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sur 634 notes
Le titre " Manhattan Transfer " évoque une correspondance, un noeud ferroviaire, un aiguillage, un carrefour, un hall bourdonnant comme une gare, à la croisée de tous les chemins, où des millions de gens se croisent, se côtoient et s'oublient, enfermés dans leur vie, ignorant le reste, rêvant d'avenir et de réussite.
Ce titre évoque aussi le flot des émigrants, posant le pied en Amérique via New-York, tel un tremplin, où certains resteront, où beaucoup iront vadrouiller ailleurs, toujours l'espoir au ventre de réussir leur toute petite vie dans cette immense Babel de cet immense pays. Une vie où tout est possible, en bien comme en mal, une ville où tous les coups sont permis. Certains sortiront du lot, d'autres seront engloutis par la masse grouillante.
Dans la première partie (le livre en compte trois), par son écriture faite de simples tableaux esquissés, sortes de mini-nouvelles accolées les unes aux autres, Dos Passos reprend à son compte la technique de Joyce dans Dubliners (Gens de Dublin) et essaie de nous faire ressentir l'ambiance, l'atmosphère de New-York dans les années 1890 à 1900, son ébullition, ses travers, la foule des anonymes qui s'y presse.
C'est une écriture impressionniste, toute faite de touches, avec, en retour, ce petit inconvénient que l'on n'a pas le temps de s'attacher aux personnages qui défilent, un peu au rythme des publicités sur un panneau tournant.
Par la suite, après nous avoir fait suivre en pointillés plusieurs personnages, parfois sur plusieurs années, Dos Passos les fait interagir entre eux dans les deuxième (1910-1915) et troisième (1918-1920) parties, tantôt directement, tantôt via des intermédiaires.
L'auteur se contente de nous faire vivre très vite (à l'image de la vie dans cette ville) certains épisodes marquants de la vie de ses personnages : Ellen l'actrice, Jimmy le journaliste, Gus le politicien, George l'avocat, Congo le tenancier de bar (qui tombera par hasard sur la mine d'or de la prohibition).
Quant au propos, il n'est pas des plus flatteurs pour New York, comparée à une grosse ruche bourdonnante tellement brillante qu'elle attire tous les papillons de nuits et dont nombre d'entre eux se brûleront les ailes, avec tous leurs espoirs tombés dans le caniveau. Nouvelle Babylone, qui attirera probablement bientôt les foudres divines par ses excès en tous genres et dont finalement, le salut semble la fuite.
C'est une critique acerbe de la société du " tout argent ", un peu comme dans Gatsby le Magnifique, et où l'ennui est au bout de chaque rue semée de gratte-ciels déshumanisants, car nous faisant tous ressembler à de minuscules nabots anonymes...
Si vous aimez les recueils de nouvelles, vous adorerez Manhattan Transfer, si vous préférez vous attacher, vous identifier à un même protagoniste dans un milieu donné, un peu à la façon de la famille Joad dans Les Raisins de la Colère ou dans la tradition française des Balzac ou Zola, vous risquez d'être un peu déçu par le picorage superficiel de Dos Passos (attention, je n'ai pas dit que le livre était superficiel), plus destiné à faire ressentir qu'à livrer une formule toute faite et bien huilée.
Pour ma part, j'hésite entre 4 et 5 étoiles, 4 parce qu'il m'a manqué quelques points d'accroche, 5 parce que dans son style, c'est vraiment bien fait, mais ceci n'est que pure subjectivité, idiosyncrasie, tout ce que vous voudrez, enfin juste mon tout petit avis, autant dire, pas grand-chose.
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La narration est assez complexe, l'histoire pas des plus simples non plus et, comme je l'ai lu il y a longtemps, je vais me contenter de quelques réminiscences.
Collages : c'est un peu la technique narrative du romancier ; nous apprenons les événements par morceaux, que nous avons parfois du mal à situer, souvent à cause des changements de focalisation.
Le personnage principal est la ville, celle de New York, et c'est à son portrait que s'attache Dos Passos, essentiellement, par petits tableaux et non à la seule description de la vie des personnages. Ce qui caractérise la ville c'est son état de décadence, dont la peinture n'est guère optimiste : le désespoir ou la fuite. Enfin, je me souviens du symbole de la frontière : le rêve américain de Jimmy Herf, qui se trouve sur la route, sans un sou et qui irait n'importe où (à l'Ouest ?).
