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Le roman choral parfait. Et très, très dur. Ça fait un moment qu'il est dans ma bibliothèque et que j'hésite à l'ouvrir. Je sais qu'il va me passionner et me faire mal. Car je sais de quoi il parle. Pendant les manifs des Gilets jaunes, l'utilisation de grenades a provoqué des mutilations, des blessures graves, des amputations, des mains coupées. Je le sais, j'étais à plusieurs de ces manifs, j'ai vu de près se déchaîner la violence qui se sait au-dessus des lois. Et j'ai eu peur, vraiment très peur, car cette violence était hors de tout contrôle.
Sophie Divry donne littéralement la parole à cinq hommes, tous droitiers, tous amputés de la main droite à la suite de ces attaques à l'arme de guerre. Certains allaient à leur première manif, sont sortis ce matin-là, et ne sont rentrés qu'un mois plus tard, infirmes. Elle mêle leurs récits, la lecture passe d'un narrateur à un autre sans ordre, sans prévenir, mais toujours avec une fluidité totale, ce qui en fait une seule histoire, un seul drame.
« Ce jour-là, il faisait beau. Ce jour-là, il ne faisait même pas froid. Il faisait super froid ce samedi. le ciel était un peu comme aujourd'hui. »
L'avant, les raisons d'aller manifester. L'explosion. Et l'après, la majeure partie du livre. La douleur. Les soins, quand il y en a. L'hôpital. La visite des enquêteurs qui veulent forcer la victime à se reconnaître coupable, pendant qu'elle est sous le choc. Les proches. le coût de tout ça. le travail perdu. La famille qui explose, elle aussi. Et les accusations, dans les médias, contre ces Gilets jaunes qui agressent la police !
J'ai eu beaucoup de mal à lire ce tout petit livre, ce témoignage immense, et pourtant je l'ai dévoré en quelques heures, relisant des passages, confrontant le récit à mes souvenirs de ces manifs.
On est vraiment sur une drôle de pente !
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Au delà des récits entremêlés, du geste politique que représente ce court texte dont l'autrice n'a écrit, pensé, aucun mot, de la charge émotionnelle, de l'empathie énorme, il y a une performance littéraire magnifique. « À l'instant même où je me suis rendu compte que je n'avais plus ma main, j'ai fermé une porte dans ma tête et j'en ai ouvert une autre » (page 100) Cinq mains de cinq Hommes qui ne font qu'un, qui parlent ensemble d'avant, d'après, du moment de cette perte irréversible, de ce qui percuta leur vie. Un choeur, tel un coeur palpitant, de vies certes amputées mais continuant d'irriguer.
Sophie Divry nous offre des textes forts, ancrés dans la réalité, ne faisant pas table rase des conditions sociales, captant ce qui dérange.
Un livre comme un uppercut à la rétine, pointant in fine l'unique responsable des amputations volontaires de ceux qui, comme l'a dit ce responsable haut placé, ne sont rien, comme lui qui restera un simple nom dans une liste de présidents français.
Merci Sophie.
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Une fois qu'on a goûté l'écriture de Sophie Divry, il est difficile de l'oublier. Une auteure libre et fantaisiste, engagée, qui se réinvente roman après roman. Avec Cinq mains coupées, le projet est encore tout autre, c'est un livre-témoignage qui propose un texte composé de la parole de cinq manifestants ayant perdu leur main lors des manifestations des gilets jaunes. À partir d'extraits d'entretiens, elle reconstitue une narration collective de l'histoire de ces cinq hommes, avant, pendant et après leur « mutilation ».

"Je m'appelle Gabriel, j'ai 22 ans. Je m'appelle Sébastien, j'ai 30 ans. Je m'appelle Antoine, j'ai 27 ans. Je m'appelle Frédéric, j'ai 36 ans. Je m'appelle Ayhan, j'ai 53 ans. C'était le samedi 24 novembre. C'était le 1er décembre. C'était le 8 décembre. C'était à Bordeaux. C'était à Tours. C'était place Pey-Berland. C'était place Jean-Jaurès. C'était sur le boulevard Roosevelt dans le XVIe arrondissement. Ça s'est passé le 9 février devant l'Assemblée nationale, à Paris."

