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Critique de enjie77


Nous sommes à Bucarest, au lendemain des obsèques du dramaturge juif roumain Mihail Sebastian, renversé par un camion, le 29 mai 1945.

Eugénia se souvient, elle nous invite à remonter le temps. Elle nous confie sa belle histoire d'amour avec cet écrivain qu'elle a aimé passionnément mais qui le lui rendait négligemment, amoureux qu'il était lui-même d'une belle actrice, Lény Caler, totalement infidèle et nous pénétrons, avec elle, la terrifiante Histoire de la Roumanie fasciste des années 30 aux années 40.

Madame Irina Costinas, professeure de littérature d'Eugénia, a invité, malgré l'atmosphère antijuive qui règne dans les universités, Mihail Sebastian, de son vrai nom Iosif Hechter. Elle espère inciter ses élèves, en s'appuyant sur le dernier ouvrage de Mihail « Depuis deux mille ans », à penser autrement.

Sous les yeux d'Eugénia qui est issue d'un milieu familial où il est normal de considérer les juifs comme des êtres à part, soient des parasites, soient des familles immensément riches, l'écrivain est agressé par des étudiants, adeptes de la Garde de Fer dont son propre frère est également adhérent.

C'est à cet instant précis qu'Eugénia va prendre conscience de la haine maladive qui submerge la Roumanie et admirant le courage de son professeure, elle va lui prêter main forte pour protéger l'écrivain.

Et Eugénia va se rappeler avoir souligné, avant l'intervention de Mihail, ce passage de l'ouvrage ; début prometteur et annonciateur de l'étincelle de lumière qui va participer à son éveil :

« Boulevard Elisabeta, un groupe d'adolescents en uniforme vendait des journaux.

- Les mystères du sacrifice rituel ! Mort aux youtres !

Je ne sais pas pourquoi je me suis arrêté. D'habitude, je passe mon chemin tranquillement parce que ce cri est déjà ancien, presque familier. Cette fois-ci , je suis resté là, surpris, comme si je comprenais soudain, pour la première fois, le sens de ces syllabes. Etrange. Ces gens parlent de mort et précisément de la mienne. Et moi, je passe à côté d'eux sans faire attention, l'esprit ailleurs, les entendant à peine.

Pourquoi est-il si facile, dans une rue roumaine, de crier « A mort » sans que personne daigne tourner la tête ? La mort me semble-t-il est tout de même une chose assez sérieuse. Un chien écrasé sous les roues d'une auto, cela suffit déjà pour un instant de silence. Si quelqu'un s'installait à un carrefour pour scander, par exemple, « mort aux hérissons ! » je suppose que les passants montreraient un minimum d'étonnement.
Réflexion faite, ce qui est grave, ce n'est pas que trois gars puissent se poster à un coin de rue pour hurler « mort aux youpins » mais que leur cri puisse passer inaperçu banal comme la cloche d'un tramway ».

A partir de ce jour, sa vie va basculer entre amour de cet homme, prises de conscience multiples, regard critique plus affûté sur l'entourage, nécessité de s'engager dans la résistance devant le fascisme, nécessité de témoigner devant la découverte, en tant que journaliste, de l'horreur du pogrom de Jassy en 1941, incompréhension devant la barbarie de cette boucherie, incompréhension devant le déni de la société du massacre de 13226 juifs.
C'est un livre admirable, exceptionnel, criant de vérités, intelligent, très intelligent, un excellent cours d'histoire pour les férus de mon acabit.

Eugénia raconte et l'emploi du « Je » tout au long de ses réflexions donne une profondeur indiscutable à ce livre comme on en rencontre peu. Habituellement, nous avons un récit, un constat, mais là, nous participons à ses interrogations qu'elles soient humanistes, philosophiques, ethnographiques, aux prises de position de ceux qui l'entourent. Elle mène un combat malgré le déni de ses propres parents, elle surmontera l'affection qu'elle leur porte pour ne jamais renoncer à ses idéaux.

Ce qui donne cet accent de vérité, d'authenticité, c'est que seule notre héroïne est fictive. La trame de cet ouvrage s'appuie sur le journal de Mihail Sebastian ainsi que sur une bibliographie citée en fin du livre. Quant au pogrom de Jassy, le récit s'appuie sur des extraits tirés de l'oeuvre de Curzio Malaparte. Lionel Duroy réussi un mélange entre la grande et la petite histoire d'une exceptionnelle qualité.

Nous y rencontrons les admirateurs d'Hitler, de la Garde de Fer, adeptes des théories antisémites comme Mircea Eliade, Emil Cioran.

Toutes les chroniques sur ce livre sont unanimes et je remercie Archie pour les échanges que nous avons eus à cet effet. C'est un livre que je n'oublierai pas.

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