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Je suis de retour après un voyage dans le temps, un aller retour à New-York, pas la ville que nous connaissons , mais New-York du début du vingtième siècle. Elle n'a pas tellement changé, le même bruissement, le va et vient incessant telle une fourmilière. Dans ce brouhaha John Dos Passos nous fait découvrir un univers "Manhattan Transfer" une ville et des êtres humains. Sur une période allant de la première guerre mondiale au crack boursier de 1929 jusqu'à la prohibition.
John Dos Passos nous raconte à sa manière des vies de femmes et d'hommes, des destins plus ou moins contrariés, moins linéaires que ces rues et avenues.
Nous suivons particulièrement deux personnages Elaine Oglethorpe et James Herf. Deux tranches de vie particulièrement bien décrit par Dos Passos. le point commun de ces deux jeunes gens c'est la solitude, l'ennui, l'éternel insatisfaction, ils trainent leurs mal-être dans les endroits à la mode, rencontrent des personnes pas toujours recommandables dans un début de siècle en pleine effervescence. Elaine est actrice et James Journaliste.
L'écriture de John Dos Passos est particulière, un mélange de nouveaux journalisme à la "Tom Wolfe" et le style "John Steinbeck" c'est mon ressenti. Une belle étude sociologique d'un monde et d'une ville où le " rêve américain" est en train de devenir le leitmotiv d'une société en quête de renouveau. Une belle découverte en attendant de lire sa célèbre trilogie " le 42ème parallèle " suivi de " 1919" et " La grosse galette".
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Manhattan Transfer, la foule américaine y est grouillante et anonyme, en transit. Ça n'est pourtant qu'à quelques uns de ses contemporains que s'intéresse John Dos Passos au fil de cette fresque aux allures de patchwork de vies urbaines, de mosaïque d'histoires citadines, de puzzle de scènettes humaines.

Ils sont une vingtaine, aux conditions sociales variées, débarqués là parfois via le port. De l'avocat au laitier en passant par l'actrice Ellen ou Jimmy le journaliste, le panel de ces bribes de vies est hétéroclite. On les voit en quête d'argent, d'amour, de boisson ou de travail, leurs petites histoires se tissant parfois pour constituer un ensemble plus lisible dans la Grande, la prohibition ou l'avant et l'après 14-18.
Mais si les personnages sont identifiés, le regard porté sur eux se veut neutre et objectif, on pense à une caméra en ville qui les capterait au hasard de leurs discussions, leurs déplacements ou leurs histoires. Ici pas vraiment de psychologie explicite, plutôt des faits, des dialogues (incisifs) ou des descriptions. Pourtant le profil des personnages ne manque pas de prendre du relief au fil d'un temps en ellipse, dilaté sur près de 30 ans, où l'on peut très bien retrouver l'un d'entre eux de retour de guerre quelques années plus tard, ou un autre prêt à se marier après nous avoir quitté enfant quelque chapitre plus tôt. Des personnages qui finissent par se mêler et s'emmêler, pour former l'écheveau d'une narration libre (et heureusement chronologique).

L'espace quant à lui y est immuable. Tout se passe dans cette ville américaine métallique, bruyante et poussiéreuse, rendue omniprésente par des descriptions récurrentes :« Dans la lourde chaleur, les rues, les magasins, les gens endimanchés, les chapeaux de paille, les ombrelles, les tramways, les taxis surgissaient, l'environnaient d'étincelles, l'effleuraient d'éclairs tranchants, comme si elle eût marché parmi des coupures de métal. Elle se frayait un chemin à travers une inextricable mêlée de bruits, rugueux et tranchants, en dents de scie.».
Pour autant, la ville ne semble pas être le personnage principal à elle seule, sans les êtres humains qui la composent, la font, la quittent ou la retrouvent, dont elle voit les générations se succéder : «Si j'ai mon enfant, l'enfant de Stan, il grandira pour être cahoté lui aussi le long de la 7ème avenue, sous un ciel en fer battu d'où la neige ne tombe jamais, et il regardera aussi les fruiteries, les enseignes, les maisons en construction, les camions, les femmes, les petits commissionnaires, les policemen...».