Ces cinq hommes ont en commun d'avoir perdu leur main droite, d'avoir vu leurs vies définitivement bouleversées. Tous racontent la violence, la sidération, la reconstruction après le traumatisme physique mais aussi psychique qu'ils ont subi. Ils parlent d'eux-mêmes et de leurs vies, mais évoquent aussi leurs proches, leurs familles ou leurs collègues, victimes collatérales d'un drame irréparable.
Derrière les mots apparaît en filigrane une fracture, au sein de la population déjà, mais également entre cette dernière et les forces de l'ordre. Et cette question, entêtante, pour la lectrice que je suis, et peut-être pour d'autres, pourquoi ? Pourquoi ce mouvement a t-il généré tant de violences ? Pourquoi l'utilisation de telles armes ? Pour information, le journaliste David Dufresne a dénombré, au 13 avril 2019, 1 décès et 613 personnes blessées par les forces de l'ordre, dont 238 blessées à la tête, 23 éborgnées et 5 ayant eu une main arrachée...

Un livre court mais intense, troublant et émouvant. Engagé. Militant.
Par son « offre d'un espace de parole », Sophie Divry donne la place qui leur revient à ces citoyens mutilés qui lui ont, parfois au prix d'un effort immense, donné la version de leurs histoires. La moindre des choses que je pouvais faire, c'était de les lire et de les écouter, en total respect.
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Un essai ou plutôt un recueil de témoignages qui s'annonçait passionnant mais l'auteure certainement pour flâter un égo particulièrement mal venu à voulu faire de cet ouvrage un objet conceptuel.
En effet les cinq témoignages sont mis bout à bout, amalgamés, sans que l'on sache qui parle, qui est qui. on ne saura donc pas les parcours de vies de ces cinq mutilés si ce n'est par brides, ni même les circonstances exacte qui amènerons aux drames. C'est comme un puzzle à assembler mais les conséquences sont trop graves pour que l'on est envie de s'amuser.
Le parti pris narratif troublant et discutable ne m'a pas convaincu mais malgré cela, c'est un livre fort émotionnellement tant la vie d'après ces cinq "accidents" est un vrai condensé de ce pour quoi les gilets jaunes se battaient. Confrontés au délabrement de l'hôpital publique, à la faillite de la sécurité social et autres mutuels qui se retournent contre eux, ces témoignages n'en sont que plus puissants et émouvants. Essentiel aussi. La parole de ces "gens qui ne sont rien" se devant d'être conservés et diffusés.
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" 5 mains coupées" donne la parole à ceux qui ont été amputés de leur main lors des manifestations des gilets jaunes. Ces 5 personnes ne se connaissent pas, n'habitent pas la même ville n'ont n pas le même métier ni le même âge ni la même vie, ils sont juste là dans une des manifestations pour plus de justice, plus de pouvoir d'achat, pour défendre sans violence leurs idées.
Gabriel Sébastien Antoine, Ayhan, Frédéric vont tous avoir la main droite amputée car ils se sont trouvés au mauvais endroit au mauvais moment.
Ce n'est pas un plaidoyer contre la police, on ne trouve pas, dans leur parole, de haine envers la police, juste des sentiments d'injustice, d'incompréhension de sidérations et de colère et pourtant c'est bien leur vie qui est complètement bouleversée à tout jamais parce que la police a usé abusivement de son pouvoir, parce qu'elle a l'autorisation d'utiliser des grenades bourrées de TNT véritable arme de guerre .
Sophie Divry donne la parole à 5 de ces victimes. Elle se sent le devoir de dire, de montrer , de dénoncer cette violence. Elle va alors retrouver quelques-unes des victimes et leur faire raconter pour qu'enfin on les écoute puisqu'ils ne l'ont pas été dans la rue. Je terminerai ce billet par une des réflexions de Sophie Divry qui ne peut que nous interpeller si ce n'est déjà fait ...
" Nos gouvernants se sont indignés des tags peinturlurés sur l'Arc de Triomphe le samedi 1er décembre 2018 parce que l'Arc de Triomphe, c'est un symbole de la République. Mais comment osent-ils nous parler de République ? Alors qu'ils ferment des gares et des maternités ? Alors qu'ils attaquent notre système de retraites et qu'ils ont laissé ce clochardiser l'hôpital ? Mais surtout, en quoi la main d'un jeune chaudronnier de 21 ans,une main habile, une main passionnée, n'est-elle pas, davantage même qu'un vieux monument parisien, un symbole de notre République ?"
