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Critique de Ingannmic


On entre dans "Manhattan Transfer" de manière quelque peu abrupte, et il faut un peu de temps pour apprivoiser ce texte que son rythme bien particulier rend si dense et si vivant.
On y passe sans transition de séquence en séquence, pour suivre sur une durée plus ou moins longue des personnages qui n'ont a priori guère de rapports les uns avec les autres. Au fil du récit, ils vont se croiser, sans forcément se rencontrer, ils vont parfois s'aimer, se détester, se déchirer...

Ce qui est déstabilisant pour le lecteur, c'est que les scènes qui sont représentées, les pensées qui sont rapportées le sont "sur le vif". John Dos Passos ne se perd pas en explications sur l'avant, le pourquoi, le comment ses personnages en sont arrivés au moment où il nous les fait découvrir. Il nous livre comme une série d'instantanés qui semblent pris au hasard, zoomant sur des détails qui peuvent dans un premier temps paraître insignifiants, mais qui finissent par composer un vaste ensemble cohérent.
De capter, ici le cours d'une pensée, là une bribe de conversation, a pour résultat une impression de mouvement permanent, presque de frénésie, qui rappelle certains procédés cinématographiques.

Et puis peu à peu, vous êtes happés : les descriptions brèves mais imagées et évocatrices vous plongent au coeur de la Ville, que l'auteur anime avec ce que l'on pourrait qualifier de "poésie de l'urbanité". Les sons - familiers, quotidiens, de la charrette du laitier, de la sirène de l'usine, ou du camion des pompiers-, les odeurs, propres à chaque quartier, les couleurs (ou leur absence), tout concourt à vous immerger dans cette gigantesque fourmilière qui semble être le centre d'un nouveau monde dans lequel la pierre, le bois, la tuile, vont être remplacés par le verre, l'acier et le béton.

New York, nouvelle Babylone, Babel moderne, dont la porte se matérialise sous la forme de son port, où débarquent immigrants remplis d'espoir, soldats survivants de la première guerre mondiale, où l'on rembarque les "rouges" après la révolution d'octobre... le port par lequel arrive aussi l'écho des événements du monde, sporadiquement mentionnés par un Dos Passos qui préfère, plutôt que de s'attarder sur le contexte historique de son récit, l'évoquer par l'intermédiaire de ses personnages qui, selon leur situation, en deviennent, avec toute la relativité que cela implique, les portes parole et/ou les témoins.

Comme la ville dans laquelle ils évoluent, ces héros semblent pris dans une course perpétuelle, comme poussés par une dynamique qu'ils pensent contrôler mais qu'ils sont en réalité obligés de suivre pour s'adapter et survivre. Ce nouveau monde est en effet placé sous le symbole de la réussite, et seuls les ambitieux y trouveront leur place.
Dans ce roman écrit à la veille de la crise financière de 1929, John Dos Passos pressent déjà les limites du grand rêve américain, qui fait beaucoup d'exclus. Pauvreté, alcoolisme et solitude sont présentés comme les corollaires d'une société dont les fondements sont axés sur le pouvoir de l'argent et sur l'impérieuse nécessité de connaître le succès, dans quelque domaine que ce soit.
Et c'est pourquoi, outre cette frénésie évoquée plus haut, il sourd aussi de ces pages une grande part de désillusion et de malheur.

"Manhattan Transfer" est un texte dont la lecture n'est pas vraiment confortable. On s'y perd parfois, bousculé par cette technique narrative saccadée, agacé de ne plus se souvenir de quelque personnage cité plusieurs dizaines de pages auparavant, et pourtant, on ne peut s'empêcher d'être pris par le rythme que nous impose l'auteur, d'être intrigué par le devenir de ses héros, et de succomber au charme de son écriture à la fois vive et lyrique.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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