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Critique de raton-liseur


J'ai mis du temps à lire ce livre, que j'avais choisi à cause de son titre énigmatique et de son résumé qui me rappelait le Peintre de batailles, d'Arturo-Perez Reverte. Puis après l'avoir fini il y a quelques jours, je me suis demandé comment j'allais bien pouvoir en écrire une note de lecture. C'est l'écoute fortuite d'un entretien radiophonique de Michaël Ferrier, un autre auteur, dont je n'avais jamais entendu parler et qui vient de sortir un livre sur son enfance au Tchad, pendant laquelle il a côtoyé la guerre, qui m'a fourni la réponse le lendemain. Il parlait de la guerre donc, et surtout de l'innommable de la guerre, de ce qu'on y apprend et, intrinsèquement lié, de l'intransmissibilité de cet apprentissage. Sans le savoir, il résumait finalement assez bien le livre que je venais de finir.
L'histoire d'un photographe de guerre, mort à l'oeuvre, et qui lègue à son ancienne compagne quatre clichés, avec les journaux de terrain qui les accompagnent, et qui sont toute son oeuvre, la quintessence de sa réflexion sur la guerre. On lit ces journaux et on découvre ces photos en même temps que cette femme, Jeanne et que Gilles, le galliériste qui pourra en faire une exposition. C'est l'occasion, en quatre parties, de revisiter les grands conflits de ces dernières décennies. Les conflits qui, je m'en suis rendue compte en lisant ce livre, sont ceux qui marquent mon éveil à la conscience politique, les conflits de mon adolescence, au moins pour les deux premiers, le génocide au Rwanda et l'implosion de la Yougoslavie. Viennent ensuite l'Afghanistan et l'Irak, qui sont les conflits qui closent pour moi cette période de prise de conscience et l'entrée véritable dans l'âge adulte. J'ai été très sensible à l'évocation des deux premiers conflits, moins à celle des deux autres, peut-être parce que je commençais à me lasser d'une certaine répétition, peut-être parce que ces conflits n'ont pas la même signification pour moi.
A chaque fois, on suit Enguerrand, le photographe, dans sa découverte du conflit, dans ses descriptions et ses expériences. Et chaque conflit est pour lui une révélation d'un aspect de la guerre, qu'il matérialise par un cliché unique, qui est ce qu'il appelle le véritable visage de la guerre et non, comme ses autres clichés, des manifestations des conséquences de cette guerre. Tout cela entre en résonance avec différentes oeuvres, et c'est un livre qui oscille étrangement entre un certain onirisme et un grand didactisme.

Il m'est difficile de résumer ce livre ou même d'étayer mes impressions de lecture sans en dévoiler trop. Je me contenterai donc de dire que c'est un livre finalement assez dérangeant. On tombe vite, avec ces clichés très travaillés et pensés, avec ce parti pris de les faire découvrir par un homme d'art, dans une certaine esthétisation de la guerre, qui m'a gênée à partir de la moitié du livre à peu près, et qui m'a forcée à faire une pause dans ma lecture. J'ai tout de même fini ce livre, donc j'ai trouvé la fin moins travaillé, les phrases moins polies, comme si l'auteur avait voulu se débarrasser d'un sujet trop encombrant, ou bien comme si son éditeur le forçait à rendre un texte non encore abouti, je ne sais.
La fin est cependant voulue, la façon que le livre a, en quelque sorte, de faire un tour sur lui-même et de revenir à son point de départ. Et je me demande ce qu'il me reste de cette lecture maintenant que je l'ai menée à terme. Un sentiment de gâchis peut-être (le gâchis qu'est la guerre, je le précise, rien à voir avec l'ouvrage de Denis Drummond), un sentiment d'intransmissibilité aussi, une intrasmissibilité à laquelle l'auteur s'est cognée, et qu'il a su rendre, au travers de ses phrases polies, au travers de tous ces éléments qu'il ajoute à l'intrigue principale : la neige sur Paris, l'urgence d'aimer ou de vivre, l'amour et le deuil qui se mélange, l'excitation de la découverte, le goût du café.
Un livre étrange donc, face auquel j'ai du mal à me positionner clairement, qui me fait botter en touche. Un livre qui oscille entre les horreurs factuelles décrites et la mise en scène qui rend la langue brillante, belle et désirable. Une grande adéquation, donc, entre le sujet et la forme. En définitive, le mien que je puisse faire pour décrire ma lecture est de dire que je ne serais probablement pas allée voir cette exposition de photos, malgré l'intérêt que je porte au sujet, et que la description clinique qui est faite de chaque cliché m'a amplement suivi, même si elle m'a laissée sur ma faim.
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