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"La France a vécu non seulement un mouvement historique, mais une répression de masse. Officiellement : 2500 blessés, 12 000 arrestations. 314 personnes atteintes à la tête par un flash-ball, dont 24 personnes ayant perdu un oeil, Mme Redouane tuée des suites d'une grenade lacrymogène tirée vers sa fenêtre, et, donc, cinq mains coupées."
Tel est, aux yeux de Sophie Divry, journaliste et écrivaine, le bilan "humain" qui résulte de ce qu'on a appelé les "Actes... 1,2,3...15... 25... ) du mouvement des Gilets Jaunes.
Ce faisant, elle a choisi d'écrire un livre témoignage sur cinq de ces Gilets Jaunes qui, en voulant ou pas s'en saisir, ont perdu une de leurs mains après l'explosion d'une grenade (GLI-F4) offensive, lancée par les forces de l'ordre... à des fins... ???
Ces cinq manifestants sont Antoine, étudiant animateur, Bordelais de 27 ans, Frédéric, lamaneur , Girondin de 36 ans, Sébastien, tourneur-fraiseur, Parisien de 30 ans, Gabriel, compagnon chaudronnier, Manceau de 21 ans, Ayhan, ouvrier-syndicaliste en usine, de Saint-Pierre-des-Corps âgé de 53 ans.
Sophie Divry va recueillir et retranscrire fidèlement chacun de leurs cinq témoignages.
Ces témoignages sont structurés sur "un schéma" identique.
Leur identité sociale, économique, professionnelle, familiale, leurs goûts, leurs rêves, la ou les raisons de leur participation à l'un des "Actes" des Gilets Jaunes, les circonstances de "l'accident", la prise en charge de l'urgence, l'hospitalisation, l'intervention ou les interventions chirurgicales, la mutilation, la rééducation, la prothèse, le regard des autres, la réinsertion, la plainte et la décision de justice... les séquelles psychologiques et la survenue ou l'attente du choc post-traumatique.
Il est évident que je ne vois ces hommes que comme des hommes et des hommes victimes... lourdement victimes... de qui ou de quoi ... il ne m'appartient pas de le dire.
Je les plains, je déplore ce qui leur est arrivé et je comprends l'immensité indicible de leur(s) souffrance(s).
Je me propose de présenter un livre... c'est tout.
Ce livre est le réquisitoire partial d'une journaliste qui a d'emblée pris parti pour ce mouvement.
Tout, sans exception est à charge contre Macron, Castaner, Lallement et autres...
Certes, ces responsables ont des responsabilités.
Mais quid d'un mouvement, dès le début, récupéré par l'extrême-droite, les complotistes et les antitout ?
Pour Sophie Divry et ses cinq mutilés... ils allaient quasiment à un pique-nique... c'était bon enfant..."J'étais habillé en noir... c'est ma manière de m'habiller c'est tout, je ne suis pas un black bloc..." .
Pour nous, c'était plus une sortie familiale... quelques projectiles volaient de par derrière, mais rien de bien méchant..."
"Avec des amis, on avait acheté deux douzaines d'oeufs pour lancer sur les policiers, parce qu'on ne se sentait pas de lancer des pavés ! On les a lancés, ces oeufs, c'était rigolo. C'était quelque chose d'un peu potache."
"J'ai un peu tapé sur des panneaux métalliques, mais juste pour faire du bruit".
Donc, rien que des "gentils, venus faire une excursion à Paris ou dans une ville de province... et ignorant que dès les premiers jours, il y a eu des violences et des morts... Gilets Jaunes et non-Gilets Jaunes.
Dès les deux premiers actes, il y a eu des émeutes, des pillages, des actes de vandalisme... bref, une extrême violence.
Dès le début, médias et manifestants ont fait mention des LBD, des granades etc
Et Sophie Divry nous affirme que ces cinq hommes ignoraient tout de la mise à feu et à sang de la France depuis le 18 novembre par 350 000 Gilets Jaunes ( au plus fort du mouvement )... !
Je n'aurai pas la cruauté de rappeler ici qui étaient les figures de proue,, les leaders dudit mouvement, mais cette révolution "à l'envers" conduite par des pieds nickelés extrêmistes, putschistes, complotistes aux QI de bulots, ne pouvait qu'entraîner des braves gens, mus au départ par des revendications légitimes, vers des impasses désastreuses.
Ça aussi, j'aurais aimé le retrouver dans le bouquin de Sophie Divry... qui ne présente qu'une vision, je le répète, à charge contre les autorités... allant jusqu'à dire de manière pathétique qu'une main "habile et passionnée" vaut davantage que le saccage de ce vieux monument qu'est l'Arc de Triomphe.
Et de terminer son réquisitoire ainsi :
