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Critique de Butylphenyl


Sorry est un oxymore qui mêle l'excellent – voire le génie – et le médiocre.

Par conséquent, si j'étais mauvaise langue (ce que je ne suis que les jours impairs des années bissextiles), j'interpréterais volontiers le titre de ce thriller – Sorry – comme une excuse inconsciente de l'auteur à son lectorat. Comme un clairvoyant "désolé".

Ce serait toutefois être médisante car le roman de Zoran Drvenkar est loin d'être abominable – il est simplement décevant – et que le titre est en réalité un clin d'oeil à l'agence créée par les quatre amis d'une part et au thème qui prédomine dans ce thriller d'autre part, j'ai nommé, le pardon.

Sans doute en attendais-je trop, sans doute n'aurais-je pas dû démarrer simultanément l'haletant Battle Royale – qui est for-mi-dable mais j'aurai l'occasion de vous en reparler –, il n'empêche qu'indépendamment de tous ces éléments, Sorry a également ses torts.

À commencer par l'idée originelle – et originale ! – du thriller, à savoir une agence chargée de s'excuser pour les autres, qui m'avait profondément intriguée à la lecture de la quatrième de couverture et qui, pour tout vous dire, avait même motivé mon achat mais qui est malheureusement survolée. La société Sorry est en effet présentée dans la première partie du récit, de sa création jusqu'à sa mise en application en passant par la répartition des tâches entre les quatre amis, mais disparaît peu à peu au profit de la traque de l'assassin.

Traque légitime, certes, au vu du genre, mais qui aurait pu – et dû – selon moi coexister avec une réflexion sur l'agence dont le succès phénoménal est, somme toute, le reflet d'une nécessité universelle : "Les gens ont la culpabilité qui leur suinte par tous les pores. Wolf, nous représentons le nouveau pardon. Oublie la religion. Nous sommes les intermédiaires entre la faute et le remords". le hic, c'est que l'auteur se concentre uniquement sur les conséquences d'une telle entreprise et élude complètement les causes, qui me semblent pourtant tout aussi, sinon plus, passionnantes.

Il aurait ainsi été intéressant d'autopsier la notion d'excuse et ce qu'elle recouvre : pourquoi aujourd'hui plus que jamais les Hommes sont pétris de remords et rongés par la culpabilité ? Y-a t-il un lien avec le déclin de la religion ? Si oui, lequel ? Par ailleurs, l'excuse est-elle recevable si elle est faite par un tiers, comme c'est le cas ici, et non par la personne qui a fauté ? le pardon n'est-il pas alors plus "social", "marketing" que moral et humain ? Et enfin pourquoi avoir recours à un intermédiaire ?

Autre élément effleuré – et encore, c'est beaucoup dire ! – par Zoran Drvenkar, et pas des moindres, le lieu. L'intrigue se situe en effet en Allemagne et plus précisément à Berlin dont on n'apprend, à mon grand dam, presque rien. Seuls deux endroits se distinguent : l'un urbain, composé des appartements que "visitent" les quatre amis, l'autre plus verdoyant car au bord du lac Wannsee où ils ont élu résidence. Or que Berlin ne soit jamais vraiment décrit et ne fasse office, finalement, que de vague décor a considérablement entaché la vraisemblance du récit.

Par ailleurs, la quatrième de couverture est doublement trompeuse ce qui agace profondément la lectrice que je suis. En premier lieu, Sonatine nous parle d'un roman "à la construction exceptionnelle – ce que j'approuve totalement mais j'y reviendrai – et au style remarquable". C'est là que le bât blesse. le style de Zoran Drvenkar est, comme nombre d'auteurs de thrillers et de polars, assez simple, plutôt laconique afin, je suppose, d'exacerber le suspense et de stimuler le rythme du récit. Il est donc d'une sobriété efficace mais en rien remarquable à mes yeux.

En second lieu – et là ce sera un mini coup de gueule – la quatrième de couverture ne spécifie à aucun moment que l'intrigue repose sur une sombre histoire de pédophilie (!) et donc, indirectement, que Sorry contient des descriptions d'une cruauté effroyable et assez insoutenable. Outre le fait que j'estime qu'il n'est pas indispensable, pour "déranger" son lecteur, de brosser les viols d'enfants dans leurs plus minutieux détails, je n'ai pas non plus apprécié d'être "trompée" de la sorte car je ne me serais jamais aventurée dans ce thriller si auparavant j'avais su qu'il traitait, en filigrane, de pédophilie.

Ceci étant dit, Sorry se démarque positivement par sa construction narrative et sa tonalité – qui constitue d'ailleurs selon moi sa plus grande qualité – pour le moins surprenantes. Chaque chapitre porte en effet sur un personnage parfois clairement désigné (Kris, Tarama, Wolf, Frauke) parfois simplement signalé par un mystérieux "toi" ou "l'homme qui ne devait pas être là" ce qui attise fortement la curiosité. En outre, la chronologie des chapitres est bousculée par des en-têtes temporelles ("entre-temps", "avant", "après").

Sorry s'avère donc être un aussi brillant que suffocant puzzle chronologique et identitaire qu'il vous faudra patiemment recomposer. Peut-être est-ce d'ailleurs cet effort constant placé dans l'enchevêtrement astucieux des chapitres et dans l'entretien méticuleux du suspense qui fait que Zoran Drvenkar a malencontreusement négligé le cadre (Berlin) ou encore les personnages, eux aussi peu développés, encore moins attachants – personnellement je n'ai pas besoin de m'attacher ou de m'identifier pour apprécier un roman mais je le signale quand même pour ceux pour qui c'est indispensable.

Enfin, à défaut de sonder la notion d'excuse comme je l'explique ci-dessus, ce thriller interroge le pardon, la culpabilité ou encore la rédemption. Sorry pose entre autres la question suivante – et fort judicieuse selon moi : faut-il pardonner ? Il m'est malheureusement impossible de développer mon argumentation ici, sous peine de vous spoiler mais disons simplement que Zoran Drvenkar pulvérise toute trace de manichéisme en nous avec brio et parvient à nous faire aimer – ou du moins à ne pas nous faire détester –, comprendre (?) des personnages aux actes pourtant immondes.

En résumé, de regrettables lacunes, une quatrième de couverture trompeuse mais une construction narrative singulière, haletante et une réflexion très intéressante sur le pardon. Un thriller antinomique donc et dont il est impossible, quoi qu'on en pense, de sortir indemne.

Plus de détails (mes rubriques "n'hésitez pas si ; fuyez si ; le petit plus ; le conseil (in)utile, en savoir plus sur l'auteur") en cliquant sur le lien ci-dessous.
Lien : http://blopblopblopblopblopb..
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