Les êtres se succèdent et la métropole reste, un siècle plus tard on n'a pas trop de mal à reconnaître New-York, ville d'acier et de lumière qui attire ou rejette, engloutit et oppresse. La description qu'en fait Dos Passos est invariablement sombre, sinistre, avec une succession d'incendies, de meurtres ou de suicides en arrière-plan.

Ce roman de 1925 est pour le moins édifiant dans sa construction en forme de mosaïque. Avec un côté moderne, intemporel. Un air d'évidence aussi, un je ne sais quoi de « mais oui bien sûr », comme on pourrait se dire d'un grand roman. Une première lecture qui m'a captivé, malgré les efforts d'attention qu'elle m'a demandé par moments... Et qui appelle sûrement à une seconde, pour une meilleure appréhension.
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Une histoire de gens venus d'horizons totalement différents, et d'un lieu, la ville cannibale de New-York au début du XXe siècle.
Le titre vient de ce que l'écartement des rails entre le continent américain et l'île de Manhattan n'était pas le même et qu'il fallait aux voyageurs changer de train. Les employés du chemin de fer criaient alors : « Manhattan transfer ».

« Manhattan transfer » résonne comme le nom d'un hall de gare où les gens se croisent, inconnus les uns des autres, mélanges d'existences bigarrées. C'est un roman fourmilière.
Ecriture cinématographique, mouvement perpétuel des protagonistes, croisements de trajectoires de vie, multiplicité des acteurs font vite perdre le fil et transformer le déroulement de l'action en une symphonie cacophonique. le bruit est un élément essentiel dans ce roman. Si l'on y est pas préparé, ce « grouillement » de vie, ce bouillon de culture, peut vite dérouter. le secret est qu'il ne faut surtout pas s'attacher à tel ou tel personnage, bien au contraire, il faut les regarder passer, chacun avec leur propre petite histoire. Il n'y a ni début, ni fin, c'est un peu comme si l'auteur avait décrit un ciel constellé d'étoiles filantes.
Immédiateté, jaillissement, absence d'horizon. le regard ne porte jamais sur l'avenir mais reste fixé sur l'instant présent dans ce qu'il a de plus spontané.
La ville de New-York est le prétexte pour John Dos Passos pour faire jaillir cette multitude d'existences.
L'auteur expérimente le style « courant de conscience », tout comme son contemporain William Faulkner, qui consiste à transmettre les pensées personnelles du personnage, notion de monologue intérieur, en les écrivant, noyées dans le corps de l'histoire, encadrées par une ponctuation adéquate. Il est l'annonciateur des « cut-up » de William S. Burroughs.
C'est un style qui participe largement à la difficulté de la lecture. C'est une oeuvre que l'on n'aborde pas comme les autres. On n'entre pas dans un roman de John Dos Passos comme dans un moulin à vents.
Traduction de Maurice-Edgar Coindreau, professeur de littérature du XVIe siècle à Princeton de 1922 à 1961 et découvreur de talents comme Steinbeck, Hemingway, Faulkner, Flannery O'connor, Truman Capote ou Dos Passos qu'il présente à son ami Gaston Gallimard.
Editions Gallimard, Folio, 505 pages.
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Manhattan Transfer est publié en 1925, pratiquement au même moment que le grand Gatsby de Scott Fitzgerald, et l'Ulysse de Joyce.
Le grand Gatsby présente la bourgeoisie et ses « affaires »de la « génération perdue » expression rapportée par Hemingway dans Paris est une fête. (Gertrude Stein se plaignant auprès d'un garagiste à Paris, le mécanicien lui répond : « vous êtes tous une génération perdue ». Parmi eux, Faulkner, Dos Passos, Hemingway, Joyce, Scott Fitgerald,
La manière stylistique totalement nouvelle de « Gens de Dublin » nous permet de comprendre l'écriture , nouvelle elle aussi, de Manhattan transfert.
