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Critique de Nastasia-B


Il est toujours risqué d'émettre des jugements définitifs sur des oeuvres sachant à quel point nos opinions sont fluctuantes au cours des temps et nos sensibilités mouvantes. C'est pourtant ce à quoi s'essayent tous les contributeurs de ce site avec les incertitudes qui s'y attachent…

Alors, permettez-moi aujourd'hui, une nouvelle fois de retenter d'émettre un avis, aussi incertain puisse-t-il être, car il est des livres, parfois, qu'on lit et qu'on ne devrait pas. Des livres si distants, si irrémédiablement loin de nous-mêmes ou de ce que l'on attend de la littérature, qu'on sait, dès l'entame, qu'on est, le livre et nous, inconciliables.

De manière générale, j'ai beaucoup de mal avec ce qui se publie à l'heure actuelle en littérature française, disons depuis une cinquantaine d'années. le dernier grand bouquin en français, selon moi, est Belle du Seigneur d'Albert Cohen. Donc, sur ce qui se publie depuis, je cherche, je cherche, et à chaque fois je suis déçue.

Périodiquement, des amis à moi, ou des avis que je lis ici ou là, m'indiquent tel ou tel(le) auteur(e), tel ou tel livre spécialement ceci ou particulièrement cela, à ne pas manquer d'après eux. Alors, incontinente, je me jette… eh puis non, décidément non, ça ne m'accroche pas.

Voilà comment j'en suis venue à Jean-Paul Dubois. C'était il y a longtemps, bien avant le pataquès actuel. J'ai mis une éternité à lire ce livre. Pourtant, il n'y a pas à dire, c'est plutôt bien écrit, ça se laisse avaler, ça passe tout seul. Mais de là à tenir au corps, là, en ce qui me concerne, ce n'est pas la même loterie. Il est vrai que j'aime bien, de temps en temps, m'avaler gloutonnement une tranche de pain de mie industriel : c'est moelleux, ça passe bien… Mais franchement, de vous à moi, culinairement parlant, c'est un désastre.

On pourrait dire la même chose d'un bon, brave fromage pasteurisé. Ça passe très bien, ça ne choque pas le palais, jamais, ça n'a ni saveur ni odeur trop appuyée. On mange ça en pensant à autre chose et c'est d'ailleurs fort pratique quand on est engagée dans une discussion intéressante car ça ne nous fait pas perdre le fil de ce qu'on raconte. C'est bien sûr tout à fait différent quand vous rencontrez un sacré vieux fromage féroce, un sauvage, un mal dégrossi, vous savez, avec sa méchante odeur de fin des temps. Là, vous êtes obligée de vous arrêter, de laisser vos papilles au combat, peser le pour et le contre à votre place, et rendre leur verdict. Vous pouvez, en fin de compte, adorer ou détester cette matière malodorante, mais une chose est sûre : cela ne vous laissera pas indifférent(e).

Eh bien voilà tout ce que je recherche en littérature, un quelque chose qui ne me laissera pas indifférente. Et, malheureusement, ce n'est pas en me bourrant la panse de littérature pasteurisée que je risque des excès de jouissance. Alors, ne vous déplaise, j'ai le sentiment qu'Une Vie Française, est à la littérature ce que le Brie de Meaux pasteurisé de marque Président est à la gastronomie : un produit de consommation courante destiné à satisfaire le plus grand nombre mais en aucun cas ce qu'un restaurateur digne de ce nom proposerait à sa clientèle.

Qu'est-ce que j'aime en littérature ? Des personnages, et même, des personnages forts, de ceux qui impriment durablement ma mémoire ; des personnages qui me font penser à la lecture: « Oui, tiens, c'est comme ça, exactement. » Des personnages qui représentent plus qu'eux mêmes, des personnages qui sont un pan de l'humanité à eux tout seuls, des personnages qui ne vieilliront jamais car ils sont éternels, universels, indépassables…

Quand on lit Cyrano, on se dit : « Oh Putain ! la vache ! ça c'est bien dit, ça c'est grand ! » car, plus encore que la beauté du verbe d'Edmond Rostand, on a tous plus ou moins un bout de Cyrano coincé en nous, une grande douleur, une vaste peine, qui n'est certes pas forcément un nez trop long, mais en tout cas, un quoi que ce soit qui joue le même rôle. Quand on lit le Harry Haller du Loup des Steppes, on se dit : « Nom de dieu ! moi aussi j'ai ressenti ça, et avec cette intensité là, bon sang, comme c'est bien vu ! »

