Une lady, sinon rien

Les bonnes œuvres ? Je ne les ai jamais vus « œuvrer» à quoi que ce soit. Ils ne font rien ! Mais je suppose qu'ils prétendent le contraire.

À quelques rues d'ici, des gens souffraient, mouraient de faim -
d'honnêtes gens, des filles qui usaient leurs forces à l'usine de l'aube au coucher du soleil, des bébés qui n'avaient pas demandé à naître. Ici, les maisons regorgeaient de luxes inimaginables : des draps aussi doux que des fesses de nourrisson, des meubles ravissants sculptés dans un bois sombre qui luisait doucement comme des cerises sous la caresse de la lumière, de lourdes
tentures de velours de la couleur d'un ciel d'été.

Le parfum des fleurs, de la cire d'abeille, d'un soupçon d'eau de Cologne exotique mêlé à une fragrance inconnue lui donnait
l'impression d'être dans un rêve.
Même la richesse avait donc une odeur.
La richesse, c'était toute une ambiance. Nell ne l'avait jamais
connue, mais sa mère la lui avait décrite si souvent qu'elle parvenait sans mal à l'identifier à présent. Par exemple, au moelleux du tapis de laine sous ses pieds, à la qualité du silence. Ici, pas de braillements d'enfants affamés, pas de vociférations dans la cage d'escalier.

Les riches pouvaient se permettre de pleurer leurs morts, et les pauvres bien-pensants s'en faisaient un devoir. Nell n'était ni riche ni bien-pensante.
Pensante, peut-être. Mais ça n'allait pas plus loin. S'abandonner au chagrin était un luxe qu'elle ne pouvait pas s'offrir.

Les classes bourgeoises prêchaient si sérieusement dans la presse les vertus du dur labeur, du savoir et des bonnesmœurs ! Cette scène affligeante aurait réduit à néant tous leurs arguments. La nation était gouvernée par une poignée de chenapans lubriques montés en graine.

Âgée d'une quinzaine d'années au plus, elle était encore capable de sourire des imbécillités qu'on
exigeait d'elle.

Il fallait qu'un homme vous aime plus que vous ne l'aimiez
en retour. C'était le seul moyen d'avoir la paix.

Suzie était une jolie fille
de bonne morale, qui n'avait pas manqué de soupirants. La plupart l'auraient
mieux traitée que Michael. Comme nombre de femmes avant elle, elle avait gâché
sa vie en écoutant les élans de son cœur.

Cette fille était son sosie.
Comment était-ce possible ? Elle se savait d'un physique commun, pourtant cette fille qui avait le même visage était absolument parfaite, sans une seule ridule ni le moindre bouton qui aurait fait d'elle une personne ordinaire. La
photo était comme un miroir magique, une vision d'elle-même dans une vie différente : une vie où elle serait née dans l'opulence, où des caméristes auraient tressé des rubans de soie dans ses cheveux et attaché une fortune en perles autour de son cou
avant qu'elle ne se décide à prendre la pose...