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Critique de Lucilou


De Fiodor Dostoïevski, je ne connaissais que "Crime et Châtiment" étudié et aimé, relu et adoré. J'avais projeté (je projette encore) d'un jour lire "Les Frères Karamazov" et "L'Idiot", surtout "L'Idiot". Il me fait tellement envie celui-ci! Quant aux "Nuits Blanches", j'avoue que je serai passée complètement à côté sans le cinéma, sans Luchino Visconti puis James Gray.

J'étais encore étudiante quand j'ai vraiment découvert la filmographie du premier (mon père avait bien tenté de m'amadouer avec "Le Guépard" mais en ce temps-là, j'étais trop petite et je garde de ce premier visionnage le souvenir d'un ennui profond): j'ai commencé avec "Rocco et ses frères" qui reste mon préféré et l'un des films que j'aime le plus au monde. Ensuite ce furent "Les Damnés", "Ludwig", "La Mort à Venise"... Après avoir épuisé les opus les plus connus du maestro me restaient à découvrir les oeuvres "mineures": "Senso", "Les Amants Diaboliques", "La Terre tremble" et... "Les Nuits Blanches" dans lequel Marcello Mastroainni avait le rôle principal, celui de l'amoureux fragile qui tente de faire oublier à une Maria Schell diaphane l'homme qui la fait souffrir et pleurer le long du canal de Livourne. le film, en noir et blanc, est aussi déchirant que délicat et d'une beauté ensorcelante, un peu éthérée... Marcello Mastroainni m'y avait brisé le coeur. A peu près à la même époque, je découvrais le plaisir des cartes d'abonnement au cinéma (il aura fallu attendre trois confinements pour me faire renoncer à mes deux ou trois séances hebdomadaires !) et "Two Lovers" de James Gray sur grand écran (ô temps béni!). L'intrigue y était sensiblement la même que dans "Nuits Blanches" mais le film substituait la violence et la douleur à la grâce. le film de Gray est un monument d'amertume et de désespoir. Il est sublime. En me renseignant au gré d'interviews et d'articles dont les similitudes entre les deux films avaient été remarquées par leurs rédacteurs, j'ai eu le fin mot de l'histoire: le point commun, le trait d'union entre ces deux pépites c'était Fiodor Dostoïevski et l'un de ses textes, roman court ou nouvelle substantielle. Je me suis donc procurée les "Nuits Blanches" de l'auteur... et je ne l'ai pas lu. Je crois que je craignais que sa lecture n'affaiblisse, n'affadisse les deux films que j'adorais.
Jusqu'à ce weekend.

"Nuits Blanches", c'est avant tout une histoire d'amour. Une histoire d'amour triste. C'est l'histoire d'un mirage, d'une illusion. D'une rencontre qui aurait pu être mais qui ne sera pas. C'est un rendez-vous manqué dans les nuits de Saint-Pétersbourg. C'est la capture de ce moment fugitif et éphémère, fulgurant, celui du "juste avant", quand tout est encore possible avant... avant le reste.
C'est une fulgurance, comme une étoile filante.
Le narrateur est un jeune homme timide, solitaire et romantique qu'on devine d'une extrême sensibilité et presque inadapté au monde qui l'entoure. C'est un idéaliste, un rêveur aussi. Vous vous souvenez de Baptiste Debureau dans "Les Enfants du Paradis"? C'est à lui que m'a fait penser le personnage de Dostoïevski. le presque manifeste de ce dernier quand il raconte ses rêves et ses chimères à Nastenka, c'est Baptiste déclarant à Garance: "Quand j'étais malheureux, je rêvais (...) je leur échappai en dormant, en rêvant. Oui, je rêvai. J'espérais, j'attendais. Je vous voyais peut-être déjà dans mes rêves."
Un soir, alors que notre héros déambule dans les rues sombres de Saint-Pétersbourg, il avise une jeune fille en pleurs, à demi-cachée par les ténèbres. Alors qu'il s'apprête à passer son chemin, trop intimidé pour oser lui parler, alors qu'il s'apprête aussi à faire d'elle l'une de ses improbables et belles chimères, un inconnu tente d'agresser l'apparition. le narrateur aussitôt vole à son secours.
Cette nuit-là, le rêveur et la belle éplorée se raconteront leurs histoires. Lui évoquera sa solitude et les rêves qui lui tiennent chaud; elle reviendra sur le chagrin d'amour qui la terrasse. Il n'en faut pas plus au jeune homme pour s'éprendre de Nastenka, sans oser toutefois le lui dire. Les deux jeunes gens se quittent sur la promesse de se retrouver le lendemain, ou peut-être le jour d'après et de demeurer des amis.
Lors des nuits suivantes, les révélations, les projets, les larmes, les rêves. L'espoir surtout, l'espoir fou jusqu'à la dernière nuit. Jusqu'à la chute.

J'avais beau connaître l'histoire, elle m'a saisie à nouveau. Bien sûr, il y a sa tournure sentimentale, un brin mélo, ce romantisme exacerbé qui m'ont plu mais qu'on pourrait trouver mièvre et naïf. Seulement, il n'y a pas que cela dans "Nuits Blanches" qui cache une toute autre dimension: quel noirceur, quel cynisme aussi de la part de Dostoïevski qui s'offre parfois au détour d'une phrase le luxe de l'ironie, comme pour dénoncer les les fantasmes des rêveurs, comme un rêveur repenti et devenu amer.
Rien ne dure et tout n'est qu'illusion, mirage. Tout est vanité, même les sentiments les plus purs... D'ailleurs, au fond, sont-ils vrais ces sentiments-là? Ou ne sont-ils que les égarements les chimères des hommes rendus à demi-fous par l'existence?




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