Sur une place, une statue de bronze médite. Cette statue représente
Condillac, savant philosophe des lumières. C'est une Statue, ce n'est donc pas
Condillac, et le choix de ce personnage n'est cependant pas anodin, puisque qu'il fait référence à son
Traité des sensations” : Condorcet imagine une statue à laquelle il accorde progressivement chaque sens, pour proposer une démonstration de philosophie empirique.
Roland Dubillard reprend donc ce principe pour une réflexion à bâton rompu, de façon tout aussi empirique, mais qui dérive parfois vers une pointe d'absurde, de décalage, ou vers des pensées sur l'art, la perception, la matière, des réflexions contemporaines de l'écriture de cette novella, comme celles des mouvements artistiques Support-Surface, Minimalisme, Arte Povera… évoquant les problématiques ancrées dans les années 70. Puis par moments, on s'éloigne vers la poésie dans des moments d'égarement lyrique (ou alors, c'est justement la poésie qui nous remet les pieds sur terre).
Roland Dubillard, avec son détachement, sa nonchalance, nous propose une voie pour pouvoir apprécier une oeuvre d'Art, détachée de sa signification première, il prend le contrepied des analyses classiques, nous offre une autre façon de regarder, de voir, c'est juste du bronze, la pluie lui tombe dessus, les humains déambulent autour d'elle… Il retourne les théories de Condorcet contre ceux qui ont conçu et commandité cette sculpture, tout en la rapprochant de la pensée empirique de Condorcet, chaque détail est l'occasion de s'émerveiller, chaque détail, chaque concept, lance une nouvelle réflexion.
À l'heure où on envisage de déboulonner les statues, on en oublierait presque l'essentiel, l'espace qu'elles occupent, leur matériau, leur forme, leur inaltérabilité, bref, tout ce qui apporte une réflexion, une poésie, une âme, loin des commémorations partisanes.
Je trouve toujours ridicule les visites guidées commentées comme si on regardait un album photo de famille : « Ça, c'est la tante Germaine, celle qui s'est remariée avec… ». Prenez le livre de
Roland Dubillard et allez regarder les Statues, c'est la vraie façon de les regarder, humour, détachement, insolence, et poésie.