pour manifester, Désérable utilises lui la littérature comme moyen pour nous émouvoir. En cela son ouvrage se distingue de celui de Bouvier, c'est un récit engagé témoin des crimes et de la barbarie qui nous invite à nous révolter contre les injustices de ce monde.