Ici, rien. L'auteur se veut drôle, or, le tour comique qu'il essaie d'imprimer à sa narration a le don de m'éloigner systématiquement des personnages, de mettre une distance rédhibitoire entre eux et moi. L'auteur ne se livre pas, selon moi, il fabrique un produit. Il ne met pas ses tripes sur la table ; il reste sagement assis dans son fauteuil à se regarder écrire. Il case deux ou trois bons mots dont on le sent très satisfait (comme le coup de braguette magique), place un ou deux embryons de pensée (plutôt convenus et sans trop d'envergure) et puis voilà, c'est tout, c'est déjà la fin, au suivant.

De plus, l'auteur cherche à faire coller les grandes étapes de la vie de son personnage avec les événements politiques de son pays, à savoir la France (ça, vous vous en seriez douté dès le titre) de la Vème République. (D'ailleurs, à le lire, j'ai le sentiment que l'auteur confond " grands événements politiques " et " échéances électorales ", ce qui, d'après moi, n'a à peu près rien à voir, mais bon, c'est un autre débat.) Et quand bien même ce serait la même chose, en soi, est-ce que cela a une quelconque pertinence, le fait que ce soit Machin président ou Bidule président au moment où le personnage vit tel ou tel événement dans sa vie personnelle ? Quel est l'intérêt ? Est-ce que l'étiquette que l'on colle sur le vaste appareil politique d'un pays a quoi que ce soit à voir avec ce que ressentent ses habitants à un temps t dans leur intimité ?

Ainsi, on croise une foule de personnages, desquels on n'apprend, le plus souvent, presque rien, et donc auxquels, fatalement, on ne s'attache pas énormément voire pas du tout. Si je prends l'exemple de l'épouse du narrateur (personnage important, normalement, s'il en est), eh bien je la trouve totalement désincarnée. Je n'y crois pas. Et lorsque je n'y crois pas en littérature, c'est mauvais signe… La preuve, quand elle meurt, je m'en fous. Sa fille va mal ? Je m'en fous aussi, et pour la même raison, parce qu'il n'aura jamais pris le temps de me la faire aimer ou détester, de me la rendre précieuse ou hideuse, de la rendre indispensable à son histoire.

Et pour chaque personnage c'est un peu le cas. Il entreprend même de parler de ses parents en les désignant par leur nom et leur prénom. Ça vous arrive, à vous, de parler de vos parents en les désignant par leur nom et leur prénom ? Moi, jamais, et ça, mon cher Jean-Paul Dubois, ça a le don de mettre une distance entre vos personnages et moi vis-à-vis de laquelle le mur de Berlin ferait office de parc pour nourrisson. Ça me coupe de tout, je ne suis plus dedans, je deviens totalement extérieure à l'histoire au lieu d'être dedans, précisément, de vivre au rythme des personnages et mon coeur de battre à l'unisson.

Bien évidemment, il y a le passage fameux avec David Rochas qui se masturbe dans son rôti. Certes c'est amusant (sans toutefois faire trop de concurrence à Hegel) mais, quand je m'interroge, qu'est-ce que j'en garde du David Rochas ? Eh bien juste le fait qu'il se masturbait dans les rôtis, en somme, l'archétype du personnage qui ne représente que lui-même, l'archétype du personnage dont la seule raison d'être est de placer une petite scène croustillante mais absolument pas de brosser un pan d'humanité qu'il serait intéressant d'observer.

Et tout est à l'avenant (et pourtant, j'ai choisi le passage probablement le plus truculent de l'ouvrage) si bien qu'en bout de course, je n'en garderai rien, circulez, y a rien à voir. Ceci dit, d'autres que moi ont des avis très différents du mien à propos de ce livre et je vous invite à les consulter pour glaner d'autres sons de cloche. En ce qui me concerne, ce ne sera toujours pas le grand bouquin que j'attendais en littérature française, mais, de ça comme du reste, c'est à vous de juger, car ce n'est, bien évidemment, que mon avis, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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