"Que va devenir ce pays où on coupe des mains à des ouvriers et à des étudiants ?"
En ce qui me concerne, le parti pris de la journaliste-écrivaine est contre-productif.
Certes, les forces de l'ordre face à un mouvement inédit, réfutant tous les codes, toutes les règles liés au droit à manifester : autorisation, itinéraire, encadrement... préférant l'effet de surprise, jouant la mobilité, la dispersion, le cache-cache, le chat et la souris, se livrant à la guérilla urbaine dans la plus grande pagaille, le plus grand chaos...ces forces de l'ordre ont apporté de mauvaises réponses.
La question est... en l'état que pouvaient-elles faire ?
Laisser le chaos prospérer... pour dériver vers quoi ? Une guerre civile ? Un putsch ?
Les Gilets Jaunes en se lançant dans une aventure à laquelle ni eux ni le pays n'étaient préparés ont ouvert une boîte de Pandore... de laquelle est sorti le pire pour ces cinq mutilés et leurs compagnons éborgnés.
Mais ça, Sophie Divry ne veut pas en entendre parler.
L'Histoire, ou peut-être avant elle, la justice déterminera les responsabilités de chacun.
En attendant, je suis persuadé... je l'ai été depuis le début du mois de novembre 2018... que ce mouvement qui n'a pas voulu se structuter, a payé cher les fruits de son "astructuration".
Pour terminer sur une note un peu plus littéraire, cest cinq témoinages sont proposés sous une forme chorale. Les cinq voix racontent ensemble, indistinctement, créant un effet amplificateur, un effet groupe ou foule, déstabilisant le lecteur qui se sent pris au milieu d'une bousculade.
J'aime et m'efforce de penser contre moi-même, raison pour laquelle j'ai tenu à lire cet ouvrage.
Le choix d'en faire autant ou pas, appartient à chacun d'entre vous...
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Sophie Divry a recueilli le témoignage de cinq manifestants qui ont perdu leur main lors des premières manifestations gilets jaunes.
Je me souviens avoir suivi cela à la télévision et avoir été horrifiée.
Les assauts de la police étaient violents et disproportionnés.
Je ne savais pas alors qu'il y aurait tant de blessés, tant de mains arrachées, dans d'éborgnés.
Des armes de guerre étaient utilisées contre les citoyens.
Du jamais vu.
Ces violences inexpliquées n'ont pas été sanctionnées.
Restent des victimes à vie qui n'auront que leur vie foutue et ni réparations ni excuses.
Comment ne pas être empli de compassion et de révolte en lisant ces témoignages.
Ils sont mêlés les uns aux autres, comme l'était cette foule aux justes revendications.
Ça donne encore plus d'ampleur à leur réalité.
Merci et bravo à Sophie Dibry de leur donner la parole et de faire qu'on ne les oublie pas, et tout mon soutien à eux.
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J'ai commencé ce livre sans bien comprendre au début. Et puis je me suis rendue compte que les cinq témoignages de ces gilets jaunes étaient mélangés. Des phrases qui s'entremêlent. On a du mal à comprendre qui parle. Cela va très vite, à la lecture. Je m'y suis un peu perdue au début, mais ensuite j'ai apprécié ces voix qui disent la manif ( dans des lieux différents) , les mains arrachées, la douleur, la peur, les larmes et cinq vies gâchées. Sans raison, juste une violence voulue et assumée par l'état.
Ces voix sont pondérées, posées, sincères, douloureuses, colères aussi. On ressort de ces 100 pages un peu groggy, totalement écoeuré et sidéré par ces histoires.
Les gilets jaunes ce ne sont pas ce que beaucoup ont voulu faire croire. il y avait des hommes et des femmes qui ont vraiment espéré une vie meilleure, qui ont adhéré à un mouvement pour améliorer leur vie, la nôtre.
Ces voix comme un choeur unique qui racontent et mis en page avec talent par Sophie Divry ont une force bouleversante.
Je n'oublierai pas les mots de Sébastien, Gabriel, Antoine, Frédéric, Ayhan. On ne peut que ressentir de la colère ( et de la peur) pour cet état violent qui utilise des grenades et des LBD sur une foule.
Un court roman, comme un uppercut. Violent et poignant.
A lire absolument.
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Dans "Cinq mains coupées", Sophie Divry part à la rencontre de cinq manifestants qui ont eu une main mutilée durant les manifestations des Gilets jaunes. Des mutilations qui font suite à l'utilisation de grenades lacrymogènes bourrées de TNT par les forces de l'ordre. La GLI-F4 (remplacée depuis début 2020).

