J'ai donc demandé à mon cerveau de se taire. De faire autre chose. Lire par exemple. Lire un livre sous les sifflements de roquettes comme on lit un roman avec de la musique en arrière-fond. Un livre peut vous faire oublier la mort. Cette pensée m'a fait sourire. (p. 259)
Souvent, par un phénomène bizarre, quand les gens avaient trop peur, ils n'avaient plus peur et pouvaient agir avec une audace que même les gens les plus téméraires jugeraient suicidaire. (p. 99)
Que faire quand quelqu'un ne craignait ni ma force ni mon arme , j'étais perdu. Je pouvais la tuer sans problème. Mais si je la tuais sans lui faire peur, sans l'humilier, elle aurait gagné. (p. 369)
Comment expliquer que je me souvienne en détail de toutes les scènes de cruauté dont j'avais été témoin, même témoin éloigné, alors que rien ne me restait d'un acte d'humanité qui me touchait directement ? Est-ce à dire que le mal laissait plus de traces dans nos mémoires que le bien ? (p. 163)
L'air frais m'a donné un coup de fouet. Et j'ai ressenti une joie m'envahir. Joie d'être vivante. Joie d'avoir survécu. Joie de continuer à vivre. L'air frais a aussi ravivé l'enfant, puisqu'elle s'est mise à pleurer. C'était bien ainsi car un enfant qui pleure est un enfant qui vit. Et je me suis souvenue que ma petite fille n'avait pas de nom. Or toute existence dans l'univers commençait par un nom. J'ai plongé ma mémoire dans le riche patrimoine de la langue de mon grand-père et j'en suis revenue avec le mot le plus pur de la tribu, le mot le plus beau reflétant parfaitement ce moment : kiessé ! la joie ! Mon enfant, je te nomme kiessé ! Et j'ai regardé vers le ciel: elles étaient là, diamants brillants, couronnant nos têtes . Que ferions-nous sans les étoiles ? (p. 376-377)
Maman m'avait souvent dit, quand elle revenait fatiguée d'avoir vendu au marché toute la journée, qu'elle se sentait instantanément détendue, relax, dès qu'elle franchissait la porte de notre maison, car les murs d'une maison délimitaient un espace de paix, de sécurité et de sérénité. Ce qu'elle ne savait pas c'est qu'à l'inverse, un mur pouvait aussi être une barrière. (p. 129)
En exergue:
Si la souffrance est humaine, nous ne sommes pas hommes pour souffrir seulement. - Georges Seferis- Journal de bord II
Nous sommes sorties dans la nuit et nous avons levé les yeux vers ces myriades de diamants lumineux qui scintillaient là-haut. que ferions-nous sans les étoiles ? (p. 317)
Je ne sais pas d'où venait ce pouvoir de persuasion qu'avait l'argent.
Tout l'après-midi nous avons razzié, nous avons tué, nous avons volé, nous avons violé. Nous étions soûls de sang et de sperme. Dans tout le quartier résonnaient des cris de -somba liwa-, des rafales, des grenades qui explosaient, des cris, des pleurs et des hurlements de chiens.