Plus encore, et bien qu'aucun film n'ait intéressé Hollywood, le voyage que Dos Passos fait en Russie et sa rencontre avec Eisenstein, lui inspire un roman coloré et surtout construit en petits plans très différents les uns des autres. Comme un film.
Pour l'européenne que je suis, Manhattan transfert est le roman du foisonnement des habitants, parfaitement raconté par le nombre de personnages qui s'égrènent les uns après les autres, et celle de la solitude complète de chacun d'eux. Les récits s'enchainent sans qu'aucun chapitre ou marque nous indique que le héros, ou plutôt l'anti-héros, a changé.
le personnage principal du livre est la ville, ou plutôt le port de cette île, à travers trois décennies. Manhattan est une île, pas moyen ni d'y entrer ni d'en sortir, sauf par le port (et aussi le pont construit en 1909, unissant Brooklyn à Manhattan)
Les couleurs des habits de chacun sont toujours décrites, comme un rappel (ceci est ma vision et simplement elle) de la grisaille des rails, du port, de l'acier. Il y a du vert, du bleu, du jaune dans les habits, mais une sorte de complaisante immobilité les figent tels qu'ils sont, cherchant leur chemin, trompant le mari qui travaille, attrapés par le tramway.
Les hommes forment une tapisserie multicolore, ils ne semblent pas dans la première partie avoir un quelconque rapport les uns avec les autres, les saynètes se suivent et ne se ressemblent pas. Ils caractérisent aussi des types d'hommes différents : le politique, l'ambitieux, le mendiant, celui qui échoue coûte que coûte, le criminel qui se suicidera, l'actrice femme fatale, dont nous assistons à la naissance et au rejet de sa mère, le marchand, les juifs, constamment présents.
Ceci sur un laps d'une trentaine d'années.
Comment tout ce petit monde se rencontre-t-il ? autour d'un verre. Après la ville, le deuxième personnage qui lie les individus, c'est la boisson.
Pour entrer dans le roman, j'ai studieusement noté tous les personnages les uns après les autres.
Puis j'ai eu vraiment l'impression de « lire » un tableau d'Edward Hopper.
Et là, « Manhattan transfert » a comme sauté sur mes genoux, j'avais besoin de cette grille de lecture. Ce n'est qu'en regardant Hopper, ses verts, ses bleus, ses jaunes, et la solitude de chacun de ses modèles, la manière plaquée et immobile de chacun, que l'on apprécie Manhattan transfert de Dos Passos.





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En relisant ce roman vingt ans plus tard, j'ai pu apprécier cette fois-ci la richesse et la beauté de l'écriture de John Dos Passos, l'un des représentants à la fois du Stream of Consciousness et de la Génération perdue. Ses personnages SONT la génération perdue. Celle qui a grandi pendant la première guerre mondiale, qui a vu la fin d'une Amérique puissante et libre tombée dans la répression - La prohibition de l'alcool - et qui est maintenant à l'aube du krash boursier de 1929.
Ellen, petite fille solitaire et charmeuse, devenue une comédienne poursuivie par les hommes, complexe, secrète, superficielle mais aussi profonde. Jimmy, riche orphelin devenu journaliste, ne sachant que faire de son existence.
Ce sont différentes strates sociales qui sont présentées ici dans ce roman ambitieux, qui se rencontrent dans les rues quadrillées de Manhattan. Tous les personnages partagent néanmoins une attitude désabusée, perdue, désireuse de se sortir de là, mais comment quitter New York, la ville ultime?
John Dos Passos pénètre dans les émotions des hommes mais surtout des femmes de son époque avec une grande acuité et sensibilité. J'ai été très touchée par Ellen, notamment, figée dans le rôle de la starlette aux pieds desquels tombent tous les hommes et qui, elle, ne parvient pas à aimer ni à être heureuse.
Le Manhattan des années 20 est dépeint avec un regard de sociologue, grouillant, multiculturel, froid et scintillant.
J'ai adoré relire ce roman, un vrai plaisir, malgré la mélancolie qu'il dégage.
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Aimer New York et adorer la littérature américaine, c'est incompatible avec le fait de ne pas avoir lu Manhattan Transfer. Erreur réparée!
