AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Colchik


Les Belles Lettres n'ont jamais aussi bien porté leur nom qu'en publiant cet ouvrage délicatement illustré et documenté. Il comprend les lettres adressées par Emily Dickinson à ses cousines Norcross et à l'essayiste et critique Thomas W. Higginson, ainsi qu'un choix de poèmes intitulé La gloire est une abeille.
Il n'y a rien de plus étrange que cette correspondance qui ne se fait l'écho d'aucun des débats de son époque. La guerre civile est à peine effleurée, et uniquement pour évoquer des connaissances des Dickinson victimes du conflit, pas un mot sur la question abolitionniste et une attention très distraite aux conférences et journaux militant pour l'émancipation féminine. Emily Dickinson ressemble à une anémone de mer se rétractant chaque fois qu'elle est effleurée par un évènement extérieur. Se lancer dans un voyage, difficile. Assister à une conférence, impossible. Écrire un article pour une revue, finalement non. Recevoir une visite, avec parcimonie. On cerne avec difficulté cette personnalité chaleureuse, affectueuse, mais incapable de franchir le seuil de son jardin. Il y a pour moi un mystère dickinsonnien.
De son univers rétréci – par la stature surplombante du père, le poids des conventions d'une petite ville provinciale, le conformisme religieux – elle paraît s'évader par la contemplation de la nature, des saisons, du ballet des insectes dans la lumière, d'un oiseau. Mais la douceur d'Emily Dickinson est aussi affûtée qu'une lame : « Dieu tient sa Promesse aux Moineaux – / Son peu d'amour – les fait crever de faim – »
Sa poésie est pleine de Chérubins, de Séraphins, de Paradis, de Ciel, mais étrangement ce concert a toujours quelque chose de menaçant : « Il n'y a pas de Trompette comparable à la Tombe – / de Gloire il ne reste pas un Rayon/ Mais sa Maison Éternelle – / L'Astérisque est pour les Morts,/ Les Vivants, pour les Étoiles– / Ne me l'avez-vous pas donnée ? » La promesse de la vie éternelle sonne comme une relégation glaçante. Sur la mort prématurée d'un enfant n'écrit-elle pas : « Une fossette dans la Tombe/ Fait de cette Chambre féroce/Un Foyer ».
La singularité profonde de Dickinson frappe le lecteur à tout instant. Son esprit aiguisé ne se satisfait pas du vade-mecum dispensé aux femmes de sa condition, ni sur le plan religieux ni sur le plan social. Alors la Bible ou les Écritures servent de matériau à des remarques caustiques, et Shakespeare participe allègrement à l'oeuvre de détournement.
Sa présence est une tentative d'évasion au monde pour habiter avec force ses terrains de prédilection : la fascination suscitée par la nature, l'énigme de la mort (la Nuit de l'autre) et l'attachement exclusif porté aux êtres aimés.
L'Autoportrait au Roitelet dit tout cela avec une grâce déchirante.
Commenter  J’apprécie          172



Ont apprécié cette critique (16)voir plus




{* *}