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Critique de KotolineBastacosi


Pour comprendre la genèse de ce roman, qui amorce un virage dans l'écriture durasienne, on saura que la dédicace en revint à Gérard Jarlot, dont s'était éprise Marguerite Duras, décrit comme « quelqu'un qui aimait vraiment l'alcool, qui buvait chaque jour ».il sera fort utile de se rappeler ceci : « C'était un amour violent, très érotique, plus fort que moi, pour la première fois. J'ai même eu envie de me tuer, et ça a changé ma façon même de faire de la littérature : la femme de Moderato Cantabile et celle de Hiroshima mon amour, c'était moi ».
Pour Duras l'alcool est à petite dose un puissant moteur d'écriture. On sait quel fut son parcours de femme et d'écrivain malheureusement imprégné d'alcool. Il n'est donc pas étonnant que ce roman parle de l'enivrement d'une femme désoeuvrée de la Bourgeoisie, qui va trouver dans un petit bistrot le prétexte et l'occasion de fuir sa vie qui l'étouffe, en cherchant à comprendre les motifs qui ont poussé le meurtrier à étrangler sa maîtresse, dont elle a entendu le dernier cri quand elle accompagnait son jeune fils à sa leçon de piano.
En partageant son ivresse et ses paroles avinées avec un ouvrier qui l'incite lui aussi à boire, nous sommes ballotés sur une mer de mots eux-mêmes déstructurés et labiles, ou la syntaxe parfois est bancale, temps verbaux et vocabulaire extrêmement travaillés pour donner l'illusion d'une perte d'équilibre et de maîtrise. Cette sensation de nausée et d'ahurissement éprouvée autant par le lecteur que par les protagonistes ne quittera le roman que jusqu'au dernier mot de l'excipit.

Moderato Cantabile est une chanson d'ivrognes qui se bercent à demi mots et sans se presser d'illusions à coup de vin en sachant parfaitement qu'aucune relation sexuelle ne comblera ce vide chantant . le compositeur Diabelli dans son onomastique incarne le Diable-tentation qui joue les angelots avec l'enfant (qui seul représente le bon sens et la mesure - même s'il ne joue pas en mesure parfaitement. La « modération » n'est pas le propre des deux adultes, en particulier de la mère qui ne peut réaliser son désir d'adultère et se fera ainsi remarquer lors d'un dîner par ses propres invités, avinée complètement et incapable de manger une miette. Sur le plan symbolique ou métaphorique, on remarquera qu'elle ne cessera de triturer son camélia blanc (fleur aussi très à la mode pour signifier une appartenance à la bourgeoisie parisienne dont Duras se moque tout au long du repas avec les plats traditionnels sophistiqués de l'époque, notamment le canard à l'orange) qu'elle a piqué au dessus de ses seins, cette fleur qui représente son intimité de femme désirante mais se privant de cette réalisation de plaisir avec son inconnu. de fait la fleur entêtante tout au long du repas se fane et se déchirera au contact de ses mains, pour assouvir et symboliser une passion désirée - non aboutie.

L'homme Chauvin resté cette même nuit dans le jardin de Madame Desbaresdes, pour l'observer, ne la verra pas le rejoindre. Au contraire, elle vomira, au pied du lit de son fil, son vin accumulé durant toute la soirée, signe que la consommation de la chair est impossible. Image hautement symbolique, le vin restitué est celui d'un sacrifice sur l'autel (tapis de l'enfant) de la chasteté, émanant d'une âme corrompue qui a failli et s'est repentie. Elle s'interdit ainsi toute étreinte.

Les dernières lignes offrent des mains qui se referment sur elles-mêmes, Madame Desbaresdes ne souhaitant peut être qu'une chose, de ne plus exister, à l'image de la femme morte par amour, ou qu'elle s'imagine être morte de plaisir en mourant. Souhaite-t-elle être étranglée par Chauvin ? Oui et non. Ces deux-lá vont ils se revoir ? On ne sait pas. La fin se clôt comme elle a commencé, presque en chantonnant et d'une manière très modérée - la vie est ailleurs, sans doute comme l'amour, la Musique demeure un fil d'Ariane sinueux et labyrinthique.

Bref, Marguerite Duras ne donne aucune piste, laisse la voie ouverte, la voix aussi, ce qui offre au lecteur toutes les possibilités d'interprétation.

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