Pour cette démarche, l'autrice s'est déplacée et a enregistré cinq entretiens. Après relectures, ce livre témoignages a pu voir le jour. Un livre qui touche et qui raconte sans pathos, en donnant la parole aux premiers concernés. Les victimes de ces violences policières. On parle d'étudiants, d'ouvriers. Des gens venus manifester avec les gilets jaunes, parfois pour le climat. Et qui vont voir le cours de leurs vies basculer face à une répression violente, soudaine, sans imaginer une seule seconde en faire les frais à ce point. Sans imaginer une seconde que ces choses-là peuvent arriver en manif. Sans imaginer que la police lance ses grenades sans sommation.

Ces témoignages sont forts et on distingue d'abord la sidération puis la colère et la douleur de reconstruire une vie chez les cinq manifestants. Les difficultés se multiplient avec les soins à organiser qui s'ajoutent à la précarité déjà présente. L'entourage est touché. Comment peut-on en arriver là ? Comment peut-on comme le dit très bien l'autrice perdre une main lorsque l'on manifeste à la base pour une revalorisation du SMIC ? Pour éviter la casse du service public ? le livre de Sophie Divry donne à voir le réel avec beaucoup de justesse. Un livre important.

extrait : "Mais je suis lucide. Si ces cinq hommes m'ont parlé, ils ne m'ont pas tout dit. Il faut donc entendre derrière les expressions comme « c'est difficile » ou « c'est compliqué » sans doute bien plus que des difficultés, bien plus que de la complexité. Mais ils le disent avec leurs mots et je voulais que ce soit eux qui racontent. J'ai seulement fait de ce quintet de souffrance un choeur avec des solos."

Lien : https://lesmafieuses.wordpre..
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Ils sont cinq, partis de différents coins de France. Seul, en famille, entre amis, entre collègues. Direction Bordeaux, Tours ou Paris. Ils se nomment Gabriel, Sébastien, Antoine, Frédéric et Ayhan. Ils ont de 22 à 53 ans. Ils sont chaudronnier, animateur, tourneur-fraiseur, lamaneur, syndicaliste. Des travailleurs dont le savoir-faire se situe d'abord dans leurs mains. Ils partent en auto, en train, en tram. Ils partent la fleur au fusil, persuadés de vivre en démocratie. Leur main à couper qu'ils y croient, à la démocratie. Ça se passe le 24 novembre, les 1er et 8 décembre et le 9 février mais c'est la même histoire. Toujours la même histoire sans fin recommencée. L'histoire de tous ceux qui mirent leurs doigts vivants, leurs mains de chair, dans l'engrenage pour que cela change.(1) Ils sont cinq comme les cinq doigts de la main, même si, pour l'heure, ils ne se connaissent pas. Ils sont cinq et convergent vers d'autres qui, comme eux, ont décidé de relever la tête. Parce que la coupe est pleine... Parce que la fin du mois dès la deuxième semaine... Parce que les services publics ferment... Parce que les gens dans la misère, ras-le-bol. Ils sont cinq qui cherchent leurs mots, qui inventent des slogans au sein d'un mouvement sans chef. Ils se méfient du pouvoir qui les a tant de fois désespérés. Ils sont cinq. Ce jour-là, il fait beau, il pleut ou il fait froid. Qu'importe ! Ils sont là, se réchauffant au contact d'autres, venus comme eux crier « La police avec nous » ou « Macron démission ! » Ils sont cinq dans un cortège qui avance, joyeux, festif, revendicatif. Et puis soudain, tout s'arrête. Un mur de CRS barre la route. Impossible d'avancer. Impossible de reculer. Piégés, dans la nasse, comme des poissons pris dans un filet. Ils sont cinq, dans la bousculade, le chaos, la fumée des lacrymos, les cris et le bruit des grenades.

