Mais ce que nous ressentons est toujours neuf car chaque homme est unique, comme chaque feuille d'un même arbre est unique. L'homme partage avec les autres hommes la même sève, mais il s'en nourrit différemment.
Traduire, ce n’est jamais simple. Traduire, c’est trahir sur les bords, c’est maquignonner, c’est marchander une phrase pour une autre. Traduire est une des seules activités humaines où l’on est obligé de mentir sur les détails pour rapporter le vrai en gros. Traduire, c’est prendre le risque de comprendre mieux que les autres que la vérité de la parole n’est pas une, mais double, voire triple, quadruple ou quintuple.
"Tant que l'homme n'est pas mort, il n'a pas fini d'être créé".
Proverbe Peul.
Je sais, j’ai compris que c’était parce que Mademba m’enviait et m’aimait à la fois qu’il est parti devant dès que le capitaine Armand a sifflé l’attaque le jour de sa mort. C’était pour me montrer qu’on n’a pas besoin d’avoir de belles dents, d’avoir de belles épaules et un large torse, des cuisses et des bras très, très forts pour être vraiment courageux.
La douleur, c’est toléré, on peut la rapporter à condition de la garder pour soi. Mais la rage et la furie, on ne doit pas les rapporter dans la tranchée. Avant d’y revenir, on doit se déshabiller de sa rage et de sa furie, on doit s’en dépouiller, sinon on ne joue plus le jeu de la guerre.
Par la vérité de Dieu, il faut être fou pour s’extraire hurlant comme un sauvage du ventre de la terre.
Tant que l'homme n'est pas mort, il n'a pas fini d'être créé.
(P121)
La nuit, tous les sangs sont noirs.
La rumeur a couru. Elle a couru tout en se déshabillant. Petit à petit, elle est devenue impudique. Bien vêtue au départ, bien décorée au départ, bien costumée, bien médaillée, la rumeur effrontée à finit par courir les fesses à l'air. Je ne l'ai pas remarquée tout de suite, je ne la distinguait pas bien, je ne savais pas ce qu'elle complotait. Tout le monde la voyait courir devant soi, mais personne ne me la décrivait vraiment. Mais j'ai enfin surpris les paroles chuchotées et j'ai su que le bizarre était devenu le fou, puis que le fou était devenu le sorcier. Soldat sorcier.
Mais moi, Alfa Ndiaye, j’ai bien compris les mots du capitaine. Personne ne sait ce que je pense, je suis libre de penser ce que je veux. Ce que je pense, c’est qu’on veut que je ne pense pas. L’impensable est caché dans les mots du capitaine. La France du capitaine a besoin que nous fassions les sauvages quand ça l’arrange. Elle a besoin que nous soyons sauvages parce que les ennemis ont peur de nos coupe-coupe. Je sais, j’ai compris, ce n’est pas plus compliqué que ça.