Et de fait, on est servi sur les deux tableaux : du côté d'un grand roman américain qui mérite amplement sa célébrité avec son évocation incroyablement vivante et crédible de la vie américaine dans le premier quart du 20ème siècle; mais également et surtout par le tableau dressé de la ville de New York, tout en pointillisme dans la description de la ville où les tramways aériens courent au-dessus de rues sales ou d'avenues trépidantes et les néons crépitent sans arrêt, rouge, jaune, vert, marquant le temps de la ville qui ne dort jamais. Pointillisme également dans la mise en scène de nombreux personnages de tous milieux, évoqués par petites touches séparément puis dans leurs interactions, tantôt fébriles de rêves et d'envies, tantôt écrasés par le destin que la ville semble imprégner dans leur chair. Superbe!
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Imaginons une grosse pomme que Dos Passos tente de broyer dans un mixer vertigineux où fulgurent les lignes de fuites du pont de Brooklyn, le vacarme des steamers, l'irrisation multipliée des néons sous la pluie, la valse des affiches d'un new street art, les bruits chaotiques d'une ville bourdonnante, verticale, insomniaque, les sourdes rumeurs de la première guerre mondiale, Ellis Island, la poésie fugace et colorée des rails de métro et des jardins, des eaux lourdes de l'Hudson.... New York ville spectacle et ville refuge, pétaudière des temps modernes de Chaplin, de tous les voyages, tous les trafics, démesurée, hypertrophiée dans son luxe et sa misère, que traversent un journaliste, un marin, une comédienne, un avocat.... attirés par le fric, la violence, la couleur des rêves, ce rêve américain qui rassemble tous les continents épris de liberté, d'un nouveau monde.
Dos Passos par la technique du collage a fait de cette ruche de béton une grandiose symphonie où se tissent, d'entrelassent des vies fugitives, émiettées, disparates, fauchées ou mondaines et tellement incertaines. Chacun veut sa part de bonheur distribué à la va comme je te pousse, donne moi la salade, je te donne la rhubarbe.
Ce livre donne le tournis, roman où les humbles fleurs de rue, les couleurs du ciel brouillees, l'éclat du fleuve, rythment l'immense cacophonie de ces vies qui veulent vivre, qui réclament leur place au soleil, avec les grèves syndicales, les petits arrangement, l'art de la débrouille de Congo le pauvre marin noir devenu sur le tard un magnat New yorkais. En somme Dos Passos déplie dans un miroir la multitude et le grandiose désordre d'une ville démesurée dont il orchestre à la Berstein le bruit et la fureur, et en contre point, par fragments, distille la solitude existentielle des Nighthawks telle que l'a captée Edward Hopper. Il est difficile de faire plus americain que ce roman de Dos Passos.
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Manhattan Transfer, édité en 1925, traduit et publié par Gallimard en 1928, offre en première lecture, tous les plaisirs et toutes les inquiétudes propres à un dépaysement littéraire complet et réussi, pourvu que l'on consente tout simplement à s'y abandonner. L'écriture puissante, éminemment suggestive, de Dos Passos donne à cet imbroglio urbanistique et humain une énergie détonante où le processus narratif aussi inattendu que surprenant fait oublier toutes références à des formes romanesques familières ou prévisibles. Une expérience de lecture unique qui pourrait seulement désarçonner s'il n'y avait à la clé la découverte vibrante de l'aventure irrésistible de la construction d'une ville, New-York, de Manhattan en particulier.