Le 1er décembre, 10.000 grenades sont tirées à Paris, dont 339 GLI-F4, classées « armes de guerre » dans le code de la sécurité intérieure. C'est une grenade de désencerclement ayant un effet de souffle causé par les 25 grammes de TNT qu'elle contient. La France est le seul pays européen à l'utiliser contre sa population. Elle a déjà causé la mort de Rémy Fraisse, en 2014, lors d'une manifestation contre le barrage de Simens. Malgré cela, le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, a ordonné que l'on s'en serve « jusqu'à épuisement des stocks ». Ça ressemble à un film de guerre. Ils veulent crier, avancer, partir, courir. Pas le temps de réfléchir. Un engin tombe à deux pas. Une incroyable fumée sort de cet engin-là. Quelqu'un crie « Touche pas ! ». Un grand « boum ! » avant un assourdissant silence.

J'ai posé les yeux sur ma main et il n'y avait plus rien. Je me suis dit d'abord : « Je n'ai plus de gant. » J'ai fait une fixation sur le gant, il se passe quelques secondes avant que je me dise qu'en fait non, ce n'est pas le gant, c'est la main qui a disparu. Pulvérisée. Plus de main. A la place, il y a une espèce d'amas de chair dégoulinant de sang. Je voyais l'os au milieu, et des lambeaux de chair de chaque côté, comme une banane. Ma main a explosé. Elle est complètement déchiquetée. C'est une horreur. Alors je crie. Non par douleur mais parce que je suis horrifié par ce que je vois. Je dis à mon collègue : « Putain, j'ai plus de main, j'ai plus de main... » J'ai dû répéter ça plusieurs fois.(2)

Rester conscient. Supporter la douleur. Les minutes s'écoulent plus lentement que le sang. Ils sont cinq, c'est toujours la même histoire sans fin recommencée. L'histoire de tous ceux qui mirent leurs doigts vivants, leurs mains de chair, dans l'engrenage pour que cela change. L'évacuation. L'hospitalisation. L'amputation. L'interminable série d'opérations. La lente cicatrisation. L'acceptation du moignon. La longue rééducation. L'épuisante réadaptation. Une impressionnante panoplie d'émotions...

Sophie Divry s'est arrêtée d'écrire la fiction sur laquelle elle travaillait – un roman d'anticipation se déroulant sur Mars – pour aller à la rencontre de Gabriel, Sébastien, Antoine, Frédéric et Ayhan. C'était de l'ordre du devoir écrit-elle en postface du livre. de leurs cinq témoignages, elle a réalisé un livre choral. Par respect pour eux, le texte est uniquement composé des mots qu'ils ont prononcés. Des paroles que personne ne pourra jamais couper. Dans une tribune écrite par plusieurs jeunes auteurs dont Sophie Divry, publiée dans le Monde fin 2018, on pouvait lire : « Nous voulons écrire ce qui n'a pas encore été écrit, ce qui attend d'être compris, mis en mots. Il y a urgence. Peut-être que, pour dire notre époque monstrueuse, il faut des romans monstrueux. Des romans difformes qui frôlent la catastrophe, osent la poésie, qui n'aient pas peur de l'inédit et de l'indicible. » Cinq mains coupées est un livre de cette trempe-là !

(1) Extrait du poème de Louis Aragon, Je me tiens sur le seuil de la vie et de la mort, in Les Poètes, Gallimard, 1960

(2) Sophie Divry, Cinq mains coupées, 121 pages, 14 €, Seuil, octobre 2020
Lien : https://christianlejosne.jim..
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