Citations sur 342 heures dans les Grandes Jorasses (12)
Tout passe, même la nuit, même la vie…
Alain Frébault me répondra :
" Ce que j'ai fait un autre aurait pu le faire "
Mais il la fait, là est la différence. Elle est de taille.
P178
Sur l'océan, les marins ne voient pas les profondeurs des bas-fonds. Ils en perçoivent peut-être la présence, mais le combat se passe à la surface, au milieu de l'ouragan et des lames déferlantes. Pour nous, il en est de même. Le combat est là, à la surface du granit glacé, dans la tourmente qui bientôt se lèvera.
La mort ne fait pas de cadeau. Elle est inexorable, sans merci. Il faut l'empoigner, la repousser à pleins bras, à pleine poitrine.
Au septième jour d'ascension, lors d'un relais:
" Sous mes pieds, à la verticale, la vue est saisissante. Je vois à nouveau le bas de la paroi. Tout est grandiose. Les parfaites proportions de la montagne suppriment toute notion de vide, de vertige. Nous sommes incorporés à ce vide. Sur l'océan, les marins ne voient pas les profondeurs des bas-fonds. Ils en perçoivent peut-être la présence, mais le combat se passe à la surface, au milieu de l'ouragan et des lames déferlantes. Pour nous, il en est de même. Le combat est là, à la surface du granit glacé, dans la tourmente qui bientôt se lèvera."
Glaciale et grise, traversée de courtes rafales de neige arrachée à la cime, c’est l’aube du onzième jour. Tout passe, même la nuit, même la vie… Serge est de plus en plus mal. Ses lèvres, son nez sont gonflés par le froid. Il ne sent rien, ne souffre pas. Il a faim et soif. Les vivres sont épuisés. Il ne nous reste plus rien. Juste un peu de gaz. Encore un demi-quart d’eau, et le réchaud s’arrête définitivement. Très doucement, je verse l’eau tiède entre les lèvres de mon compagnon.
Je n’éprouve moi-même aucune soif, aucune faim. Mon estomac est serré, dur comme une pierre. Je le sens douloureusement. L’angoisse ne me quitte plus. S’il ne se passe rien aujourd’hui, Serge est perdu. Pourra-t-il seulement tenir encore une nuit ?
Que font-ils dans la vallée ? Hier, il faisait beau. Ils ont bien vu que nous étions là, immobiles, bloqués sur cette minuscule corniche.
Quelle heure peut-il être ? Est-ce encore le matin ou déjà l’après-midi ?
Serge ne peut rester plus longtemps comme ça. Je dois partir chercher du secours. Aller au-devant de ceux qui montent peut-être par le versant sud. Descendre dans la vallée réunir des amis. Venez m’aider, Serge va mourir.
Assiégée, serrée par les tourbillons de neige, sa silhouette figée se détache sur le vide, dans la tourmente. Tout est irréel, invraisemblable. Des images s'impriment dans ma mémoire, se gravent dans ma chair. Jamais, non, jamais, aussi longtemps que je vivrais, je n'oublierai cet instant, cette terrible vision.
Sous mes pieds, à la verticale, la vue est saisissante. Je vois à nouveau le bas de la paroi. Tout est grandiose. Les parfaites proportions de la montagne suppriment toute notion de vide, de vertige. Nous sommes incorporés à ce vide.
La mort ne fait pas de cadeau. Elle est inexorable, sans merci. Il faut l'empoigner, la repousser à pleins bras, à pleine poitrine.
Assiégée, serrée par les tourbillons de neige, sa silhouette figée se détache sur le vide, dans la tourmente. Tout est irréel, invraisemblable. Des images s'impriment dans ma mémoire, se gravent dans ma chair. Jamais, non, jamais, aussi longtemps que je vivrais, je n'oublierai cet instant, cette terrible vision.
Serge abandonne...