Tout commence avec une maternité où deux enfants naissent le même jour et l'arrivée concomitante, du nord de l'Etat, d'un homme qui fuit sa cambrousse et cherche le chemin le plus court pour rejoindre Broadway. le lecteur est immédiatement "au parfum" : juxtapositions de vies éparses, addition de récits qui ne vont cesser de se croiser et de proliférer jusqu'à la fin du roman même s'ils peurent parfois sembler décousus. La crainte de s'y perdre cède bientôt au désir de s'y fondre. Magie d'un voyage dans un flux de dialogues dont la langue est tout sauf léchée, voilà à quoi nous convie Dos Pasos. Manhattan Transfer, c'est la transhumance des peuples, leurs mouvances singulières et multiples, souvent incertaines, imbriquées les unes dans les autres, comme autant de contributions solidaires à l'édification collective de la ville. Symbole entre celle-ci et l'ensemble de ceux qu'on y rencontre : la famille d'Ed Thatcher ; Bud et ses déboires d'ouvrier agricole ; Gus Mac Neil, le laitier à l'ascension sociale et politique fulgurante, sa femme Nellie ; l'avocat Baldwin ; Stan Emery un peu déjanté ; Jeff et Emily qui ont recueilli Jimmy à la mort de Lily Herf sa mère ; Jojo. On y parle de théâtre avec Ellen et de journalisme avec Jimmy ; de trafics avec Congo Jake et Emile ; de Wall Street et de Joe Harland ; de Ruth et Cassie et de bien d'autres que j'oublie. Peu importe leur psychologie, les voir, les entendre et les suivre au rythme où ils vont suffit à notre compréhension.

C'est en hélant un taxi ou au croisement d'une rue, au hasard des carrefours, des blocks et des avenues, des quais de débarquement, dans des cafés pouilleux, des restaurants plus chics ou des drugstores pimpants, qu'ils se rencontrent. Des faits divers, incendies (nombreux) ou accidents de la circulation, suicides, renversent les parcours. Au hasard d'embauches ou de grèves, de licenciements, de trafics illicites, de réussites spectaculaires et d'infortunes, de séparations, mariages ou de divorces, leurs vies se font et se défont, parfois poignantes jamais désespérantes. Ils boivent pas mal, fument beaucoup, s'empoignent, s'écroulent, s'aiment et se haïssent, s'invectivent et s'épuisent en parcourant Manhattan qu'ils inventent à leur tour. Car le personnage principal de cette fresque exubérante, c'est sans doute elle, l'île de Manhattan. Ici commence l'Amérique en 1928, à cet endroit exact où l'écartement des rails doit s'adapter à ceux du continent. Manhattan qui prête ses paysages urbains bruyants, ses infrastructures et son architecture balbutiante au formidable défilé d'images et de situations, d'instantanés de ce "direct" socio-urbanistique de forme littéraire empruntant aux moyens du cinéma : plans successifs, portraits rapides et incisifs, impressions fugitives. Transports. Départs. Allers-Retours. Mais aussi, ciels et intempéries, horizons dégagés ou obscurcis, saisons, sensations, odeurs et humeurs de la ville, lumières naturelle ou artificielle, affiches et enseignes, déploient page après page le gigantesque film de la ville en train d'advenir.

Ils sont tous migrants ou descendants de migrants et issus des milieux sociaux les plus divers, ce qui pourrait constituer leur dénominateur commun. L'idée de la réussite les taraude, pour certains, mais ils sont plus souvent préoccupés par leur survie alimentaire quotidienne. Roman social - roman d'une édification sociale plutôt, publié peu avant la première grande crise financière capitaliste mondiale - qui n'assène jamais de vérités mais montre la réalité sans fard. Les vies s'entremêlant sans qu'aucun dénouement ne prévale sur l'autre. Rien n'est affecté, tout n'est que mouvement. le melting-pot américain trouve ici son terreau d'origine, c'est l'histoire de ces migrants qui fait Manhattan et Manhattan qui fait leur histoire. le temps historique et politique traverse cet espace. du coup d'Agadir à Sarajevo (de leurs conséquences boursières sur Wall Street) dont les conversations se font l'écho lointain, c'est la guerre en Europe - il y a un avant et un après 14/18 - qui structure la composition du texte en trois parties. Un fragment allusif couronne et illustre chaque chapitre, en scansion régulière, rapprochant les foules humaines industrieuses, l'architecture, la fragilité des hommes et de leurs civilisations urbaines, en morceaux quelquefois poétiques, journalistiques ou musicaux.
L'oeuvre s'achève (prophétique ?) sur l'évocation de Ninive, et sur un nouveau départ de Jimmy, sans but ni destination précise. Manhattan Transfer emmène loin, bien au-delà des gratte ciels new-Yorkais.

Cinq étoiles très méritées... Respect comme on dit.




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